Accueil Actualité IRIB Dossiers Auteurs Communiqués Agenda Invitation à lire Liens Ressources
Dernières mises à jour La Voix de la Russie Journaux de Cathy et Marc Les vidéos Centre d'infos francophone Ziad Medoukh Centre de la Paix Gaza Université al-Aqsa Gaza Qui? Pourquoi?

Google
sur le web sur Palestine Solidarité

 

Centre Palestinien
d'Information :




Invitation à lire :





BDS :



Solidarité :



Produits palestiniens :



En direct d'Iran :



Voix de la Russie :



Palestine Solidarité
sur Facebook :






Opinion

Interpréter la crise au Moyen-Orient
Tariq Ramadan


Tariq Ramadan

Mardi 9 octobre 2012

Les manifestations qui ont eu lieu en Egypte, en Libye puis se sont exportées à travers les sociétés majoritairement musulmanes, au Pakistan, en Indonésie et en Afghanistan, ont répandu la violence et la mort. Des diplomates et des civils tués, des propos de rejet et de haine vis-à-vis des Etats-Unis : la tension est à son comble et elle semble la meilleure preuve du bienfondé des thèses défendant le conflit irrémédiable des civilisations, et essentiellement de l’Islam contre l’Occident. Alors que les soulèvements arabes de ces deux dernières années avaient permis de croire que les sociétés majoritairement arabes chérissaient les mêmes valeurs de liberté, de justice et de démocratie, voilà des vagues de violence qui tendent à prouver le contraire. A cause d’un extrait de film islamophobe et raciste, les musulmans perdent la raison et expriment leur haine des Etats-Unis et de leur gouvernement (alors que ceux-ci ne sont pas même responsables du film en question). Lors d’une récente visite aux Etats-Unis, des intellectuels et des journalistes me demandaient : ne nous sommes-nous pas trompés, durant le réveil arabe, en pensant que les musulmans étaient capables d’embrasser les idéaux démocratiques ?

Il faut dire et répéter, au-delà de la couverture médiatique qui amplifie les faits, que ceux qui manifestent et sont violents sont une infime minorité dans les sociétés majoritairement musulmanes. Il serait erroné de considérer que quelques milliers de manifestants violents représentent les musulmans alors que des millions sont descendus dans la rue de façon non violente et disciplinée et ont fait tomber les dictateurs. Il faut condamner sans condition ces violences contre les ambassades et les civils (ces actions sont clairement anti-islamiques) et il faut, en même temps, essayer de comprendre leurs causes. Au-delà du sentiment, sincère et partagé par les musulmans, d’être insulté et méprisé de façon grossière et haineuse par ce film, il existe des enjeux internes aux sociétés majoritairement musulmanes qu’il ne faut point négliger. Depuis cinq ans environ, les groupes salafi littéralistes (souvent appelés wahhabi) sont politiquement plus visibles et cherchent à avoir un rôle plus déterminant dans l’avenir des sociétés majoritairement musulmanes. Le cas isolé de l’Afghanistan – quand leurs organisations avaient soutenu les Talibans contre les Russes dans les années quatre-vingt dix - tend à se répandre : en Egypte, en Tunisie, en Libye, au Nord du Mali de même qu’en Asie, il existe une nouvelle donne des salafis, actifs, politisés et qui cherchent à avoir un rôle prépondérant au cœur des évolutions actuelles. Une minorité des salafis s’est tournée vers des groupements radicaux (comme au Mali) mais la majorité s’installe au cœur des débats sociaux et n’hésite pas à promouvoir un populisme religieux en nourrissant les émotions populaires, en diabolisant l’Occident – et surtout les Etats-Unis – et en déstabilisant les processus démocratiques (comme c’est le cas en Tunisie et en Egypte). Ce sont les salafis qui ont d’abord appelé les populations à manifester avant que la violence déborde. On a vu le même phénomène avec l’appel à manifester du leader du Hesbollah , Hassan Nasrallah. Ici encore, on cherche à galvaniser les sentiments populaires, à dépasser le clivage sunnite-chiite en montrant que les chiites chérissent aussi le Prophète, et à se donner un rôle de leader dans l’opposition aux Etats-Unis en tant que défenseur de la dignité de tous les musulmans. On assiste à des conflits de pouvoir et d’autorité religieuse qui vont avoir des conséquences déterminantes sur l’avenir du Moyen-Orient : entre les sunnites eux-mêmes (les littéralistes, les réformistes, les soufis, etc.) et entre ces derniers et les chiites, les divisions sont profondes et peuvent à tout moment provoquer des instabilités, voire des implosions.

