Opinion
Un Etat palestinien ?
Tariq Ramadan
Tariq
Ramadan
Mardi 4 octobre
2011
C’était comme si quelque chose
d’important se produisait à New York, ce
vendredi 23 septembre 2011. Le président
de l’Autorité palestinienne Mahmoud
Abbas, dont le mandat officiel était
déjà terminé, remit au secrétaire
général des Nations Unies, Ban-Ki Moon,
une demande d’une adhésion complète aux
corps internationaux. Le symbole était
fort : dix-huit ans après la signature
des accords d’Oslo, le sentiment qui
prévalait était bien qu’il n’y avait eu
“aucune amélioration.” Le geste de
Mahmoud Abbas apporta de l’espoir.
L’ovation et le soutien de la majorité
de l’Assemblée générale des Nations
Unies étaient impressionnants : la cause
palestinienne a beaucoup de partisans
autour du monde, et non pas seulement
des Arabes ou des musulmans. Pendant
quelques minutes, nous avons été
emportés par des espérances et des
rêves, oubliant - pendant ces quelques
instants seulement - la triste et
sinistre réalité de l’Histoire, des
faits et des chiffres.
Quand le Premier Ministre Israélien
Benjamin Netanyahu prononça son
discours, la terrible réalité remplaça
le doucereux symbole. Parlant un
anglais-américain parfaitement maitrisé
(alors que Mahmoud Abbas parlait en
arabe), le chef d’Etat Israélien de la
droite extrême présenta une autre
version de l’histoire. La reconnaissance
du nouvel Etat palestinien ne serait pas
réalisée lors d’un sommet des Nations
Unies mais à travers des négociations
directes entre Israéliens et
Palestiniens. C’est le seul moyen
d’aller de l’avant, selon lui, et si les
négociations qui ont perduré n’ont
abouti à rien durant ces vingt dernière
années, c’est à cause des réticence
palestinienne à comprendre les exigences
Israéliennes légitimes vis-à-vis de leur
sécurité. Les Palestiniens étaient donc
à blâmer, alors que les gouvernements
Israéliens successifs travaillaient
inlassablement pour une reconnaissance
mutuelle et pour la paix. Il y avait un
lourd silence dans la salle alors que
les délégués écoutaient attentivement ce
discours quelque peu surréaliste. Pas de
symboles émotionnels, pas de faux
espoirs, pas de mise en scène : la plus
pure rhétorique Israélienne, que nous
connaissons tous désormais, et qui sera
par la suite soutenue par les Etats Unis
et, par conséquent, par la soi-disant
communauté internationale.
La demande palestinienne de
reconnaissance sera traitée dans les
mois à venir. Nous savons déjà que rien
ne se produira hormis – comme Netanyahu
le suggéra – une nouvelle série de
négociations interminables qui
n’aboutiront à rien. Les membres du
“quartet” se rencontrèrent à nouveau et
ils promirent de relancer le processus
de paix. Nous voilà invités, au delà des
symboles, à attendre encore une dizaine
d’années encore et à écouter de beaux
discours et d’hypocrites déclarations.
Les faits sur le terrain révèlent une
autre vérité. Avec ou sans les Nation
Unies, avec ou sans le “quartet” et le
processus de paix, Gaza fait face à un
blocus inhumain alors que les colonies
Israéliennes en Cisjordanie
(officiellement approuvées par le
gouvernement Israélien) ont doublé au
cours des cinq derniers années. La
vérité est que pendant que nous parlons
de la solution des deux Etats, les
gouvernements successifs Israéliens la
rendent proprement impossible sur le
terrain avec leur colonisation très
officielle des terres palestiniennes. La
vérité est que, avec ou sans la
reconnaissance des Nations Unies, Israël
ne veut pas la paix avec un éventuel
état palestinien parce qu’il ne veut
tout simplement pas qu’un tel Etat
existe. Nous pouvons nous intéresser aux
symboles et aux rêves ; Israël et les
Etats Unis s’intéressent aux faits et à
la politique.
Un réveil arabe a lieu dans le région
et pourtant il semble clair que rien ne
changera au Moyen-Orient si aucune
solution n’est trouvée au conflit
israélo-palestinien. C’est la question
centrale, cruciale de notre époque. Les
peuples appelant à la dignité, à la
justice et à la liberté en Tunisie, en
Egypte, en Lybie, en Syrie et dans tous
les autres pays d’Afrique du Nord et du
Moyen-Orient doivent comprendre cela.
Ils n’obtiendront pas ce à quoi ils
aspirent au niveau national sans un
profond changement dans la dynamique
régionale. Les soulèvements dont nous
sommes les témoins sont très
nationalistes et les mouvements
démocratiques ne sont pas assez amples
pour pouvoir faire face aux vrais défis
et aux vraies questions. Il ne peut y
avoir de « printemps arabes » tant que
les Palestiniens restent sous une
occupation israélienne illégale et tant
qu’ils souffrent de cette intolérable
oppression.
Nous pouvons blâmer Israël ; nous
pouvons blâmer les Etats Unis et
l’Occident. Mais l’ultime responsabilité
vient du manque de cohérence et de
courage des dirigeants arabes. Il est
facile d’applaudir le discours de
Mahmoud Abbas à New York mais où sont
donc les gouvernements arabes en
réalité ? Ils ont délaissé la cause
palestinienne il y a bien longtemps déjà
et lui accordant quelques propos de
circonstance de temps en temps. Ils ont
été divisés sous les dictatures et ils
semblent le rester même alors qu’ils
tentent de se libérer. L’Autorité
palestinienne est divisée et ne trouve
pas de terrain d’entente. Le moins que
nous puissions reconnaître et que la
stratégie israélienne de diviser pour
mieux régner a été un succès en raison
de la faiblesse endémique des
Palestiniens, noyés dans la corruption
et de mesquines luttes de pouvoir.
Arabes et Palestiniens doivent faire
face aux nouveaux défis et résoudre
leurs problèmes internes. L’Afrique du
Nord et le Moyen-Orient d’une façon
général, et en relation avec le conflit
Israélo-Palestinien en particulier,
exigent un nouvel état d’esprit, une
nouvelle vision, et un nouvel engagement
pour la liberté, la dignité, la justice
et le sens de l’honneur. Nous espérons
non seulement des soulèvements
politiques mais également une
émancipation intellectuelle, une réelle
révolution intellectuelle arabe. Cela ne
peut se produire que loin des
projecteurs, des applaudissements et des
symboles. C’est un long et laborieux
processus qui invitent les esprits et
les cœurs à examiner de façon critique
les manques et les échecs : il exige
d’être prêt à évaluer objectivement la
situation. Il est grandement temps de se
réveiller. Les nouvelles générations qui
exigent la liberté, la dignité et la
justice devraient le comprendre très
vite. Aujourd’hui les plus grands
ennemis des Arabes ne sont ni Israël ni
l’Occident. Ce sont les Arabes
eux-mêmes.
Traduction : Moussa Ramadan
© Tariq Ramadan
2008
Publié le 5 octobre 2011
Le sommaire de Tariq Ramadan
Les dernières mises à jour
|