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Opinion

Le Président Barak Obama : Le verbe et les symboles
Le bien dit et le mal entendu
Tariq Ramadan


Tariq Ramadan

Jeudi 26 mai 2011

Après le discours du 4 juin 2009, le président Back Obama a ressenti le besoin de s’adresser aux Arabes d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient à la suite des événements majeurs que sont les révolutions et la mort d’Oussama ben Laden. L’élection du premier « African American President » avait suscité d’immenses espoirs dans les sociétés majoritairement musulmanes : non pas seulement à cause des origines de Barack Obama mais surtout car il semblait incarner un renouveau dans la vision et la politique américaines après les sombres années de l’administration Bush.

L’actuel Président a su manier avec excellence la force du verbe et jouer du pouvoir des symboles. Quelque chose a changé aux Etats-Unis, c’est une évidence, et la page d’une ère bien sombre a été tournée. Il reste qu’il faut mesurer son optimisme et regarder les faits pour ce qu’ils sont. Le président Barack Obama avait promis de mettre un terme aux situations de non droit, comme à Guantanamo ; de reformer les législations discriminatoires et de faire cesser les traitements dégradants telle la torture (légitimée au nom de la guerre contre le terrorisme) ; de mettre un terme aux situations de guerre en Afghanistan et en Irak ; de faire avancer le processus de paix au Moyen-Orient ; d’ouvrir enfin une ère nouvelle dans les relations internationales multipolaires. Or, au-delà des symboles et des mots, on s’aperçoit que les choses ont peu changé, voire que la politique sécuritaire s’est durcie : Guantanamo demeure une honteuse réalité, la nouvelle législation sur le terrorisme expose certains citoyens, politiquement ou religieusement « sensibles », aux traitements les plus aléatoires et clairement discriminatoires (de l’emprisonnement à la déportation sur la base de simples suspicions), les guerres d’Irak et d’Afghanistan continuent et le processus de paix n’est plus qu’un slogan, mort dans les faits. Qu’est-ce qui a changé, de fait, et qu’est-ce qui devrait changer, somme toute ?

Il y a ce dont le Président parle et ce dont il ne parle pas : les dits et les non dits déterminent ensemble la vraie substance de son discours. Barack Obama fait face à deux défis majeurs : la question internationale est bien sur évidente – ce fut la substance dite de son discours - mais celle-ci est inextricablement liée à la politique intérieure avec laquelle le Président doit forcement composer (dont il n’a rien dit, à une année des élections). Il ne faut rien négliger du contexte après l’annonce de l’opération « légale » contre la tête d’al Qaida au Pakistan. L’exécution de Oussama ben Laden a montré encore une fois l’étendue du fossé existant entre l’administration américaine et les musulmans aux Etats-Unis et à travers le monde. Evénement médiatique majeur en Occident, couvert par toute la presse du Nord, comme une victoire et la fin du « symbole du terrorisme », la mort d’Oussama ben Laden a suscité peu de réactions parmi les musulmans en Occident comme en Orient, et plus largement dans les pays du Sud. Pas d’images, pas de preuve, à quoi s’est ajoutée l’annonce du rejet à la mer du corps de ben Laden : tout cela a suscité des questions, des doutes, et surtout une distanciation claire tant vis-à-vis des Etats-Unis que, et depuis longtemps, de ben Laden lui-même. Ce dernier n’a jamais atteint les foules ni galvanisé les peuples musulmans (à l’exception d’une minorité d’extrémistes violents) et l’administration américaine, en agissant de la sorte montrait, une fois de plus, qu’elle n’avait pas les clefs des intelligences et des sensibilités musulmanes. Le discours de Barack Obama, le soir de l’annonce de l’élimination de ben Laden, était certes éloquent, mais force est de constater qu’il fut négligé par le monde musulman, et bien mal entendu. Il s’agissait d’un discours d’abord destiné aux Américains : Barack Obama montrait ainsi sa capacité à être ferme, à savoir protéger son pays, à prendre des décisions de guerre, graves et dangereuses. On lui avait tant reproché ses hésitations : il a gagné plus de douze points dans les sondages. Dans un contexte pré-électoral, une première belle opération de communication au demeurant.

