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Tariq Ramadan.com

Entretiens avec Tariq Ramadan
Nazim ESOOF

27 juillet 2007

Tariq Ramadan (Professeur d’islamologie) :
" Maurice ne doit pas se laisser noyer par une culture mondiale "

" Il y a un projet mauricien qu’il faut que vous protégiez contre vents et marées. Vous avez une réalité insulaire. La réalité d’une société qui est vraiment plurielle culturellement, religieusement "

Tariq Ramadan, qui à son huitième séjour à Maurice pour une série de conférences, ne cesse d’être présent dans tous les débats internationaux autour de la question islamique. Ses propos ne laissent pas insensible, n’hésitant pas à remettre en cause certaines démarches islamiques. " Les pires ennemis de l’islam, ce sont les musulmans eux-mêmes parce que ce sont eux qui dénaturent parfois le message ", avance-t-il. Personnage controversé en France où l’on dénonce " son double langage ", il affirme que ce n’est pas prouvé. " Ce sont des gens qui ont envie de m’utiliser, moi, parce que je suis l’arbre qui cache la forêt qu’ils n’ont pas envie de voir ". Aux Mauriciens qui lui reprochent sa vision européenne de l’islam, il répond que " lorsque je viens avec une opinion, je ne m’inscris pas contre les traditions... ". Il soutient que Maurice se doit de protéger sa réalité d’une société vraiment plurielle culturellement, religieusement.

Tariq Ramadan, vous êtes en première ligne de tous les débats concernant l’islam, vous multipliez les conférences à travers le monde, vous êtes régulièrement présents dans la presse à travers des articles et des interviews. Est-ce que votre message sur la réforme de l’islam est en train de passer ?

Le but de mon engagement, ce n’est pas un message personnel, propre à moi, c’est une réconciliation avec le message premier de l’islam. Ce message a trois dimensions essentiellement. La première, c’est la dimension de l’universalité. C’est-à-dire que la tradition musulmane se réfère à des valeurs universelles et donc la particularité des valeurs universelles, c’est qu’elles sont propres à l’islam mais qu’elles confirment et qu’elles s’appuient sur d’autres valeurs. La question de la dignité humaine, la question de la justice de la liberté, la question de respect et d’intégrité de la personne sont aussi enracinées dans la tradition musulmane que dans d’autres traditions. Je pense qu’en ces temps crispés, à l’heure d’une globalisation qui pousse les uns et les autres à revenir à des immensités tout à fait singulières, rappeler ces dimensions-là est fondamental. Pour moi, il ne s’agit pas de parler de l’islam contre tous les autres, mais de dire en quoi l’islam se nourrit et partage avec tous les autres les dimensions fondamentales.

La deuxième dimension, c’est celle de la spiritualité. Il s’agit d’éviter le ritualisme pour en venir au sens des choses. On est à une époque où il est essentiel de savoir pourquoi on fait ce qu’on fait, quelle en est la finalité, qu’est-ce qu’on est en train de faire avec l’être humain. Aux États-Unis, 53 % de la population disent qu’il serait possible dans certaines circonstances de torturer les gens... C’est-à-dire qu’on est dans une situation de régression. Hier, aux États-Unis, on n’aurait jamais pu dire une chose pareille. Il y a de la peur, il y a des craintes et tout à coup maintenant, on admet la torture. La torture est toujours inadmissible. Elle ne peut jamais être admise. Dans aucune circonstance on ne doit pouvoir torturer quelqu’un. C’est contre la dignité humaine. Les peurs sont tellement grandes que finalement on finit par admettre des choses. On a vu ce qui s’est passé dans les prisons en Irak et à Guantanamo. On a vu aussi des extraditions extraordinaires et des prisons cachées en Europe où il y a de la torture. On est en situation de régression. Il faut absolument aujourd’hui pouvoir revenir avec un message qui nous rappelle le fondement des choses. Et pour moi, quelque chose qui est évident, c’est un vrai travail sur soi : de spiritualité, du sens de la vie, pourquoi on fait ce que l’on fait, d’éthique et de morale. Ces choses ne se font pas. Aujourd’hui, on parle de la façon dont on traite l’univers. C’est dramatique ce que le réchauffement de la planète est en train de produire. Tous les éléments sont connectés.

