Opinion
Syrie : Qui a
raison, qui a tort ?
Tariq
Ramadan
Tariq
Ramadan
Jeudi 1er mars
2012
Cela fait maintenant des mois que la
Syrie est tourmentée par une tragédie.
Des civils ont été torturés et tués par
les forces armées ; la répression du
gouvernement a atteint des niveaux
insupportables et semble ne plus pouvoir
être jugulée. Le monde regarde et les
puissances étrangères - Russie et Chine
d’un côté ; Etats-Unis, pays arabes et
européens de l’autre - sont incapables
de trouver une solution ou de se mettre
d’accord sur un moyen de mettre fin aux
meurtres. Les Nations Unies sont
impuissantes et le monde regarde
passivement : des centaines de Syriens
ont été tués et la répression continue.
Quiconque ose lever la voix ou écrire
sur la question est certain d’essuyer
des attaques émanant des deux côtés.
Pour certains, appeler à la fin du
régime de Bachar al-Assad équivaut à
soutenir les Américains et Israël contre
les musulmans (en particulier les
chiites), les Iraniens et même les
Palestiniens. Sur Internet, ainsi que
sur les réseaux sociaux, les attaques
sont extrêmement véhémentes et sévères :
soutenir l’opposition divisée est au
mieux considéré comme étant le signe
d’une dangereuse naïveté politique, au
pire comme étant un acte de haute
trahison. “Nos ennemis soutiennent les
manifestants”, affirment-ils, “nous
devrions donc soutenir les ennemis de
nos ennemis”. Il n’y a donc d’autre
choix que de prendre le parti du régime.
Mais en politique tout comme en matière
de droits de l’homme, les ennemis de nos
ennemis ne sont pas nécessairement nos
amis.
Il est tout à fait flagrant que les
Américains, les Européens et les
Israéliens ont changé de position (au
départ, ils voulaient une réforme au
sein du régime) : à présent, ils
réclament la démission de Bachar al-Assad.
Il est tout aussi évident qu’ils sont en
contact avec des groupes d’opposants et
leurs dirigeants afin de tenter
d’assurer leurs intérêts dans la région.
Les pouvoirs occidentaux et Israël ne
sont point des spectateurs passifs ; ils
essaient de maintenir leur contrôle,
tandis que les Russes et les Chinois
travaillent à assurer une présence plus
effective au Moyen Orient et ce sur de
multiples fronts.
Tout cela est de notoriété publique ;
la forme du nouveau Moyen Orient qui
émerge est un sujet de grande inquiétude
à la lumière des récents événements
survenus en Libye, en Irak, au Yémen, au
Liban, ainsi que des constantes
pressions exercées sur l’Iran, où la
probabilité d’une attaque est désormais
assez élevée. Il serait dangereux et
irréfléchi de prendre pour argent
comptant les aimables intentions
humanistes que professent les Etats-Unis
ou la Chine, les pays européens, Israël
et la Russie vis-à-vis des peuples
arabes en général et des Syriens en
particulier. Les vies de ceux-ci n’ont
de valeur qu’en fonction des intérêts
économiques et géostratégiques qu’ils
représentent : rien de plus, rien de
moins.
Cela étant dit, l’ultime solution
est-elle de demeurer silencieux et de
soutenir le régime de Bachar ? Lui et
son père furent et sont des dictateurs
qui ont donné l’ordre de tuer des
milliers de civils tout en torturant
impitoyablement leurs opposants. Il
s’agit là de faits ; aucun cœur
sensible, aucun esprit sensé n’est
capable de soutenir de tels tyrans et
d’aussi cruels despotes. La tyrannie
devrait cesser ; Bachar al-Assad devrait
être arrêté et jugé. Son bilan est
terrible, l’œuvre d’un homme ayant perdu
tout sens de la mesure.
Il n’est pas question d’appeler ici à
une intervention étrangère ; peu de
personnes ont été bernées par
l’opération libyenne de protection du
pétrole qui a primé sur celle des
hommes. La soi-disant “communauté
internationale” devrait adopter une
position claire et exercer une pression
sur le régime afin de faire cesser la
répression - une prise de position qui a
peu de chance d’être formulée, il est
vrai. Il revient aux forces d’opposition
de parvenir à un accord minimal et
d’organiser un front solide et uni
pouvant conduire le pays vers le
pluralisme, la démocratie et la liberté
: il s’agit assurément du défi le plus
urgent et le plus difficile auquel les
Syriens font face aujourd’hui. Cela
demeure le seul moyen de convaincre le
monde qu’il existe une véritable
alternative démocratique au régime
tyrannique actuel. Cela signifie
travailler avec un large éventail de
soutiens et de partenaires en Amérique,
en Europe, dans le monde arabe, ainsi
qu’en Asie. A long terme, il s’agira de
leur capacité à tracer la voie dans
notre ordre du monde multipolaire actuel
leur assurant un solide soutien
multilatéral en faveur de leur légitime
résistance.
Aujourd’hui, une telle perspective
semble lointaine. Les conseils
d’opposition sont en concurrence, de
même que la Ligue Arabe, l’Organisation
de la |Conférence Islamique (OCI), a
laquelle il faut ajouter la très
volontariste politique étrangère turque
: tous semblent agir selon les
paramètres révolus contre lesquels on
semble bien ne rien pouvoir faire.
L’avenir est sombre.
A Homs, Hama, ainsi qu’à travers
toute la Syrie, on tue quotidiennement
des civils, on humilie et on torture des
personnes. La culpabilité du régime est
criante, ainsi que l’est notre silence.
Nos larmes ne peuvent suffire si notre
seul soutien consiste à regarder la
télévision et à pleurer. Nos cœurs
peuvent bien verser des larmes, mais le
courage nous a bel et bien abandonné.
Un grand merci à S.H. pour sa
gracieuse collaboration et la traduction
de ce texte
© Tariq Ramadan
2010
Publié le 5 mars 2012
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