Une nouvelle polémique a commencé aux Pays-Bas. Au mois de
mai-juin, on m’accusait de « double discours », d’homophobie et
de propos inacceptables à l’égard des femmes. Après
vérification, la municipalité de Rotterdam a précisé que ces
accusations étaient infondées. Aujourd’hui on affirme que je
serais lié au régime iranien et que je soutiendrais la
répression qui a suivi les dernières élections. N’est-il pas
étonnant que cette dernière accusation ne soit apparue qu’aux
Pays-Bas ? Tout se passe comme si j’étais utilisé (avec l’islam)
pour régler des comptes politiques dans la course aux voix alors
que les élections approches. L’ombre de Geerd Wilders n’est pas
loin, lui qui gagne des voix en comparant le Coran au « Mein
Kampf » de Hitler. Je suis devenu l’épouvantail et le prétexte
au défoulement de passions politiques pas très saines : au fond,
cette polémique dit davantage sur l’évolution inquiétante des
Pays-Bas que sur ma personne.
Les attaques sur mon engagement ont été très violentes et il
faut répondre clairement aux accusations. Quand j’ai accepté
d’animer une émission en avril 2008, j’avais pris trois mois de
réflexion en discutant avec des amis iraniens ainsi qu’avec des
spécialistes. J’ai moi-même suivi de près l’évolution du pays et
les tensions internes. Je fus l’un des premiers penseurs
musulmans, en Occident, à prendre position contre la fatwa à
l’encontre de Salman Rushdie. Depuis vingt cinq ans, tout en
relevant que comparativement aux pays arabes, l’Iran avait
avancé en matière du droit des femmes et de l’ouverture
démocratique, j’ai critiqué le manque de liberté d’expression en
Iran, l’imposition du foulard, ou plus récemment la conférence
sur l’holocauste de 2006 (qui entretenait une dangereuse
confusion entre la critique de la politique israélienne et
l’antisémitisme). J’ai bien sûr condamné la répression et les
tirs sur les manifestants à la suite des élections.
J’ai toujours gardé cette ligne critique, et constructive. Je
passe du temps à étudier la vraie nature des dynamiques internes
et je ne me laisse pas influencer par les campagnes de
propagande, ni de l’intérieur du système iranien, ni celle
d’Israël (qui affirme, pour s’innocenter de façon inacceptable,
que l’Iran serait le principal obstacle à la paix), ni celle des
Etats-Unis ou de pays européens qui défendent des intérêts
stratégiques. Les rapports entre les forces religieuses et
politiques sont très complexes en Iran. Une vision binaire, qui
opposerait deux camps – les conservateurs fondamentalistes aux
réformateurs démocrates – témoigne d’une profonde ignorance des
réalités du pays. En sus, les évolutions vers la transparence
démocratique ne se feront pas par les pressions occidentales :
le processus sera interne, long et douloureux. En acceptant
d’animer un show télévisé autour de débats sur l’islam et la vie
contemporaine, j’ai fait le choix du débat critique. On ne m’a
jamais rien imposé et j’ai pu inviter des athées, des rabbins,
des prêtres, des femmes, voilées ou non, pour débattre de sujets
tels que la liberté, la raison, le dialogue interreligieux, le
sunnisme et le chiisme, la violence, le jihad, l’amour, l’art,
etc. Qu’on regarde donc ces émissions et que l’on me dise si on
y trouve une seule seconde de soutien au régime iranien. Le
programme est une opportunité d’ouverture sur le monde et je le
mène dans le respect de tous mes interlocuteurs. En ces temps de
crise en Iran, je veux prendre une décision sereine et juste :
je dois considérer les faits et déterminer la meilleure
stratégie pour accompagner le processus interne vers la
transparence et le respect des droits humains. La polémique et
les débats passionnés comme aux Pays Bas aujourd’hui ne sont pas
de bons conseils et je veux y voir clair avant de me déterminer.
Quand j’ai accepté l’offre de PressTV Ltd à Londres (je n’ai
eu aucun contact avec des autorités iraniennes mais avec des
producteurs de télévision qui offraient un service à la chaine),
je l’ai fait en étant clair sur mes conditions quant aux choix
des sujets et à mon indépendance dans le cadre d’une émission
traitant de religion, de philosophie et de questions
contemporaines. J’ai tout rendu public et mes émissions sont
aussi sur mon site depuis le début. J’ai fait le choix
d’accompagner l’évolution des mentalités sans jamais avoir à
soutenir le régime ni à me compromettre. C’est un choix que
beaucoup d’amis iraniens ont non seulement compris mais
encouragé. Je ne fais pas ce travail pour l’argent et une autre
chaine de télévision d’informations internationales m’a proposé
jusqu’au triple des honoraires. J’ai refusé au nom de mes
principes. Si je le voulais, en changeant de discours politique
et religieux, je pourrais aujourd’hui amasser des fortunes :
tous ceux qui suivent mon travail le savent. Mais flatter les
rois, les princes, les régimes et les fortunes n’est pas ma
philosophie de vie. Mes prises de position m’ont amené à payer
le prix fort et je n’ai jamais cédé : je ne peux me rendre en
Egypte, en Arabie Saoudite, en Tunisie, en Lybie, en Syrie car
j’ai critiqué ces régimes qui étaient anti-démocratiques et ne
respectaient pas les droits de l’homme. Les Etats-Unis ont
révoqué mon visa à cause de mes virulentes critiques contre les
guerres en Afghanistan et en Irak et le soutien unilatéral à
Israël. Ce dernier pays m’a fait savoir que je n’y serai jamais
le bienvenu. Un conseiller de l’ambassade de Chine m’avait
murmuré un rien menaçant, il y a vingt ans, que mon engagement
auprès des Tibétains ne passeraient pas inaperçu auprès les
autorités de son pays.
J’ai toujours assumé mes choix, je n’ai jamais soutenu une
dictature ou une injustice dans les sociétés majoritairement
musulmanes comme dans tout autre société. Quant à ceux qui me
reprochent « le principe » de présenter un programme de
télévision dans une chaine iranienne, je réponds que travailler
pour une chaine de télévision n’impose pas de soutenir un
régime. Si l’acte politique était si simple, il faudrait
d’urgence que mes détracteurs, si férus d’éthique en politique,
demande au gouvernement néerlandais de mettre immédiatement un
terme aux relations politiques et économiques avec l’Iran,
l’Arabie Saoudite, l’Egypte, Israël ou la Chine. Curieusement,
je n’entends pas ces voix. Comme je ne les ai pas entendues
quand la municipalité de Rotterdam m’a lavé des fausses
accusations de « double discours » ou « d ‘homophobie » ou
encore quand la Cours fédérale américaine à inverser en ma
faveur le jugement du tribunal de première instance concernant
la révocation de mon visa. Pourquoi ce silence ? Pourquoi ces
accusations à géométrie variable ? Parce que ces campagnes ne
sont que des prétextes destinés à attaquer un « intellectuel
musulman visible » et ainsi de gagner des voix sur la peur et le
rejet de l’islam. Tous les moyens sont bons pour gagner des
électeurs, même les moins dignes, même les moins honnêtes. Je
respecte les principes, mais je ne plierai pas devant la
propagande malsaine. Non pas seulement pour mon honneur mais
également pour celui de notre humanité et de notre avenir.