Un nouveau populisme utilise l’islam pour mobiliser les foules, nourrir et déplacer leur colère. Car enfin, sans jamais justifier les violences, il faut comprendre les peuples du Sud qui vivent de multiples frustrations sociales et politiques expliquant comment ceux-ci peuvent se laisser emporter par les émotions brutes. La pauvreté, le chômage, la corruption, voire la violence, sont le lot quotidien auquel ils font face en se référant majoritairement à leur religion, au sacré. Et voilà que ceux qu’ils perçoivent comme des nantis d’Occident se moquent de leur foi et ridiculisent la figure du Prophète qu’ils aiment et respectent profondément. On comprend aisément comment des groupes peuvent surenchérir et encourager les peuples à exprimer leur rejet de l’Occident. On notera que lors des controverses au Danemark, aux Pays-Bas ou aux Etats-Unis, les citoyens musulmans de ces pays ont exprimé leur mécontentement de façon calme et démocratique. Des facteurs socioéconomiques expliquent également ces troubles et on aurait tort d’incrimer l’islam et tous les musulmans.

Il reste qu’il faut regarder la réalité en face. La majorité des musulmans du Sud ont une image négative des États-Unis et de l’Occident. Ils ne l’expriment pas par les manifestations et la violence (qui sont répétons-le minoritaires), mais il existe un manque de confiance ancré et profond. Beaucoup d’Américains sont surpris car ils pensent avoir soutenu les peuples arabes au moment des soulèvements. Les Arabes ont la mémoire plus longue et la vue un peu plus large : pendant des décennies les Etats-Unis ont soutenu les dictateurs et les ont protégés. La situation en Irak et en Afghanistan reste très difficile : la politique américaine a provoqué et continue de provoquer beaucoup d’animosité. Le traitement humiliant des prisonniers musulmans à Abu Ghaib et à Guantanamo, qui est resté ouverte malgré les promesses du candidat Barack Obama, sont gravés dans les esprits. Le soutien permanent et unilatéral à Israël est un autre facteur de méfiance et de rejet : quelles que soient les bonnes intentions du Président américain élu, l’impression qui demeure parmi les Arabes est que le lobby sioniste est trop puissant et que l’amitié avec les Arabes s’arrête aux discours et aux vœux pieux. Depuis cinquante ans, les États-Unis semblent n’avoir fait que protéger leurs intérêts et leur sécurité au Moyen-Orient, défendu inconditionnellement Israël, et avoir utilisé et instrumentalisé les Etats arabes, et les Arabes, sans grand respect.

Cette perception est-elle complètement erronée ? La politique américaine (et européenne) est pleine de contradictions et les défis sont de plus en plus nombreux. Les principaux alliés économiques sont les pétromonarchies comme l’Arabie Saoudite, le Qatar ou Bahrain (qui n’ont rien de démocratiques) et dont certaines institutions salafis financent les organisations de même idéologie : celles-là même qui les diabolisent dans les rues de Tunis et du Caire. A l’ère de la transition démocratique au Moyen-Orient (même s’il faut rester très prudent dans l’analyse), il se pourrait que la politique américaine atteigne ici ses limites objectives. Il n’est pas nouveau qu’un sentiment antiaméricain s’exprime dans la rue arabe, mais l’époque a changé. De nouveaux acteurs économiques (Chine, Inde, Russie, Brésil, Turquie, Afrique du Sud, etc.) sont en train d’intégrer le marché du Moyen-Orient. Le déplacement vers l’Est est patent et l’avenir est inquiétant pour les États-Unis, L’Europe et Israël. Au-delà de la violence de certains, il serait bon que l’administration américaine prenne en compte les causes du rejet des peuples arabes et cherche à développer des politiques régionales plus cohérentes, plus justes et plus équilibrées. Sous peine de ne pouvoir - face à la Chine, à l’Inde, à la Russie ou autre nouvel acteur - infléchir la courbe de son déclin. Le candidat Mitt Romney, avec ses propos inconséquents et sa ligne politique, semble clairement accélérer ledit déclin ; le Président Barack Obama, avec ses beaux discours et son absence d’actions concrètes, n’a manifestement pas été capable de le freiner. La rue arabe est fébrile, une ère nouvelle a commencé et c’est dans ce miroir que l’administration américaine devrait réévaluer ses certitudes, ses choix, ses priorités et, en urgence, ses amis.

© Tariq Ramadan 2010
Publié le 9 octobre 2012

 

 

   

Le sommaire de Tariq Ramadan
Le dossier religion musulmane
Les dernières mises à jour



Source : Tariq Ramadan
http://www.tariqramadan.com/...

Les avis reproduits dans les textes contenus sur le site n'engagent que leurs auteurs. 
Si un passage hors la loi à échappé à la vigilance du webmaster merci de le lui signaler.
webmaster@palestine-solidarite.org

Ziad Medoukh :



Analyses et poèmes...


Silvia Cattori :


Analyses...


René Naba :


Analyses...


Manuel de Diéguez :


Analyses...


Fadwa Nassar :


Analyses et traductions...


Alexandre Latsa :


Un autre regard sur
la Russie ...


Ahmed Halfaoui :


Analyses ...


Chérif Abdedaïm :


Chroniques et entretiens ...