Opinion
Quel avenir pour l'Europe ?
Tariq Ramadan
Tariq
Ramadan
Jeudi 22 septembre
2011
Les dirigeants européens sont
profondément inquiets. Il n’y a aucun
signe d’amélioration sur le front
économique : la Grèce ne se rétablit pas
malgré d’importantes aides européennes ;
des sirènes d’alarme retentissent au
Portugal, en Italie et en Espagne.
L’économie européenne unifiée est en
danger, en particulier dans les pays
“périphériques”. Pour la première fois
depuis l’instauration de l’Euro, des
pays sont en train de vaciller au bord
de la faillite, menaçant le système
entier de s’effondrer. Les autorités
financières européennes ont d’abord
décidé d’affaiblir l’Euro afin d’essayer
de stabiliser la situation, mais suite à
leurs tentatives infructueuses de
résoudre la crise grecque et portugaise,
l’Euro lui-même est incriminé. L’Union
Européenne est actuellement en train de
démontrer une fragilité économique, tout
en fléchissant par ailleurs sur le plan
social et politique. Sans avenir clair
en perspective, l’essence même de
l’Europe court des risques.
Les récents développements
économiques jettent une lumière crue sur
une autre réalité profonde et cruelle.
On n’a aucunement le sentiment qu’il
existe une vision politique européenne
commune, ni à l’intérieur de l’Europe,
ni à l’extérieur. La France et
l’Allemagne essayent de prendre la
direction politique, mais il est clair
qu’il existe de profondes tensions. Le
gouvernement britannique demeure proche
de son partenaire américain. Il n’y a
pas de politique étrangère commune et
les récents soulèvements dans le monde
arabe, en Tunisie et en Egypte, puis en
Libye et en Syrie, ont souligné les
vives différences parmi les dirigeants
européens. Certains suivent l’exemple
des Etats Unis tandis que d’autres
préfèrent adopter une position passive,
réactive. Pour jouer un rôle au niveau
international, l’Union Européenne doit
avoir une vision unifiée. Assaillie à la
périphérie par une crise économique
multidimensionnelle, sur le plan
politique l’Union Européenne est
elle-même en train de devenir
périphérique au nouvel ordre mondial. Sa
gloire ne semble relever guère plus que
d’un passé glorieux et d’un avenir
irréaliste, idéalisé.
Parallèlement, une autre crise
s’insinue silencieusement à travers
l’Europe, irradiant depuis le plus
profond de son coeur et remettant en
cause l’essence même de son être. Des
débats sur “les identités”, le
multiculturalisme, la diversité
religieuse ou encore des restrictions
légales (de liberté de culte) sont des
signes d’une érosion intrinsèque. La
nouvelle présence musulmane en Europe,
ainsi que l’hésitation de l’UE à
accueillir la Turquie, ont placé la
nouvelle réalité au sommet de l’agenda
européen idéologique et politique. La
Turquie est un pays trop musulman, trop
“autre” pour pouvoir prétendre à faire
partie de “nous”, prétendent les
nouveaux populistes. La marginalisation
des pays d’Europe de l’Est indique une
tendance similaire.
Il n’est plus clair, en Europe même,
qui est véritablement Européen ou ce que
sont les frontières géographiques du
continent européen. Si vous ne savez
plus qui vous êtes ni où sont vos
frontières, alors il n’est pas très
étonnant que vous soyez perdus dans un
monde globalisé. Ce sentiment de
désorientation est présent partout dans
un débat européen mu par de profondes
crises identitaires et psychologiques
combinées à la menace d’instabilité
économique et politique - tous les
ingrédients qui alimentent l’insécurité,
et ébranlent confiance en soi et espoir.
Ce n’est pas une grande surprise que les
hommes politiques européens dirigent de
plus en plus leurs pays en faisant appel
à l’émotion et à la démagogie au lieu
d’établir des plate-formes politiques,
idéologiques et économiques responsables
et raisonnables. Incapables de créer une
vision commune et de trouver des
solutions efficaces, ils sont à présent
enfermés dans un cercle vicieux.
L’Europe, que ce soit au sein de l’UE
ou au-delà, est en mauvaise santé. Son
avenir sera-t-il un avenir de
marginalisation ? Tiraillée entre
proximité idéologique et politique avec
les Etats Unis et son besoin
d’investissements chinois et indiens,
l’Europe est à la recherche d’une issue.
Aucun pays européen ne peut y parvenir
par lui-même - mais la détermination
politique de s’occuper des peurs et
préoccupations des populations fait
toujours défaut. L’Europe a besoin de
réformes internes radicales menées par
des dirigeants politiques engagés et
courageux. De tels dirigeants doivent
commencer par déclarer, répéter et
enseigner que l’Europe a changé, qu’elle
a un nouveau visage. De nouvelles
priorités, bien qu’impopulaires à court
terme, doivent être établies afin
d’espérer le succès à long terme.
L’Europe a besoin de temps, mais nos
hommes politiques se retrouvent face à
un dilemme. Alors qu’ils doivent
réfléchir au-delà de la prochaine
génération, ils sont obsédés par leur
victoire aux prochaines élections.
Piégés entre des impératifs à
court-terme et des nécessités à
long-terme, il se pourrait bien qu’ils
soient incapables de trouver une
solution.
Les citoyens, ainsi que la société
civile dans son ensemble n’ont pas
d’autre choix que de briser le cercle
vicieux ; il ne peuvent pas permettre
que leur avenir soit détruit par un
manque de confiance collectif et par une
étroite ambition politique individuelle.
Il est temps de se faire entendre et de
faire des criques constructives. La
crise en Europe ramène lentement ses
citoyens à d’anciens réflexes négatifs :
réaction d’arrogance, rejet, racisme,
xénophobie, etc. C’est aux Européens de
dire que ça suffit ; ils doivent refuser
de sacrifier leurs valeurs, de devenir
étroits d’esprit, déraisonnables et
indignes. En Espagne et en Grèce, des
citoyens se sont rassemblés sur des
places publiques afin d’exprimer leur
refus, se faisant appeler eux-mêmes “les
indignés”. Leur mouvement pourrait être
une façon non violente et citoyenne de
rompre avec la logique du négativisme,
et ouvrir la voie à une réévaluation
radicale de la situation économique,
politique et culturelle. Si les citoyens
demeurent passifs, s’ils échouent à
poser des questions difficiles
concernant le sens même d’une Europe
unie, alors leur histoire sera écrite
sans eux. Et, pour l’instant, cette
histoire a vraiment de sombres allures.
© Tariq Ramadan
2008
Publié le 25 septembre 2011
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