Il fallait donc un nouveau discours, cette fois-ci destiné aux Arabes, aux démocrates et aux musulmans en général puisque le Président a compris qu’il avait non seulement été incompris mais également mal reçu. De plus en plus Barack Obama apparait comme l’homme de la séduisante image et du beau verbe derrière lequel se cache une administration moins regardante sur les principes et la cohérence des politiques menées sur la scène internationale comme sur le plan intérieur. On a certes entendu le clair soutien des Etats-Unis aux mouvements de démocratisation en Afrique du Nord et au Moyen-Orient mais qu’en est-il du traitement différencié de ces mouvements (entre la Libye et la Syrie par exemple où on attend de Bashar al-Assad, dont on a besoin et qui fait tirer sur les civils désarmés, qu’il réforme magiquement son régime despotique) ou du silence complice quand il s’agit des pétromonarchies alliées (comme le Bahreïn soutenu par l’Arabie Saoudite) qui répriment et tuent les civils et les opposants non violents ? On a certes entendu que la souffrance et les droits des Palestiniens devaient être respectés mais quel a été la politique effective de l’administration Obama depuis trois ans : du silence lors des massacres de Gaza à la mort de dizaines de civils désarmés lors de la célébration de la Nakba, le15 mai 2011 ? On peut se réjouir que le Président ait mentionné les frontières de 1967 comme principe de négociation entre Israël et les Palestiniens : il reste que la passivité américaine quant à la politique continue et effective de colonisation israélienne et aux faits accomplis sur le terrain rend cette position inconsistante et caduque de fait. Ce sont des mots, encore des mots, pour faire rêver les Palestiniens et les Arabes et qui n’empêchent en rien les Israéliens d’avancer dans leur stratégie. Ce qu’ils font depuis tant de temps derrière la façade des tensions médiatisées entre les deux gouvernements américains et israéliens.

Guantanamo et la torture restent des réalités dans l’Amérique de Barack Obama avec le déni des droits élémentaires pour les prisonniers et, de surcroit, le sang des civils irakiens et afghans semble toujours compter pour presque rien. Pour bien moins que le sang des civils libyens au demeurant : et pourquoi donc ? Des raisons économiques seraient-elles le vrai moteur de la politique américaine en Afrique du Nord et au Moyen Orient ? Tout porte à le penser et les dits et les non dits du discours de Barack Obama ne sont pas pour rassurer la rue arabe. Dans son discours, le Président a beaucoup insisté sur la dimension économique des révolutions arabes. Il n’y aura pas de vrai processus démocratique sans développement et stabilité économique : le propos est juste et l’équation fait sens. Barack Obama annonce une diminution de la dette, un investissement et un soutien financier américain majeur dans la région avec l’aide de l’Europe et de la Banque Mondiale et du Fonds Monétaire International. Tout porte à croire que l’ouverture démocratique est pensée et accompagnée de l’ouverture de nouveaux marchés juteux : l’administration américaine, et derrière elle les multinationales, n’ont pas pour seules amours, libres et désintéressées, la démocratie, la justice et la liberté mais aussi la rentabilité marchande et la pénétration consumériste. Le Président a présenté ce soutien économique en terme de solidarité et de générosité à l’égard des peuples... dont la négligence pendant des décennies ne l’a jamais perturbé. L’absence de référence aux nouveaux acteurs économiques régionaux et également intéressante à noter : la Chine, l’Amérique du Sud ou la Turquie ne vaudraient pour rien dans le positionnement américano-européen dans la région ? Qui peut le croire... Qui ne sait entendre le sens des silences dans le discours de Barack Obama. Les retombées économiques régionales (en Afrique du Nord et au Moyen-Orient) pourraient se révéler plus conséquentes en terme d’enjeux géostratégiques que les processus de démocratisation politique : une apparente indépendance politique avec quelques libertés est en train de clairement se marier à une dépendance économique accrue et de multiples contraintes. L’économie libérale n’est libérale que pour certains. Barack Obama répète à l’envie que « l’Amérique n’a rien contre l’islam et les musulmans » en omettant d’ajouter « tant que, démocrates ou autocrates, ils ne s’opposent pas à nos intérêts ». Un nouveau visage, le même discours : une fois encore c’est l’action concrète qui pourrait changer la donne. Les musulmans entendent parfaitement le dit et le non dit mais ne voit rien venir quant à une politique qui serait vraiment nouvelle.