La troisième des dimensions est qu’il faut que l’on cesse de nourrir la mentalité de victimes. Beaucoup trop de personnes regardent le monde sous l’angle : "C’est toujours la faute aux autres". Pour les musulmans, c’est la faute aux non musulmans ; pour l’administration Bush, c’est la faute au terrorisme ; pour un certain nombre de chrétiens, c’est la faute aux musulmans. On est tous en train de se renvoyer la balle. Or, on est des citoyens. On a des avantages dans certaines situations. À Maurice, vous avez une démocratie, vous avez des droits. À chacun d’entre nous de se poser la question : à mon niveau, qu’est-ce que je peux faire ? Pour moi, c’est vraiment un message personnel et individuel, de conscientisation personnelle. Pour les musulmans, bien entendu, c’est se réconcilier avec l’universalité de leur message, de servir les gens en rappelant toujours d’une chose : être proche de Dieu, c’est servir les hommes. C’est aussi un message qu’entendent très bien les chrétiens, les juifs, les bouddhistes, les hindous ou les athées. C’est aussi un message de responsabilisation immédiate. Il faut le faire et il faut le faire tout de suite, à votre niveau. Lorsqu’on voit du racisme dans sa rue, il faut agir ; des discriminations dans sa société, il faut agir ; lorsqu’on voit ce qui se passe sur la scène internationale, il faut la dénoncer. C’est un message de responsabilisation personnelle. Est-ce que ce message passe ? Oui. Partout où je vais et chaque fois que je viens à l’île Maurice, il y a une vraie reconnaissance dans ce sens-là. Ce message-là a aussi des adversaires. Il ne faut pas être naïf. On a aujourd’hui sur la scène internationale, des gens qui ont envie de rupture, de polarisation. Il y a des gens qui se font de l’argent grâce à la guerre ; il y a des gens qui se font de l’argent grâce à la peur ; on a des dénégations de spécialistes du terrorisme qui nous expliquent tout et n’importe quoi et qui se font de l’argent ; on a des médias qui se font de l’argent sur les catastrophes. Il y a des gens qui n’ont pas envie que ces discours passent. Sur le terrain, il y a une vraie audience. Oui, les choses avancent. C’est très difficile. On n’est pas dans une situation facile. Il faut continuer.

La dénonciation des prisons cachées, de la situation en Irak entre autres, vous a coûté votre visa pour les États-Unis. Comment avez-vous vécu cela ?

Etre interdit d’entrée aux États-Unis sous l’administration Bush, c’est plus un honneur qu’un déshonneur eu égard à ce que l’on sait de cette administration. Elle a entretenu le mensonge, l’hypocrisie. Elle s’est engagée dans une guerre en Afghanistan qui a tué des milliers de civils. Elle s’est engagée dans une guerre en Irak ; et puis, après le 11-septembre, elle a développé une véritable chasse aux sorcières. Aujourd’hui, ou on est avec Bush ou on est contre. Je sais que l’administration américaine n’est pas contente de mes propos. Mais qui aujourd’hui dans le monde est content de l’administration Bush ? Qui aujourd’hui est heureux de ce que le président des États-Unis fait ? Les gouvernements européens ? Ils ont peur ; ils ne parlent pas, donc ils suivent et tous les autres jusqu’à dans votre pays, à Maurice, j’ai vu des officiels qui sont tout à fait conscients des dérives de l’administration Bush. Qu’ils soient eux mécontents ne me gêne pas, mais que nous soyons en désaccord est le plus important. Parce que je pense qu’il y a un déficit de dignité, de cohérence dans la politique américaine actuelle.

En même temps, lorsqu’on voit ce qui s’est passé à la mosquée rouge ainsi que d’autres activités terroristes, cela bat en brèche le message de paix que prêchez...

Il ne faut pas nier qu’il y a des choses qui aillent très mal. Les pires ennemis de l’islam, ce sont les musulmans eux-mêmes parce que ce sont eux qui dénaturent parfois, comme dans ces cas-là, le message. Il y a des gens qui produisent de la violence, tuent des innocents. C’est regrettable. Le discours de la paix, de l’exigence de l’engagement est le seul message qui peut résister à la radicalisation. Comment allez-vous faire ? Vous allez tuer tout le monde ? Mettre les radicaux en prison ? Il faut un autre message, un message fort : "L’islam c’est ça, ce n’est pas ce qu’ils disent." Il faut être capable de dire aux gens que ce que vous faites ce n’est pas l’islam, c’est contre l’islam. Le meilleur moyen, c’est un vrai discours de l’intérieur qui s’oppose et qui critique les dérives de la compréhension de l’islam. Maintenant on est en face des terroristes, en face des gens qui utilisent l’islam de façon inadmissible. Il faut le dire. Il faut le répéter par un discours constructif pas uniquement par un discours défensif.

