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Opinion

Les musulmans : Un besoin de spiritualité responsable
Tariq Ramadan


Tariq Ramadan

Vendredi 24 février 2012

S’agissant de l’islam, il faut commencer par un constat : les sociétés arabes et majoritairement musulmanes manquent sérieusement de spiritualité. Nous ne parlons pas d’un déficit de « religion », mais bien de spiritualité, et ce chez les islamistes comme chez les laïques et l’ensemble des citoyens ordinaires. La religion se réfère au cadre, aux rituels, aux obligations et aux droits des croyants et des pratiquants ; elle est au cœur des débats sociaux et politiques. Dans la tradition musulmane classique, ce cadre, cette référence et ces pratiques se comprennent – comme c’est d’ailleurs le cas pour toutes les religions et spiritualités – à la lumière de la relation au sens (ici au divin), à la conception de la vie et de la mort, à la vie du cœur et de l’esprit. Or le discours islamique contemporain s’est trop souvent vidé de la teneur du sens, de la compréhension des finalités et de l’état des cœurs. De plus en plus, il se réduit à une approche réactive, préoccupée d’abord par la protection morale des fidèles et fondée sur le rappel des normes, des rituels et surtout des interdits. Or la spiritualité n’est pas la foi sans la religion, mais bien la quête du sens et de la paix du cœur comme essence de la religion. Les sociétés majoritairement musulmanes manquent profondément, en ce sens, de sérénité, de cohérence et de paix. Une émancipation spirituelle et religieuse s’impose.

Le déclin de la civilisation islamique, puis la colonisation, sont passés par là, comme d’ailleurs l’expérience historique de la résistance politique et culturelle. La compréhension de la religion et de la référence islamique s’est peu à peu adaptée aux nécessités de ladite résistance : chez les savants musulmans traditionnels (ulama) comme dans les mouvements islamistes – qui souvent ont commencé avec des aspirations mystiques –, la norme morale, les prescriptions alimentaires et vestimentaires et le rituel strict ont été de plus en plus prédominants dans l’affirmation de soi, et ce dans l’exacte mesure où le danger de la colonisation culturelle et de l’aliénation était perçu et ressenti au cœur des sociétés arabes. Engagés dans la résistance politique, les mouvements islamistes se sont peu à peu focalisés sur cet objectif en délaissant le cœur spirituel de la pratique religieuse. Entre le discours des autorités et des institutions religieuses traditionnelles et celui des islamistes, soit rigoristes soit hypnotisés par la seule libération politique, il n’y a que peu de réponses offertes au questionnement spirituel des citoyens ordinaires sur le sens, la foi, le cœur et la paix. Il faut ajouter à cela le discours de certains courants laïques arabes qui importent de l’Occident des compréhensions discutables et des contresens sur la sécularisation et son institutionnalisation, les confondant avec l’absence de religion et/ou le désintérêt, voire le rejet de l’ordre spirituel qui pourrait lui être attaché.

Le vide est patent et l’on voit réapparaître des mouvements mystiques (soufis), parfois respectueux des normes, parfois charlatanesques, qui répondent plus ou moins aux aspirations populaires. Ces mouvements ou cercles soufis sont très divers, mais ils proposent souvent une sorte d’exil vis-à-vis des affaires du monde, par opposition d’ailleurs au traditionalisme ritualiste des institutions ou à l’activisme des islamistes. Il s’agit de s’occuper de soi, de son cœur, de sa paix intérieure et de ne point prendre part aux inutiles débats sociaux et politiciens. Les cercles mystiques ont cette particularité de réunir en leur sein – certes dans des regroupements séparés – les élites éduquées en quête de sens et les citoyens ordinaires, jusqu’aux plus démunis, qui éprouvent un besoin d’assurance allant jusqu’à la superstition. Les enseignements y sont souvent très généralistes et idéalistes – sans grand lien avec la complexité du réel – et les affiliations politiques s’y expriment parfois par un soutien passif voire affiché aux régimes en place, fussent-ils dictatoriaux .