Sur un autre plan, il faut ajouter que la question de l’islam est en train de s’inviter aux prochaines élections américaines. Le mouvement du Tea Party et les néo conservateurs mènent campagne sur le danger de la présence de l’islam et de l’islamisation de l’Amérique. Dans dix-huit Etats américains, on tente de passer des lois surréalistes sur l’interdiction de l’application de la shari’a présentée comme une référence barbare. Il ne s’agit donc plus de s’attaquer à l’islamisme extrémiste violent mais à l’islam en tant que tel et à l’essence de cette religion. Ce mouvement gagne du terrain et, de controverse en controverse, installe une atmosphère étrange dans le pays. De la mosquée du Park 51 (dite du ground zéro) à la journée appelant à brûler le Coran, jusqu’aux mobilisations locales contre des manifestations musulmanes ou la construction de mosquées, les tensions s’avivent et on retrouve aux Etats-Unis des discours et des attitudes que l’on a vu s’installer depuis plusieurs années en Europe. Un racisme antimusulman, une islamophobie, qui fait campagne et cherche à stigmatiser une partie de la population américaine sur une base prioritairement religieuse (en plus du racisme contre les Africain-Américains qui perdure). Une politique émotionnelle basée sur la peur, la méfiance et le rejet et qui utilise les tenants du populisme européen, à l’instar de Geert Wilders qui remplit les salles aux Etats-Unis, pour confirmer le bien fondé de cette nouvelle xénophobie.

L’election du Président Barack Obama a paradoxalement permis à ces mouvements de gagner du terrain en jetant le discrédit sur sa propre personne, son origine, voire sa religion (23% des Américains pensent qu’il est un crypto-musulman et 42% pensent qu’il n est pas un bon chrétien : cela fait un total de 65% d’Américains dans le doute). ces mouvements n’auront de cesse de multiplier les critiques et de mettre le Président dans les situations les plus inconfortables qui soient. Ce dernier a dit et répété que l’islam était une religion américaine mais il apparait urgent que son administration, sur le plan intérieur, fasse preuve d’un courage autre que verbal et qu’elle confronte les courants islamophobes et xenophobes avec des politiques plus égalitaires et plus déterminées. Les beaux discours du Président sont suivis de politiques très frileuses sur le terrain : l’arrivée des prochaines élections ne va sans doute pas aider à renverser cette réalité et pourtant c’est paradoxalement le meilleur moyen pour le Président de s’affirmer comme le Président du renouveau, capable de l’emporter avec une politique juste et raisonnable en 2012. L’enjeu est majeur et, en ce qui concerne la question du renouveau de la relation avec l’Islam et les musulmans, la politique internationale est liée à la politique intérieure. Le Président Barack Obama ne peut se satisfaire de discours intelligents (et toujours ouverts) auxquels ils invitent des leaders, des savants et des intellectuels musulmans. Dans la rue arabe, comme dans les villes et les innercities américaines, les citoyens musulmans ordinaires n’ont que faire des images et des mots. Ils restent à l’écoute des silences qui dévoilent, et de l’absence d’actions qui confirment au quotidien les insuffisances critiques de la politique d’Obama depuis trois ans. Les peuples musulmans savent, comme d’ailleurs tous les peuples, qu’il y a un ironique paradoxe à offrir un prix Nobel de la Paix à celui qui toujours en parle et jamais ne l’a concrètement fait. tout est dit dans ce prix. A la lumière des vrais défis, qui exigent de vraies actions, ce fut un beau discours, bien écrit, et qui, une fois de plus, risque d’être mal, peu, ou carrément , pas entendu. Et qui donc aurait tort de demander, au cœur de la transparence démocratique, que celle-ci s’habillât de quelque concrète cohérence ?

© Tariq Ramadan 2008
Publié le 27 mai 2011

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Source : Tariq Ramadan
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