Vous insistez dans votre message que le jihad n’est pas synonyme de guerre sainte ?

J’ai un livre publié sur le jihad, Guerre et paix en islam, dans lequel je parle de cela. Je viens de participer, avec le New York Times et le Washington Post qui ont posé à des muslim scholars trois questions dont l’une était sur le jihad...

En France surtout, vous avez une image très controversée. Plusieurs livres vous sont d’ailleurs consacrés. On vous accuse d’avoir un double langage, un pour les musulmans un autre pour les non musulmans ?

C’est ce qu’on dit mais qu’on ne prouve pas. Il y a un autre livre qui a paru récemment qui dit que je n’ai pas de double langage. Moi je n’ai pas de temps à perdre. Si j’ai un double langage, cela devrait se savoir. J’ai diffusé plus de 200 cassettes. Il y a même un livre qui dit que je parle en arabe dans les banlieues. Le problème c’est que dans les banlieues, ils ne parlent pas arabe. Ce sont des gens qui ont envie de m’utiliser, moi, parce que je suis l’arbre qui cache la forêt qu’ils n’ont pas envie de voir. Et cette forêt, c’est qu’aujourd’hui, il y a des Francais de confession musulmane qui sont Français, qui ne s’appellent pas seulement Zidane qu’on accepte quand il met des buts et on rejetterait tous les autres parce qu’ils sont dans les banlieues. Je dis aux Français de confession musulmane : vous avez des droits comme tous les citoyens. Donc pas de mentalité de victime, travaillez, devenez des citoyens. Cela gêne beaucoup de monde. Parce qu’hier, ils étaient dans les colonies en Algérie. Aujourd’hui ils sont en France et sont des citoyens. Il y en a qui n’ont pas envie de cela. Moi, je suis simplement la voix qui fait entendre ça. C’est pourquoi que cela les gêne. Ils n’ont pas envie de comprendre ou d’admettre que l’islam est une religion française ; qu’il y a des Français qui sont des citoyens comme tous les autres et qui ont eu un passé arabe, algérien, marocain. Il y a un vrai problème de reconnaissance de cela. Je gêne tous ceux qui n’ont pas envie de reconnaître la dimension plurielle de la société française. Ils ont juste envie de symbole. Être ministre de la Justice (Rachida Dati, par exemple) c’est bien. On ne veut pas de symbole pour oublier les autres ; on veut des voix qui permettent à tous d’être présents partout.

Comment avez-vous accueilli l’élection de Nicolas Sarkozy à la présidence de la République française ?

Je savais qu’il allait être président parce qu’il avait préparé cela depuis très très longtemps. Je pense qu’il est extrêmement habile parce qu’il a réussi en l’espace d’une année à faire imploser le Front national (FN) et se déliter le Parti socialiste (PS) en même temps. Il sait lui que ce n’est plus une question idéologique, c’est une question de pouvoir. La différence entre le PS et lui, elle est minime sur le plan idéologique. Il a utilisé chez les socialistes ceux qu’il savait aimer le pouvoir. Je pense qu’il va surprendre beaucoup de monde. Je ne le sous-estime pas du tout. C’est quelqu’un qui a réussi à placer ses billes dans le monde médiatique, dans le monde financier, dans la grande économie et dans le monde politique. Sur ces chantiers, il a établi des gens qui sont très proches de lui. Il peut parfois déraper par des excès d’émotivité. On l’a vu dans certaines circonstances. Cela ne va pas être facile parce qu’il a une vue sur certaines questions qui est problématique notamment en ce qu’il s’agit de la création du ministère de l’Identité nationale et de l’Immigration.

Vous invitez les musulmans à revenir aux textes fondamentaux. Que voulez-vous dire par là ?

