Nous sommes habitués aux belles paroles et beaucoup, dans les
pays majoritairement musulmans aussi bien que les musulmans
occidentaux, ont fini par ne plus faire confiance aux Etats-Unis
quand il s’agit de discours politiques. Ils veulent des actions
et ils ont raison. C’est bien de cela, somme toute, dont notre
monde a besoin. Toutefois le Président Obama, qui est
particulièrement éloquent et talentueux dans l’usage des
symboles, nous a servi avec son discours du Caire quelque chose
qui ne relève pas seulement de simples mots. C’est tout à la
fois une attitude, un état d’esprit et une vision.
Dans le but d’éviter de dessiner le pourtour d’une vision
binaire du monde, Barack Obama s’est référé à « l’Amérique »,
« l’islam », « les musulmans » et « les pays majoritairement
musulmans » : il n’est jamais tombé dans le piège de parler de
« nous » en les distinguant ou les opposant à « eux » et il a
très vite fait référence à l’islam comme à une réalité
américaine, et aux Américains musulmans comme représentant une
contribution dans sa propre société. En parlant de sa propre
vie, il est allé du personnel à l’universel en affirmant qu’il
sait, par expérience, que l’islam est une religion dont le
message prône l’ouverture et la tolérance. Le vocabulaire et la
substance de son discours étaient importants et nouveaux : il
réussit à demeurer tout à la fois humble, autocritique, ouvert
et exigeant dans un message s’adressant à « nous » tous, entendu
comme « partenaires ».
Les sept domaines qu’il a mis en évidence sont évidemment
critiques. On peut être en désaccord avec la lecture et
l’interprétation que fait Obama de ce qui se passe en
Afghanistan, en Irak et en Palestine (et le rôle des Etats-Unis
dans ces conflits), mais il a clairement évité de négliger ces
sujets et il a appelé toutes les parties à prendre leur
responsabilité afin de faire cesser la violence et de promouvoir
la justice et la paix. Il a clairement reconnu la souffrance des
Palestiniens et leurs droits à obtenir un Etat viable et
indépendant. C’est une première étape nécessaire : l’avenir nous
dira si le nouveau Président a les moyens d’être fort et
cohérent lorsqu’il traitera avec le gouvernement israélien. Il a
laissé ouvert quelques canaux de communication avec l’autorité
palestinienne (appelant à l’unité sans marginaliser le Hamas) et
l’Iran. Il existe et demeure des questions cruciales et il n’y
aura pas de future si on ne les aborde pas avec cohérence et
courage. Les attentes sont immenses et Barack Obama doit encore
montrer son véritable engagement pratique pour la justice et la
paix.
Le Président Obama a fait une distinction importante entre les
principes démocratiques et les modèles politiques. L’Etat de
droit, le libre choix des peuples, le devoir de transparence
sont des principes universels alors que les modèles politiques,
a-t-il relevé, dépendent de facteurs historiques et culturels
dont il faut tenir compte. On espère que l’administration Obama
mettra cette vision en pratique en promouvant la démocratisation
partout tout en respectant scrupuleusement le choix des
peuples : il serait bon de commencer par l’Irak et
l’Afghanistan. Quant aux principes indiscutables de la
démocratie, c’est effectivement un bon rappel…en Egypte, au
gouvernement égyptien, où le Président a prononcé son discours.
Barack
Obama a mentionné sept domaines à considérer. Il a commencé par
les domaines les plus politiques et a intelligemment conclu avec
les questions critiques des « femmes » et de « l’éducation ». Ce
sont là, a-t-il dit, des domaines où nous avons tous à nous
améliorer. Sur ces deux questions, il vint avec des propositions
pratiques et présenta des projets intéressants dans le futur
proche. Faisant face à la crise économique, aux doutes, aux
peurs et aux menaces globales, le monde a besoin que les femmes
soient plus engagées et que l’éducation soit promue partout .
Ces défis communs ont aidé le Président, une fois encore, à
parler d’un « nous » inclusif, un nouveau nous pour ainsi dire,
dans lequel nous sommes partenaires partageant les mêmes
préoccupations, faisant face à des défis similaires et exposés
aux ennemis communs.
Ce discours n’est pas seulement orienté
vers les musulmans à travers le monde. L’Occident et les non
musulmans devrait également l’entendre. Barack Obama parla du
fait de reconnaître la contribution historique de l’islam aux
sciences, au développement et à la pensée. Il aimerait que ses
concitoyens apprennent davantage sur l’islam, qu’ils soient plus
humbles et il attend de tous les « libéraux » de ne pas imposer
leurs vues aux musulmans pratiquants, femmes et hommes. Personne
ne peut imposer une façon de s’habiller ou de penser et nous
devons apprendre les uns des autres : cette référence implicite
à la controverse française autour du foulard islamique était
particulièrement explicite somme toute.
Il cita des textes religieux provenant des
trois religions monothéistes qui chacun avait une dimension
universelle. Comme si le véritable universalisme consistait à
s’éduquer soi-même, à écouter et à respecter autrui. Deux jours
avant son discours au Caire, le Président Obama avait affirmé de
façon surprenante que les États-Unis étaient une grande nation
islamique : il s’agissait pour lui de rappeler aux Américains,
de même qu’à tous les Occidentaux, que les musulmans sont leurs
concitoyens et que l’islam fait désormais partie de leur
identité nationale.
Un discours
particulièrement fort qui ne fut pas seulement un "discours" :
il exprime une vision à la fois positive et exigeante. Quelque
chose a effectivement changé. De la même façon que Barack Obama
alla du personnel à l’universel, nous attendons désormais qu’il
aille de l’idéal à la pratique. Il est jeune, il est nouveau, il
est intelligent et habile : a-t-il les moyens d’être courageux ?
Car cela a à voir avec le courage présidentiel car l’on se
demande s’il est possible pour les États-Unis d’être simplement
cohérent avec leurs propres valeurs. Est-il possible qu’un homme
dépasse et réforme cette tension extraordinaire qui habite la
psyché américaine : promouvoir, d’une part, les valeurs
universelles et la diversité et nourrir, d’autre part, un esprit
auquel il reste des caractéristiques de l’attitude impériale
(intellectuellement, politiquement et économiquement) ? Il ne
pourra réaliser cela tout seul et il apparaît que ses plus
grands compétiteurs sont plus Indiens et Chinois que musulmans.
Cependant il demeure crucial de reconnaître les côtés positifs
d’un discours qui annonce un nouveau départ : il est impératif
que les musulmans prennent Obama aux mots et, au lieu d’adopter
une attitude passive ou victimaire, de contribuer à un monde
meilleur en étant autocritiques et critiques, humbles et
ambitieux, cohérents et ouverts. Le meilleur moyen de pousser
Barack Obama à faire face à ses responsabilités aux États-Unis,
au Moyen-Orient ou ailleurs consiste pour les musulmans à faire
face à leurs propres responsabilités sans diaboliser aveuglément
l’Amérique et l’Occident ni naïvement idéaliser un charismatique
Président afro-américain.
P.S.
Une note personnelle : le Président Barack Obama voulait que
nous " disions la vérité". Il est arrivé que j’exprime quelques
vérités sur l’invasion américaine illégale de l’Irak et le
soutien unilatéral et aveugle des États-Unis au gouvernement
israélien. Pour cela, j’ai été interdit d’entrée aux États-Unis
et le suis encore. Il se peut que ce soit une de ces
incohérences qui font que certains d’entre nous doutent encore
du sens véritable des discours politiques. Une question de
cohérence, une fois encore.