Il faut ajouter encore qu’un grand nombre de cercles soufis tombent dans la double tentation du culte de la personnalité du cheikh ou du guide (murshid) et/ou de l’infantilisation des initiés (murîd) : ces derniers peuvent être très éduqués et diplômés, tenir de hauts rangs dans la hiérarchie sociale et, dans le même temps, remettre leur cœur, leur esprit, voire leur vie dans les mains d’un guide censé représenter la voie ultime de leur épanouissement. Cette culture de la déresponsabilisation répond étonnamment aux modes de l’époque : il s’agit de délaisser le monde et de vivre une sorte de confusion entre l’épanchement émotionnel (les scènes d’effusion et de révérence l’endroit des guides soufis, en Orient comme en Occident, sont déroutantes, inquiétantes et dangereuses) et l’exigeante initiation spirituelle. Alors que celle-ci devrait être libératrice, garantir l’autonomie par la maîtrise de l’ego et permettre la cohérence entre la vie intime, privée et publique, on assiste au contraire à l’entretien de vies parallèles : une spiritualité dite soufie, mariée à des comportements sociaux (et politiques) égocentriques, cupides, intéressés et parfois immoraux. Les élites et la bourgeoisie arabes y trouvent leur compte, ainsi d’ailleurs que les populations les plus fragilisées socialement.

Entre le ritualisme exacerbé des institutions religieuses officielles et la politisation obsessionnelle des leaders islamistes, la soif de sens (qui s’exprime à partir de la référence culturelle et religieuse) cherche des modes d’expression adaptés. La mystique apporte parfois cette solution. Il faut néanmoins s’arrêter un instant sur les effets concrets de ces phénomènes liés à la crise spirituelle, et donc religieuse. Dans tous les cas de figure, on assiste à des enseignements qui ne promeuvent pas l’autonomie de l’être humain, son bien-être et son assurance dans la vie quotidienne, individuelle et sociale. Les institutions traditionnelles, représentant ou enseignant l’islam, produisent, par leur formalisme et leur focalisation sur les normes, une double culture de l’interdit et de la culpabilisation. La référence religieuse y devient un miroir dans le reflet duquel le (la) croyant(e) et/ou le (la) pratiquant(e) doit juger de ses déficiences : ce discours ne peut enfanter que du mal-être. L’approche islamiste, qui entend libérer la société et la politique des influences étrangères, a – sur le long terme – donné naissance à une culture de la réaction, de la différenciation et souvent du jugement (qui est musulman ? qui est légitime en tant que musulman ? etc.). L’attitude est parfois victimaire et ce même dans la façon de s’affirmer face à l’opposition. L’activisme social et politique a pris le dessus sur les considérations spirituelles et la lutte pour le pouvoir a eu parfois raison de la quête de sens.

Les mouvements et cercles mystiques, répondant au vide dont nous parlions, ont très majoritairement appelé les initiés (murîd) à se préoccuper d’abord de leur personne, de leur cœur, de leur pratique et de leur paix intérieure. On constate autour d’eux une véritable culture de l’isolement, de la passivité en matière sociale et politique et de la déresponsabilisation : comme si la spiritualité devait s’opposer à l’action. Il faut noter néanmoins que de grands nombres de cercles soufis tiennent des discours sociaux et politiques et n’hésitent pas à appeler leurs adeptes à s’engager dans leur société. Entre la culture de l’interdit, celle de la culpabilisation, ou encore celle de la réaction, de la posture victimaire, de la déresponsabilisation ou de l’isolement, que reste-t-il au monde arabe comme option en termes de réconciliation positive avec son héritage culturel, religieux et spirituel ? Comment promouvoir une culture du bien-être, de l’autonomie et de la responsabilité ? C’est bien là le sens de notre propos sur la redécouverte et la réappropriation d’une spiritualité qui habite les cultures orientales, mais qui se trouve également au cœur des traditions juive, chrétienne et islamique et, plus largement, des spiritualités. Les soulèvements sociaux et politiques ne peuvent négliger cet aspect : il n’est pas de démocratie ni de pluralisme viables dans une société sans le bien-être des individus, des citoyens et des communautés religieuses qui la constituent.

© Tariq Ramadan 2010
Publié le 24 février 2012

 

 

   

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Source : Tariq Ramadan
http://www.tariqramadan.com/...

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