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Opinion

La France : Une Marianne, ni tout à fait la même, ni tout à fait une autre
Tariq Ramadan


Tariq Ramadan

Vendredi 13 avril 2011

Dans la mémoire collective de la France, il reste encore quelques résidus de son ambition universaliste et séculaire, celle qui motiva la colonisation - au nom de la mission civilisatrice autant que de la défense de ses intérêts économiques et géostratégiques internationaux. Les gouvernements successifs ont tous défendu le destin particulier de la "Nation française" et se sont tous voulus conquérants quant à leurs valeurs, et indépendants quant à leur politique. Sous la Vème République, l’ambition est demeurée la même et la vision et le verbe des dirigeants se sont toujours prévalus de cette perception de soi, confiante, revendiquant son caractère exceptionnel. De l’exception culturelle à l’exceptionnel destin, la France avait le devoir de se distinguer. Elle chercha à le faire, parfois avec fierté, parfois avec arrogance. On en a vu des accents encore, quand la France refusa de s’engager dans la guerre du Golfe et l’invasion en Irak. La France disait non aux États-Unis, à la Grande-Bretagne et à Israël, et affirmait sa singularité courageuse portée par sa destinée. Cette revendication demeure.

Pourtant à l’heure du bilan préélectoral du président Nicolas Sarkozy, force est de reconnaître que si les ambitions demeurent, les réalités ont bien changé. La France n’est plus tout à fait la même. Sur la scène internationale, jamais la France ne fut aussi atlantiste, si alignée sur les positions américaines. On aurait pu penser -à l’heure de l’émergence de nouveaux pôles d’influence tels que la Chine, la Russie, l’Inde, l’Afrique du Sud ou l’Amérique latine - que la France allait pouvoir se positionner favorablement dans le nouveau monde multipolaire. Il n’en est rien. A l’analyse des faits récents, la France a été totalement marginalisée dans le dossier tunisien. Elle n’a pu que constater le temps d’avance de l’administration américaine sur "son propre terrain" nord-africain. C’est au gré d’accords avec l’administration américaine que la France s’engage en Côte d’Ivoire et prend les devants en Lybie. Les prochains mois confirmeront encore les contours de cette alliance stratégique au Nord du Mali et du Niger, devenues des régions cruciales depuis la découverte de nouveaux et riches gisements. Ainsi, en Afrique, au Moyen-Orient (où jamais la France n’a été aussi pro-israélienne), en Afghanistan et plus largement en Asie, la France s’est rangée dans un camp et n’a plus une once de politique indépendante. Le discours peut bien mettre en scène les accents de l’exception ; les faits inscrivent la France dans le concert des nations secondaires, et désormais très ordinaires.

Au niveau européen, le président Nicolas Sarkozy a voulu se présenter comme la locomotive politique du projet européen, le maître d’ oeuvre en temps de crise, l’artisan des réformes aux côtés, bien sûr, de l’Allemagne. À l’analyse, au-delà des mises en scène et des jeux de rôles, force est de constater que la France est à la remorque de l’Allemagne qui est devenue son quasi modèle de gestion économique. Un tel alignement était impensable il y a quelques années encore : le pouvoir français, qui fut si impliqué dans la définition de la philosophie du projet européen, dans sa vision et ses objectifs, en est réduit à un rôle de gestionnaire technocratique qui fait la part belle aux banques, aux multinationales, aux riches et qui n’a d’autre choix que de célébrer la réussite allemande quand sa propre situation se rapproche chaque jour davantage de celle de l’Espagne en péril. Mais encore une fois, si tout a changé dans les faits, le discours reste le même : on soigne les postures et entretient les symboles comme c’est le cas sur le dossier turc. La France se veut garante des idéaux européens au point de sciemment chercher à se confronter à la Turquie émergente, considérée comme "non européenne", "trop musulmane", toujours encore "l’autre". Et de vouloir établir des lois mémorielles absurdes quant au génocide arménien. Une bravade, un non-sens, à l’image des contradictions de la France actuelle : il s’agit d’entretenir des symboles politiques trompeurs alors même que leur substance s’est évidée.