Lorsqu’on revient aux textes fondamentaux, c’est le meilleur moyen pour nous de revenir dans le contexte fondamental et de proposer une nouvelle lecture. Il faut revenir aux fondamentaux, sinon les musulmans ne vous suivront pas. Les musulmans, ils croient dans les textes, ils croient au Coran et ils suivent le Prophète. Vous ne pouvez pas avancer sans les textes. La question est de savoir si vous revenez aux textes par l’intermédiaire des savants du treizième siècle ou si vous revenez aux textes et essayez de les comprendre dans leur contexte. C’est cela revenir aux fondamentaux. Il y a deux façons de le faire : soit revenir pour s’y enfermer littéralement - ce n’est pas mon attitude - soit revenir pour ouvrir les champs d’investigation et essayer de trouver la bonne solution. Il y a des textes qui sont universels, transhistoriques. Il y a d’autres qui demandent de l’interprétation.

Dans certains milieux à Maurice, on estime que vous avez une vision très européenne de l’islam. Qu’en est-il ?

À Maurice, on est habitué à certaines écoles de pensée que je respecte. Dans ces milieux-là, on est habitué à certaines réponses. Quand on vient avec d’autres réponses, on dit que cela vient de l’Europe. Non. Même au Pakistan, même en Inde, en Afrique et dans le monde arabe, il y a plusieurs opinions sur certaines choses. Lorsque je viens avec une opinion, je ne m’inscris pas contre les traditions ; mais je dis : attendez, il y a cette position, mais il y en a d’autres également. Au moins, ayez l’éventail de toutes les solutions. Je respecte les écoles qui sont présentes. Je rappelle d’autres positions sur certaines questions particulières. À partir de là, les gens font leur choix.

Une remarque du ministre britannique Jack Straw à l’effet que le voile gène l’intégration fait débat...

Il ne disait pas le voile, mais le voile intégral. C’était une bonne question posée par la mauvaise personne. C’est devenu une mauvaise question. Jack Straw est un homme politique, un ministre dans le gouvernement britannique. Il pose une question qui est importante. Comment fait-on pour la vie en société ? Cela pose un vrai problème d’autant qu’il y avait le problème d’une enseignante devant des élèves très jeunes. Les enfants pouvaient avoir de la peine à entendre ce qu’elle disait. En tant que musulman, il faut qu’on donne une réponse sur quelle est la vraie prescription islamique. Est-ce la couverture des cheveux sans que la face ne soit couverte ? C’est mon opinion. Je pense que ceux qui vont plus loin doivent vraiment se poser des questions. Au bout du compte, quel rôle social donnez-vous à la femme ? C’est une vraie question qui doit être débattue de l’intérieur. Certains savants sont d’opinion que les femmes ne devraient pas porter le hijab dans une société non majoritairement musulmane parce qu’elles n’étaient pas comprises.

L’appel à la prière a été au centre d’un débat à Maurice. Avez-vous eu l’occasion de suivre cette affaire ?

Dans toutes ces situations on a aujourd’hui des crispations. Ici, il y a eu crispation autour de l’appel à la prière, en Suisse on a eu des crispations autour de la visibilité des minarets. En France, on a eu des crispations autour de la visibilité des foulards. Toutes ces situations elles se crisperont si l’on va vers le conflit et la loi, et elles s’assoupliront si l’on va vers le dialogue et la compréhension mutuelle. Votre situation, elle est passée par les deux étapes. Il y a eu une procédure légale qui a tendu les choses. Des deux côtés il y a eu des gens qui ont polarisé, alors que des deux côtés il fallait calmer les choses et venir à la table de dialogue. C’est ce qu’on a fait après. Il faut commencer par le dialogue et non pas finir. Si le problème c’est le niveau sonore, une fois qu’on l’a baissé, c’est terminé. Lorsque quelque chose dans la tradition de l’autre nous gène il faut le dire, il faut s’asseoir, il faut discuter parce qu’on peut trouver des solutions. Une société plurielle qui s’assume est une société qui dialogue. Une société plurielle qui implose est une société qui ne s’écoute plus ou qui se parle à coup de loi. Le légal est toujours crispant.

Le thème de votre conférence prévue demain (aujourd’hui, NdlR) est l’islam et la démocratie. N’est-ce pas là un terrain glissant pour vous ? À part la Turquie, la démocratie n’est pas légion dans les Républiques islamiques ?

