Il devient de plus en plus
clair que le conflit israélo-palestinien est central pour la
paix dans le monde et pour promouvoir une meilleure entente
entre les sociétés musulmanes et l’Occident. Même le
premier ministre britannique Tony Blair l’a relevé récemment
sur al-Jazeera alors même qu’il s’exprimait sur la détérioration
de la situation en Irak. Or, nous sommes aujourd’hui au bord
de la guerre civile et l’annonce d’élections anticipées
par la Président Mahmoud Abbas a provoqué une flambée de
violence avec le refus catégorique des élus du Hamas et
d’une partie de la population d’accepter cette solution. La
situation est catastrophique et la paix est très éloignée.
On aurait pu espérer
qu’avec la disparition de la scène politique de Sharon et
d’Arafat, qui se connaissaient autant qu’ils se détestaient
profondément, qu’une nouvelle page pourrait peut-être
s’ouvrir et un processus de paix se mettre en marche. Ce ne
fut pas le cas et les choses ont empiré. Ehud Olmert et Kadima
n’ont pas changé d’un iota leur politique vis-à-vis de
celle de Sharon et tout s’est passé comme s’il s’agissait
de gagner du temps. Du côté palestinien, Mahmud Abbas, qui était
l’interlocuteur attendu et voulu par Israël n’a rien obtenu
pendant de longs mois et l’arrivée au pouvoir de Hamas l’a
isolé puis isolé l’ensemble du peuple palestinien sur la scène
internationale. La crise libanaise, la guerre puis les images
des morts innocents du Sud Liban ont marqué une nouvelle
fracture entre les peuples et les gouvernants et non
seulement dans le monde arabe mais également en Occident où le
silence des gouvernements n’a pas été compris. Pendant ce
temps, à Gaza, la terreur continuait de régner les bavures se
sont multipliées avec la mort de familles, de femmes et
d’enfants. Il n’y a plus de processus de paix, plus rien
n’avance dans la région et les Palestiniens asphyxiés sont
au bord de l’implosion.
Il est l’heure de faire une
évaluation critique de la situation. Le problème israélo-palestinien
ne sera jamais la seule affaire de deux peuples, de deux
gouvernements. Nous sommes en face d’un conflit universel qui
dans les perceptions comme dans les faits réunit toutes les
dimensions du « clash des civilisations ». Dans la
psyché global, Israël représente tout à la fois l’Occident,
la culture judéo-chrétienne, le progrès et la démocratie
alors que les Palestiniens représentent l’Orient, la
civilisation musulmane, la tradition et l’ordre autocratique
et souvent corrompu. On peut faire semblant de ne pas prendre la
mesure de ce conflit mais c’est bien de cela qu’il s’agit
aujourd’hui et le fait qu’aucune solution ne soit visible à
l’horizon est une annonce de futurs conflits et de guerres,
non une promesse de paix.
Il faut cesser d’entretenir
de faux espoirs : quels que soient les dirigeants israéliens
(du Likoud, de la gauche ou des religieux) ou palestiniens,
(Mahmud Abbas, le Fatah ou le Hamas), la paix sera impossible si
on laisse ces deux entités face à face. Avec l’ancienne
autant qu’avec la nouvelle génération. L’histoire est trop
chargée et les forces tout à fait inégales. On aimerait espérer
que les Etats-Unis prennent urgemment conscience de leur rôle
et comprennent enfin que leur soutien unilatéral, quasi
aveugle, aux gouvernements successifs israéliens est une folie
suicidaire qui, à terme, desservira clairement les intérêts
de tous et notamment d’Israël dans la région. Le
gouvernement américain s’est trompé en Iraq et continue à
se méprendre profondément au cœur du conflit israélo-palestinien.
Les présents conseillers et acteurs de l’administration Bush
sont aveuglés par leur alliance avec Israël, et sauf à un
changement total de cap, ils continueront à perdre tout crédit
aux yeux des populations musulmanes. La grande puissance américaine
ne pourra plus intervenir que par la force si elle continue à
brûler toutes les cartes de sa diplomatie.
C’est peut-être du côté
de l’Europe qu’il faut espérer un réalignement dans le
conflit. La prise de conscience de la déroute en Iraq, la réaction
des populations européennes aux massacres au Liban et enfin la
détérioration de la situation à l’intérieur des
territoires occupés va nécessairement avoir des conséquences
sur les politiques des Etats européens. Sera-t-il possible à
ces derniers de proposer autre chose, voire de forcer le
gouvernement américain à revoir sa copie au Moyen-Orient ?
C’est ce que personne ne peut déterminer pour l’heure mais
il est clair que le rapport Baker parlant de l’Iran et de la
Syrie comme élément de la solution est un potentiel
repositionnement américain qui a été entendu et compris en
Europe. Il est urgent que les pays européens interviennent dans
le débat et proposent autre chose qu’un soutien mou aux
« modérés » de la région qui n’ont aucune carte
en main et qui ne pourront de toute façon rien faire sans leur
engagement déterminé.
Il n’y aura pas de solutions
au Moyen-Orient sans engagement plus conséquent de la communauté
internationale et particulièrement de l’Europe. Ni les
nouveaux leaders directement impliqués, ni les Etats arabes ne
pourront faire avancer le processus de paix. Revenir aux accords
internationaux et les faire respecter, libérer les territoires
occupés de toute présence israélienne et faire cesser la
construction du mur jugée illégale par les instances
internationales avec l’impérative contrepartie de la
cessation, du côté palestinien, des attentats et les attaques
contre les villes et les civils, voilà le cadre auquel il faut
revenir au plus vite. Il appartient à la communauté
internationale de comprendre qu’elle est un acteur
incontournable que ses représentants doivent prendre langue
avec toutes les parties avec une vision claire et équilibrée.
Elle parviendra à ses fins si, et seulement si, elle propose
une démarche équilibrée et raisonnable. Dans le cas contraire
ses interventions comme ses silences sont contreproductifs. Tous
les mouvements de résistance - quels qu’ils soient du Fatah,
du Hezbollah, du Hamas voire des produits de la rhétorique d’al-Qaïda
- gagneront en force et en légitimité sur le terrain dans le
vide laissé par les instances internationales et le silence
apparenté à une carte blanche offerte à la superpuissance régionale
qu’est en fait Israël.
Que l’on parle de soutien
financier, de commerce d’armes, de la possession de l’arme
nucléaire et des exigences de paix, tout se passe comme si Israël
obtenait des passe-droits que les Etats arabes, perses ou
palestiniens n’acquerront jamais. Les Palestiniens ne sont
point dupes et ils n’écouteront pas les voix qui voudraient
leur faire croire que la solution devra se trouver au gré de
discussions directes avec l’ennemi du jour. Ils savent ce qui
se passe derrière la scène et si les Européens et les Américains
continuent à tromper et à se tromper de derrière ladite scène,
il y a fort à parier qu’il n’y aura pas de paix au
Proche-Orient, autrement dit pas de paix dans le monde. Ces cinq
dernières années nous ont appris que, bon gré mal gré, tout
est connecté : notre silence complice face à la
souffrance au Moyen-Orient nous apportera par voie de conséquence
directe l’insécurité dans notre quotidien. Notre silence est
l’allié objectif de leur violence autant que leurs morts
accompagnent nos nouvelles peurs quant à notre sécurité. Dans
l’aventure chacun de nous y perd quelque chose : au pire
la vie, au minimum la liberté.