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Opinion

De Ben Laden aux printemps arabes
Tariq Ramadan


Tariq Ramadan

Samedi 7 mai 2011

Les réactions à la nouvelle de la mort de Usama Ben Laden ont été très révélatrices depuis 48 heures. Si l’impact symbolique et médiatique a été démultiplié en Occident, les couvertures ont été bien plus sobres et discrètes dans les sociétés majoritairement musulmanes (et dans l’hémisphère Sud en général). Tout se passe comme si, en direct, on voyait se déployer deux regards différents sur le monde et la réalité.

 La rhétorique des réseaux extrémistes violents (al-Qaida ou autres) n’a jamais pris parmi les musulmans du monde. A l’exception de groupuscules qui se sont organisés de façon de plus en plus autonomes ; on a pu constater que le phénomène du terrorisme était un phénomène qui est resté marginal depuis le 11 septembre 2001 et que, dans les faits, il aura tué plus de musulmans que d’Américains ou d’Européens, de Bali à Amman, du Maroc à l’Irak en passant par le Pakistan ou l’Afghanistan.

 La « célébration » de l’exécution de Ben Laden entretient un certain nombre de mystères et de questions que – loin des thèses conspirationnistes – chacun est en droit de se poser. Beaucoup plus que les réjouissances, ce sont ces interrogations qui demeurent dans l’esprit des musulmans (et ne nombreux citoyens occidentaux) à travers le monde. Comment se fait-il que Ben Laden n’ait pas été localisé et identifié avant, dans un lieu si proche d’Islamabad pendant plus de cinq ans ? Quelles relations entretiennent effectivement les services pakistanais et américains à la lumière de leurs communiqués contradictoires ? Pourquoi n’avoir pas essayé de l’arrêter vivant ? Comment justifier l’absence de photographie et le fait de le jeter à la mer (en opposition élémentaire avec le rite musulman qu’on annonce publiquement avoir respecté) ?

 Au-delà de ces questions, et des doutes légitimes qu’elles suscitent, la mort de ben Laden, icône et symbole de la figure du terrorisme, est presque un non-événement pour les musulmans à travers le monde. Sa vision et ses actions n’étaient ni suivies ni respectées comme le confirmaient, enquête après enquête, tous les gouvernements occidentaux ou les rapports d’experts sur la question. Il s’agit surtout d’un événement américain, et occidental plus largement. La mise en scène de l’annonce publique, l’intervention intelligente –et en directe – du Président américain, la fermeté alliée à la nuance du propos ont voulu donner l’impression d’une victoire sereine – sans arrogance – contre le terrorisme et l’ennemi public numéro un des Etats-Unis. Barack Obama, très critiqué à l’intérieur pour son apparent manque de force et de détermination sur les dossiers de la sécurité en général et des guerres en Afghanistan et en Irak, marque un succès autant symbolique que notoire dans la conscience américaine. Non seulement il n’a pas cédé, mais dans le secret, il a commandé une action délicate et victorieuse qui redore son blason de Président fort qui est capable de marquer des points sur les dossiers de la sécurité, de la guerre et plus généralement du respect de la fierté patriotique. Les seules images visibles à ce jour sont celles du Président supervisant méticuleusement l’opération depuis son bureau de Washington : des dividendes médiatiques savamment étudiées et maitrisées.

 Il faut néanmoins regarder plus loin que ce moment d’exubérance qui a été célébré comme une fête dans les rues de New York. Comment va se construire l’avenir au Moyen-Orient au moment où se font face ces deux réalités contradictoires : d’un côté, les révolutions arabes massivement populaires et pacifistes et, de l’autre, la mort du symbole de l’extrémisme violent, leader de groupuscules marginaux et marginalisés ? Il y aura peut-être des actes terroristes de représailles et il faut s’y préparer et réagir de la façon la plus ferme bien évidemment. Il doit pourtant s’agir de maitriser et de combattre des actes isolés et provocateurs qui ne devraient en aucun cas forger une philosophie de l’action politique comme ce fut le cas sous la précédente administration américaine. Il faut traiter le phénomène de l’extrémisme violent pour ce qu’il est : l’action de groupuscules qui ne représentent ni l’islam ni les musulmans mais des positionnements politiques déviants et sans crédibilité dans les sociétés majoritairement musulmanes.

Ce qui doit au contraire façonner une nouvelle philosophie politique quant à la relation avec l’islam et les musulmans doit naitre au creuset des mobilisations populaires pour la justice, la liberté, la démocratie et la dignité en Afrique du Nord et au Moyen-Orient. Ce renouveau de l’Orient devrait être un appel à une approche autocritique de l’Occident qui, au-delà du fait de se réjouir d’avoir éliminé, avec Ben Laden, le "symbole du cancer terroriste", devrait aussi revoir sa politique générale. La présence américaine et européenne en Afghanistan ou en Irak de même que l’absence d’engagement clair dans le conflit israélo-palestinien sont des obstacles à toutes évolutions positives. Il faut ajouter les réalités internes des législations discriminatoires, en atteinte au respect de la dignité et de la liberté des personnes, ou de Guantanamo et de la torture qui sont autant de pratiques qui entretiennent la méfiance vis-à-vis des Etats-Unis et de ses alliés. Le soutien intéressé aux dictatures, au Moyen-Orient, ou parmi les pétromonarchies, nécessite d’être vite reconsidéré sous peine de faire naitre de légitimes questions quant au véritable soutien occidental aux processus de démocratisation dans le monde arabe.

Les sociétés majoritairement islamiques ont aussi une responsabilité majeure quant à la gestion de leur avenir. Les sirènes de la violence et de l’extrémisme n’ont jamais séduit l’immense majorité des peuples et il faut le répéter et s’en réjouir. Il importe désormais, à l’heure du réveil des peuples, que les sociétés civiles ( avec les intellectuels et les partis politiques) se mobilisent, qu’elles fassent le procès de la corruption et de tous leurs manquements quant à l’état de droit et à la justice, qu’elles développent un vrai projet de sociétés libres et démocratiques et qu’enfin elles déterminent les conditions de nouvelles relations avec l’Occident, politiques comme économiques. Car enfin le vieux couple Occident-Islam est quelque peu dépassé et la présence de nouveaux acteurs venus de l’Est, à l’instar de la Chine, est en train de changer la donne au cœur de l’ordre économique mondial. Les Etats-Unis, comme bien d’autres acteurs de l’Amérique du Sud à la Chine ou à l’Inde, en passant par la Turquie, en sont bien conscients : il se pourrait que le "printemps" arabe soit l’automne de la relation de ce dernier avec l’Occident et la voie nouvelle d’un autre printemps à l’horizon plus large, aux confins de l’Est et de l’Orient. Dans le paysage de ces enjeux nouveaux, l’annonce de la mort de ben Laden serait l’équivalent d’un vent affaibli et vieilli, un épiphénomène.

© Tariq Ramadan 2008
Publié le 7 mai 2011

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Source : Tariq Ramadan
http://www.tariqramadan.com/...


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