Et le Sénégal et l’Indonésie... On est obsédé par le mode majoritairement musulman parce qu’on pense à l’Arabie. Lorsqu’on pose la question de l’islam et la démocratie, il faut poser la question de principe : est-ce que oui ou non c’est possible ou pas. À mon avis c’est possible d’avoir des processus démocratiques du point de vue islamique sans que cela pose de véritables problèmes. C’est une vraie question que j’ai abordée à plusieurs reprises. J’ai écrit un livre à ce sujet. Même en Turquie on a vu qu’il y a des difficultés avec la présence de l’armée qui joue un rôle. Il n’y a pas d’opposition entre les principes de l’opposition et les principes de l’islam. Et puis il faut que chaque société trouve son modèle et entre dans un processus de démocratisation.

Quel message comptez-vous transmettre aux Mauriciens ?

Le message portera sur ce qui est universel et partagé, de la rencontre du dialogue, de la cohésion et du respect mutuel, de la confiance en soi, de la confiance vis-à-vis des autres. On est dans un monde qui se polarise. Il faut passer à autre chose, construire un autre rapport à soi. Beaucoup de confiance en soi, de respect de l’autre et d’ouverture d’esprit. Un discours orienté vers tous les Mauriciens. On passera parfois par des organisations musulmanes et parfois par des conférences complètement publiques. Il y a un projet mauricien. Qu’il faut que vous protégiez contre vents et marées. Vous avez une réalité insulaire. La réalité d’une société qui est vraiment plurielle culturellement, religieusement. Il ne faut pas perdre cela. Il ne faut pas se laisser noyer par une culture mondiale. Il ne faut pas que la culture de Maurice soit produite à Washington, à Paris ou à Londres. Il faut qu’elle soit produite ici. C’est ici qu’il faut établir la confiance. À l’échelle du monde, Maurice est une localité. Il faut que dans cette localité on ait de vraies initiatives de rencontre, de respect. Il faut protéger. Si cela peut être un espace de paix, un projet pilote de paix et de meilleure connaissance, autant que ce soit ainsi plutôt que le contraire.

En dépit de la mondialisation ?

En résistance à la mondialisation. Le vrai message que Maurice pourrait renvoyer au monde global c’est la réalité du pluriel local.


" Le jihad n’est pas synonyme de guerre sainte "

Nous avons interrogé Tariq Ramadan sur le sens du Jihad, qui, dit-il, n’est pas synonyme de guerre sainte. Il nous a donné la réponse suivante : " D’abord, c’est une question de définition. On dit souvent que c’est la guerre sainte. C’est faux. Cela ne répond à rien dans la traduction à partir de l’arabe. En fait, cela veut dire effort et résistance. Faire un effort et une résistance à quoi ? D’abord, il y a une première dimension personnelle et spirituelle. Chacun d’entre nous a de mauvaises tentations ; il y a de la violence en nous. Nous faisons donc un effort pour résister à cela. C’est un jihad personnel. On prend le contrôle, pourquoi ? On veut être en paix avec soi-même. Le jihad, c’est le chemin, on gère une tension pour aller vers la paix. Ce n’est pas le chemin de la guerre. Sur le plan collectif, lorsqu’on est agressé, résister à l’agression et ou à l’exploitation, cela peut être légitime. Par exemple, résister à des gens qui viennent prendre vos terres, là, c’est la légitime défense. C’est une résistance à l’oppression pour arriver à une situation de justice et de paix. Le jihad, c’est toujours gérer un état de tension par rapport à une oppression pour aller vers la paix. Combattre mon propre égoïsme pour aller vers la paix intérieure. C’est le chemin vers la paix qui passe par un effort, une résistance parce que nous sommes comme ça. Les êtres humains ont besoin de faire des efforts et résister à leurs mauvaises tentations. " 

 

Tariq Ramadan soutient également que le prophète Muhammad n’était pas un belligérant, comme on a voulu le faire accroire. " Je viens d’écrire un livre qui sera partout présent dans mes conférences. Dans cet ouvrage, je présente l’image du prophète où on disait que durant la deuxième période de sa vie, il était belligérant. C’est complètement faux. Au moment où il s’installe à Médine, il y a des gens qui veulent le détruire. Lui, il ne fait que résister à leur volonté de destruction. Il est exactement dans ce jihad-là, celui de la résistance à l’oppression. Alors que cela allait et qu’il n’avait pas besoin de réagir parce qu’il pouvait survivre, il faisait une résistance passive. Comme à la Mecque où il n’a jamais résisté par les armes. Mais à un moment donné, on voulait l’éliminer. Donc il est parti parce qu’il ne voulait pas la guerre. Ils ont fait des alliances avec des tribus alentour pour pouvoir le détruire. Face à cette injustice, il n’avait qu’une seule option : résister par les armes. Il n’y a eu chez lui que la résistance nécessaire face à une répression imposée. C’est comme cela qu’il faut qu’on le comprenne. Ce n’est pas du tout un prophète aux élans de guerrier comme on le présente ".

