Opinion
Erdogan visite
l'Egypte, la Tunisie et la Libye
Tariq Ramadan
Tariq
Ramadan
Mardi 20 septembre
2011
La visite du Premier Ministre Recep
Tayyip Erdogan au Moyen Orient et en
Afrique du Nord a été un immense succès
populaire. Depuis trois ans, son image a
énormément changé. Il est devenu plus
populaire et plus respecté pour
plusieurs raisons : il a été élu et
réélu, et même ses opposants - malgré
leurs critiques - ont reconnu sa
compétence et l’efficacité de son
gouvernement. La Turquie s’améliore de
l’intérieur comme à l’extérieur : moins
de corruption, une meilleure gestion,
moins de conflit et une économie solide(
dix-septième rang mondial aujourd’hui).
Après avoir essayé de s’intégrer à
l’Union Européenne - et après s’être
heurté à une continuelle résistance - le
Premier Ministre ne s’attarda pas et
s’empressa de lancer une politique
étrangère multidimensionnelle en
direction du Sud (Afrique, Amérique du
Sud) et de l’Est (Chine, Inde, Malaisie,
etc.). La stratégie du "zéro-conflit"
conduite par le ministre des affaires
étrangères Ahmet Davutoglu a eu un
impact visible et positif. Sur le front
intérieur, le nouveau rôle assigné à
l’armée a aidé le gouvernement en place
à fortifier la démocratie.
Mais ce n’est pas pour ces bonnes
raisons que l’image du Premier Ministre
Erdogan a changé au Moyen Orient et en
Afrique du Nord. Le 29 janvier 2009, à
Davos, il s’est levé et a quitté la
salle où il débattait avec le président
israélien Shimon Perez. Erdogan
réagissait au massacre de Gaza et
exprimait son opposition et sa
révulsion. La grande majorité des pays
arabes avait gardé le silence; M. Erdogan
a été le premier et sans doute la seule
personnalité politique majeure à
traduire ce que ressentent les Arabes et
les musulmans à travers un acte à la
fois symbolique et médiatique : la
politique israélienne qui a tué des
civils innocents était révoltante et il
a osé le dire, poliment, mais d’une
façon ferme. Ce fut un tournant : le
Premier Ministre turc a montré qu’il
était un leader indépendant à l’écoute
de la rue arabe et turque (même si les
intenses relations économiques et
politiques entre la Turquie et Israël ne
sont un secret pour personne ).
Un an et demi plus tard, lorsque les
commandos israéliens ont attaqué la
Flottille de la Liberté dans les eaux
internationales et tué neuf activistes
turcs pacifistes, M. Erdogan, une fois
encore, fut prompt à réagir : il a
réclamé des excuses officielles et a
campé sur ses positions jusqu’à ce jour.
La Turquie a par la suite expulsé
l’ambassadeur israélien (et d’autres
diplomates de postes inférieurs) et a
suspendu ses liens militaires avec
Israël, démontrant ainsi qu’il ne
s’agissait plus d’un conflit de symboles
mais qu’il était prêt à une
confrontation diplomatique. Les Arabes
et les musulmans ont observé avec
étonnement et admiration. Finalement, au
Caire, il a rappelé à ses hôtes que la
reconnaissance d’un Etat palestinien à
l’Assemblée Générale des Nations Unies
en septembre, "est une obligation, et
non une option", renforçant son pouvoir
symbolique et psychologique. Non
seulement M. Erdogan est un Premier
Ministre qui a du succès, conduisant son
pays vers une transparence politique et
une autonomie politique, mais il est
aussi le champion de la cause
palestinienne internationale. Il
prévient : "Israël ne peut pas faire ce
qu’il veut dans la mer Méditerranée" et
la marine turque "va renforcer sa
surveillance" dans cette zone. Le
message ne pouvait pas être plus
explicite.
Ses visites en Egypte, en Tunisie et
en Libye doivent être analysées à la
lumière de ces antécédents extrêmement
positifs et de sa stature qui a crû de
façon spectaculaire. Il faut ajouter à
cela que le Premier Ministre turc fut le
premier à rendre hommage aux peuples qui
ont manifesté contre les dictateurs.
Très tôt il a appelé Ben Ali et Moubarak
à partir et à accepter la volonté de
leur peuple. Dès le début, il a défendu
l’état de droit, de la transparence et
de la démocratie et les manifestants
tunisiens et égyptiens ont entendu sa
voix. Aujourd’hui il est en visite au
Moyen Orient et en Afrique du Nord en
toute confiance : il a été du bon côté
de l’Histoire et il est resté cohérent
tout au long de la crise. Les
Palestiniens méritent un Etat
indépendant et démocratique, autant que
les Tunisiens, les Egyptiens, les
Libyens et tous les pays majoritairement
arabes et musulmans. Son appel aux deux
courants, islamiste comme laïque,
d’aller au-delà des débats stériles qui
les séparent et d’opter pour un Etat
civil démocratique, est fort autant que
pertinent.
Recep Tayyip Erdogan est intimement
familier de ces débats, venant lui-même
d’une tradition islamiste et ayant à
gérer des résistances laïques en
Turquie : il sait que ces débats ne sont
rien de plus que des pièges
idéologiques. Ce qui est primordial
aujourd’hui c’est de se mettre d’accord
sur les principes démocratiques de base,
de travailler pour la transparence, et
pour le respect de la volonté populaire,
en s’assurant que les soulèvements
populaires ne seront pas détournés soit
par des courants dogmatiques religieux,
soit par de nouveaux despotes laïques,
soit encore par les armées toujours très
puissantes. Il est grand temps de passer
des débats idéologiques inutiles à des
politiques et des réalisations pratiques
et efficaces. : être des musulmans
n’empêche pas d’être des démocrates et
de combiner éthique et politique de
façon pluraliste.
Le Premier Ministre turc sait qu’il
n’y aura pas de démocratie sécurisée
sans stabilité économique. Les
Etats-Unis, les pays européens (avec la
visite de Cameron et de Sarkozy en
Lybie), la Banque Mondiale et le Fond
Monétaire International rivalisent afin
de conquérir des marchés et exercer un
certain contrôle sur le développement
futur de la région. M. Erdogan visite la
région avec une délégation
impressionnante : 200 hommes d’affaires
l’accompagnent et cherchent à améliorer
les liens économiques et à signer des
contrats (pétrole, télécommunications,
transports, services, éducation, etc.).
Il est évident que la Turquie a des
ambitions et cherche à accroître son
rôle international. Dans un nouveau
monde multipolaire, sa présence est le
bienvenu. Si on analyse l’ordre
économique global, on observe un
glissement vers l’Est. Cela n’est point
encore une garantie de davantage de
démocratie et de justice internationale
mais c’est au moins l’espoir d’un monde
mieux équilibré. La Turquie peut et doit
jouer un rôle important si le Premier
Ministre turc et son gouvernement
restent cohérents à la fois dans leur
politique intérieure et étrangère. Il
faut espérer que la Tunisie, l’Egypte,
la Lybie et d’autres pays arabes et
majoritairement musulmans étudieront
l’exemple de la Turquie (ses succès
comme ses revers)et participeront à
cette dynamique. Cela signifierait
l’émergence d’un pôle de pays
nouvellement démocratiques, qui aideront
à réconcilier les musulmans avec la
confiance, l’autonomie, le pluralisme et
le succès.
© Tariq Ramadan
2008
Publié le 21 septembre 2011
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