Nouveaux symboles, anciennes méthodes. Sur le plan intérieur, l’actuel Président voulait montrer une nouvelle image de la France. Il choisit trois femmes "issues de l’immigration" et les "intégra" au gouvernement. Elles devaient symboliser cette France "de la diversité" : l’expérience tourna court et les démons de la France refirent surface au cœur d’une société où rien au fond n’avait changé. La fracture sociale, la discrimination et le racisme structurels, la ségrégation géographique créant des ghettos (de laissés-pour-compte autant que de riches) demeurent des réalités objectives. Depuis 2005, et les émeutes des banlieues, rien n’a changé. Les citoyens pauvres des cités, blancs, noirs, arabes, ou autres, sont des citoyens de seconde catégorie, toujours stigmatisés, toujours suspectés. Ils peuvent bien refuser d’être des victimes, la machine à marginaliser et à créer cet "autre" dangereux est efficace. Les discours politiques entretiennent la confusion : immigration, islam, intégration pour ne pas parler de rapports de classes (riches-pauvres), d’injustices sociales ou de racisme. Ethniciser ou islamiser les problèmes sociaux est devenu la constante dans la quasi totalité de la classe politique. Cette posture politique instruit le retour de la mentalité coloniale : hier, en colonisant, on parlait de mission civilisatrice pour éviter de reconnaître la spoliation économique et politique. Aujourd’hui, à l’intérieur, on parle des problèmes culturels et religieux pour éviter de reconnaître les injustices socio-économiques : la même structure mentale, le même évitement, la même exploitation. Le ministre de l’intérieur, M. Guéant, ira jusqu’ à affirmer que certaines civilisations valent davantage que d’autres. La boucle est bouclée : la pensée coloniale se marie avec la politique nationale. Notre Marianne n’est effectivement, ni tout à fait la même, ni tout à fait une autre.

Les élections françaises se rapprochent et pendant ces dernières années, on a entendu parler de foulards, de niqab et de burqa, de prières dans la rue, de la viande halal, de l’immigration (alors même le peuple tunisien se libérait d’une dictature soutenue par la France), de civilisation, puis enfin de jihadisme et de sécurité. La pauvreté générale du débat politique est certes une caractéristique de la campagne électorale, mais il est vrai que l’absence de la question sociale et économique et l’hypertrophie de la question de l’islam, de la sécurité et de l’immigration sont révélatrices d’un climat très malsain. Tout se passe comme si la France avait de la peine à se regarder en face et à écouter les voix qui la parcourent. Un aveuglement et une surdité politiques inquiétants s’installent dans le pays et la méfiance règne. La France demande aux Français de confession musulmane d’être autonomes alors que le gouvernement ne cesse de gérer la question religieuse ( et celle de l’appartenance) à travers les ambassades d’Algérie, du Maroc, d’Arabie Saoudite ou du Qatar (il y a loin entre la prise en charge de l’islam et des cités et la gestion du Paris Saint-Germain). Nous assistons à une quotidienne instrumentalisation politique de thématiques controversées, de polarisations crispées, voire hystériques. La France est en train de changer et des politiques trompent leurs électeurs en entretenant la peur, et en leur faisant croire qu’elle peut rester la même. Contre le sens de l’histoire. Il faudra bien pourtant changer de lunettes et de perspectives politiques. C’est une question de temps : un Français peut désormais être un Blanc, un Asiatique, un Africain, un Arabe, un athée, un hindou, un bouddhiste, un juif, un chrétien, un musulman ou autres. La France est une République une, indivisible, et pluriculturelle. Son histoire est faite de mémoires et son avenir impose de respecter l’égalité de la dignité et des droits autant que la célébration confiante de la diversité dans la justice. Il faudra du temps. La présente campagne nous révèle tout ce qu’il ne faut pas faire : au-delà des prochaines échéances électorales, l’histoire imposera de penser et de gérer les affaires publiques de façon tout à fait différente. Si la France veut rester la même quant à ses valeurs théoriques, il est impératif qu’elle change quant à ses pratiques politiques.

© Tariq Ramadan 2010
Publié le 14 avril 2012

 

 

   

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Source : Tariq Ramadan
http://www.tariqramadan.com/...

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