Paru dans le Mauricien le 26 juillet 2007 


TARIQ RAMADAN
“L’islam doit être une force de transformation pour le meilleur”


Tariq Ramadan en est à sa huitième visite à Maurice pour une série de conférences sur le thème de la confiance mais aussi pour partager sa conviction que l’islam peut agir pour le mieux dans la construction citoyenne du musulman.

Qu’est-ce qui vous amène aussi régulièrement à Maurice ? 

Lorsque j’ai visité l’île Maurice voilà onze ans et demi, cela a été une première rencontre qui a culminé à une découverte mutuelle et, pour les Mauriciens, la reconnaissance d’une certaine approche. Il existe une atmosphère à Maurice que j’apprécie beaucoup. Cette reconnaissance et cet acte d’approche ne pouvaient s’inscrire que dans le long terme. Depuis, cela a été une même ligne et un même message universaliste et d’ouverture sur le monde qui ont primé.

En quoi consiste cette approche ?

Ma première visite a eu lieu avant le 11 septembre et déjà, à cette époque, il était question de sérénité dans ce qu’on est, du refus de la mentalité victimaire et de l’idée que le message est universel. Aujourd’hui encore après le 11 septembre et ses répercussions et les débats sur les lois et le terrorisme, il s’agit toujours de mettre en avant toutes ces dimensions. Le thème retenu pour cette visite est la confiance car il importe de passer d’une évolution de la peur à une révolution de la confiance. Je tiens aussi à dire que c’est une mauvaise perception que de croire que ceux qui m’entourent à Maurice s’accaparent de ma présence. Ils sont plutôt dans l’ouverture et engagés dans un acte de sacrifice.

On a eu à Maurice il y a quelque temps de cela un débat sur l’“azaan”. Comment analysez-vous ce débat ?

C’est un cas symptomatique qui démontre comment on peut basculer dans la dérive ou accéder à la pacification. On n’arrivera pas à vivre ensemble à travers l’obsession du droit. Ce n’est possible que par la pacification qui passe par le dialogue. D’ailleurs la résolution de la problématique de l’“azaan” chez vous le démontre : c’est dans la négociation qu’a surgi la solution. C’est ce qu’il faut promouvoir : négocier dans le dialogue plutôt que contrarier par le droit.

La société politique mauricienne a la propension d’instrumentaliser la religion à des fins électoralistes. Comment sortir de ce cycle ?

Cela ne passera pas par le politique, par cet engagement politique basé sur l’appartenance communautaire. Il faut une politique citoyenne. Le bon angle pour changer les mentalités est un projet social où on réunit
les gens de toutes les confessions. Cela permet de développer une conscience citoyenne qui transcende la conscience ethnique.

Passons à un autre ordre d’idées ? Comment se porte aujourd’hui, selon vous, “l’axe du mal” ?

S’il y a une chose que je combats de ce point de vue, c’est bien la simplification. Le fait, par exemple, que mon visa ait été révoqué m’interdisant d’entrer sur le sol américain sous l’administration Bush est un honneur. Car ils ont démontré par leurs actes en Afghanistan et en Irak qu’ils sont capables de torture et de déni de justice. C’est en tant que citoyen et non en tant que musulman qu’on doit être inquiets de ces actes. Quant à l’Iran, il n’est qu’un bouc- émissaire.

Comment en est-on arrivé là ?

On sait que des musulmans sont impliqués dans les actes condamnables du 11 septembre. Il fallait condamner sans verser l’instrumentalisation de ces actes. N’ayant pu éviter cela, on bascule dans la guerre contre le terrorisme. Mais c’est une guerre dont l’une des caractéristiques est d’affronter un ennemi insaisissable, toujours en mouvement et non identifiable. Cela a produit des mesures sécuritaires clairement condamnables et une ère liberticide. En même temps, il faut dire qu’on assiste à monde musulman qui ne s’ouvre pas politiquement. Un monde où il n’y a pas de grand effort de démocratisation sauf dans certains cas. Il ne s’agit pas donc de blâmer seulement l’Occident car il n’y a pas eu de travail critique et surtout de travail sur soi. Aujourd’hui, pour moi, il est autant question de rejeter le cloisonnement du monde musulman tout en luttant durant toute ma vie contre l’unilatéralisme des Etats-Unis sur le dossier israélien.

Vous évoquez souvent l’impératif d’être citoyen et d’être musulman. Cela n’est-il pas irréconciliable ?

Il y a 18 ans que je travaille sur ces questions. J’ai d’abord cherché les zones de conflit. Or, il s’avère que les Constitutions occidentales et a fortiori la Constitution mauricienne n’empêchent aucun citoyen de pratiquer sa conscience musulmane et sa conscience citoyenne. A l’étude de ces conflits possibles, j’ai identifié l’avis de certains savants qui soulèvent la question de l’appartenance à l’armée où, dans le cas d’un conflit armé, des musulmans pourraient être amenés à se battre contre des pays musulmans. Or, il y a une énorme flexibilité dans les lois musulmanes. Les citoyens musulmans ne sont pas plus ou moins démocrates que les autres. Ce sont des démocrates comme les autres. Je ne crois pas qu’il faille construire un problème là, ou qu’un problème de perception. Je dirais qu’avec une bonne compréhension de l’éthique musulmane, on aboutit à un meilleur engagement citoyen.

Quelle idée de l’islam que vous vous faites ?

Elle est basée sur trois principes. D’abord, l’islam est une religion universelle. Elle produit des valeurs et une éthique qui ne lui sont pas exclusives. En l’islam, on retrouve des valeurs qui sont chez les autres. Les musulmans doivent revenir vers cet universel pour ne pas s’enfermer dans des particularismes et ne pas céder à la tentation d’être victimes. Ensuite, il y a des valeurs transhistoriques. Soit vivre fidèlement sa foi dans toutes les circonstances et au sein de toutes les sociétés. Il y a donc à tenir compte de toute une dimension de l’histoire et de la culture en termes de ce qui est immuable et ce qui participe de la nécessité du changement. C’est en conséquence une question de réforme et l’islam a les outils pour penser le changement en fonction des principes qui sont les siens. Il s’agit d’avoir en tête le texte et le contexte. L’un ne va pas sans l’autre. Une pensée qui reste la même au XVe siècle et au XXe siècle n’est pas fidèle aux principes fondamentaux. Enfin, il faut être une force de transformation pour le meilleur.

Comment aborder la question du djihad lorsqu’il y a autant d’interprétations qui sont proposées ?

Lorsque l’abbé Pierre dit qu’il est en guerre contre la pauvreté, je dois tout autant pouvoir dire que je suis en guerre contre la pauvreté ou contre les formes nouvelles d’esclavagisme. Lorsque des murs sont dressés entre le Mexique et les Etats-Unis ou autour de l’Europe, c’est une nouvelle forme d’esclavagisme qu’on pratique. On y retrouve à ces frontières des sous-zones où s’installent des individus dont ces pays ont besoin sur le plan économique. Lorsque ces individus franchissent ces murs et vont finir par travailler clandestinement dans les pays qui les repoussent, c’est en fait une exploitation clandestine de ces femmes et hommes.

L’islam, le nouvel ennemi de l’Ouest après la fin du communisme ?

L’islam est le nouvel ennemi, c’est une évidence sauf que ce n’est plus du tout pareil comme lorsque les pays de l’Ouest étaient confrontés à l’ennemi soviétique. Il ne s’agit plus d’un ennemi de l’extérieur. Le nouvel ennemi a été créé et sa figure est différente de l’ennemi communiste. Toutefois, dans son expression de rejet, on voit revenir les réflexes de stigmatisation et du maccarthysme.

Enfin, vous êtes souvent accusé de tenir un double langage. L’un devant les musulmans et un autre devant les non-musulmans. Comment répondez-vous à cette critique ?

Lorsque des journalistes me posent cette question, je leur réponds de m’apporter des preuves. C’est en fait une critique tellement grotesque. En France, par exemple, on m’accuse de parler français et arabe dans les banlieues. Or on ne parle pas et on ne comprend pas l’arabe dans les banlieues ! Nul n’est plus sourd que celui qui ne veut pas entendre la vérité.

Propos recueillis par
Nazim ESOOF

Paru dansL’Express à Maurice le 27 juillet 2007

 
© site officiel de Tariq RAMADAN



Source : Tariq Ramadan
http://www.tariqramadan.com/...


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