Stephen M. Walt
on Washingtonpost.com, 20 septembre 2009
http://www.washingtonpost.com/wp-dyn/content/article/2009/09/18/AR2009091801146.html
Comme nombre de ses prédécesseurs, le
Président Obama découvre rapidement qu’il est quasiment
impossible de convaincre Israël de changer d’attitude.
Obama a pris ses fonctions en étant
déterminé à mener à bien une solution à deux Etats entre les
Israéliens et les Palestiniens. Son initiative inaugurale a
consisté à demander d’Israël qu’il mît un terme à ses
constructions de colonies en Cisjordanie et à Jérusalem Est –
cette ligne dure étant destinée à remplumer le président
palestinien Mahmoud Abbas et à persuader les pays arabes clés de
faire des gestes de conciliation en direction d’Israël. Ces
avancées allaient paver la voie à la création d’un Etat
palestinien viable et à la normalisation des relations d’Israel
avec ses voisins arabes ; elles allaient, par ailleurs,
reconstruire l’image de marque de l’Amérique dans le monde
arabo-musulman.
Hélas, le Premier ministre israélien
Benjamin Netanyahu n’est pas intéressé par une solution à deux
Etats, et encore moins à mettre un terme à l’expansion des
colonies. Son gouvernement et lui-même veulent un « grand
Israël », ce qui signifie le maintien d’un contrôle israélien
effectif sur la Cisjordanie et la bande de Gaza. Sa réponse à
l’initiative d’Obama est allée du traînage des pieds à la
défiance affichée, auxquels Washington n’a que très mollement
réagi.
C’est là une tragédie en cours de
réalisation entre des gens qui ont eu plus que leur part de
malheurs. Si Obama n’est pas capable de mobiliser la volonté et
l’habileté susceptibles de mettre fin à ce blocage, une solution
à deux Etats deviendra impossible et ceux qui aspirent à la paix
se retrouveront dans une posture encore bien pire qu’avant.
Netanyahu, au début (au mois de juin) a clamé que
l’administration Bush avait assuré à Israël que la « croissance
naturelle » des blocs de colonisation existants était autorisée
– une assertion que la secrétaire d’Etat Hillary Rodham Clinton
et d’autres officiels s’empressèrent de démentir. Netanyahu
déclara ensuite que 2 500 unités d’habitation en cours de
construction seraient achevées. Il fit alors une concession
mineure, à la suite du discours à l’adresse du monde musulman
prononcé au Caire par Obama, au mois de juin, en glissant une
simple allusion au passage à « un Etat palestinien
démilitarisé », dans un discours par ailleurs totalement
dépourvu de compromis, à l’université Bar-Ilan. Les conditions
draconiennes exigées par Netanyahu d’un tel Etat faisaient
clairement entendre qu’il ne faisait rien d’autre que lancer à
Obama un os à ronger, afin d’éviter un clash avec un président
américain jouissant alors d’une popularité exceptionnelle.
Plus les avis favorables à Obama
déclinaient, et plus la position de Netanyahu se durcissait. Au
mois de juillet, après que les responsables américains eurent
tenté de bloquer un plan israélien visant à convertir un ancien
hôtel arabe en vingt ‘appartements juifs’ à Sheikh Jarrah – un
quartier arabe de Jérusalem Est -, Netanyahu indiqua à son
gouvernement que « Jérusalem n’est pas une colonie, et il n’y a
aucun sujet de discussion autour d’un quelconque « gel » de quoi
que ce soit, dans cette ville ».
Afin de bien souligner ces propos, les
autorités israéliennes expulsèrent deux familles arabes du
quartier de Sheikh Jarrah : elles y logeaient depuis plus de
cinquante ans.
Puis, en août, un « haut responsable
américain » ayant requis l’anonymat indiqua à des journalistes
que des pourparlers de paix pourraient reprendre sans accord de
gel des constructions de colonies, et Netanyahu a redit qu’il
était opposé à un gel total. Quelques jours après, Israël
autorisait la construction de centaines d’unités d’habitation
supplémentaires en Cisjordanie. En réponse, la Maison Blanche se
contenta d’indiquer qu’elle « regrettait » cette décision,
ajoutant que « l’engagement des Etats-Unis à défendre la
sécurité d’Israël est irréfragable, et il le restera ». Trois
jours après, l’Administration israélienne des Terres lança un
appel d’offres pour 468 nouveaux appartements à Jérusalem Est.
Et il y a tout juste une semaine, Netanyahu a
annoncé qu’un gel total des constructions dans les colonies
« ne se produira pas » et que la construction à Jérusalem « se
poursuivrait normalement ».
Pourquoi Netanyahu défie-t-il ainsi Obama
aussi ouvertement ? Parce qu’il se dédie depuis fort longtemps
au rêve d’un « grand Israël » et que le seul Etat palestinien
qu’il pourrait éventuellement admettre serait un archipel
d’enclaves disjointes, sous un contrôle israélien de facto. Son
gouvernement est encore plus faucon que lui, ce qui signifie que
son gouvernement chuterait s’il faisait des concessions
réellement significatives. De plus, toute tentative d’évacuer ne
serait-ce qu’une partie des plus de 300 000 colons qui vivent en
Cisjordanie risquerait d’entraîner une réaction violente en
Israël, qui pourrait exposer Netanyahu au risque de subir le
même sort que l’ancien Premier ministre Yitzhak Rabin, qui fut
assassiné par un extrémiste juif en 1995.
Selon certains observateurs, la décision
prise par Netanyahu d’autoriser la construction de nouvelles
unités d’habitation n’est qu’un gage donné à ses collègues de
droite, et qu’il finira par donner son accord à un gel
temporaire des colonies et à des négociations sérieuses avec les
Palestiniens. Mais même s’il le fait, l’histoire suggère que
tout engagement à arrêter la colonisation ne serait suivi
d’aucun effet. De précédents gouvernements israéliens avaient
promis, eux aussi, de stopper la construction de colonies,
notamment, pour la dernière fois, avec la signature de l’accord
de la « Feuille de route », en 2003, qui prévoyait un calendrier
formel pour l’établissement de la paix au Moyen-Orient. Mais en
dépit des promesses, le nombre des colons a plus que doublé
depuis le début des années 1990, et il s’est accru d’environ 5 %
par an depuis l’adoption officielle de ladite « Feuille de
route » par Israël, en mai 2003.
Il ne faut pas s’y tromper : l’expansion
des colonies n’est pas l’œuvre d’une poignée d’extrémistes
religieux incontrôlables. Les gouvernements tant travaillistes
que Likoud ont soutenu cette entreprise au moyen de subventions,
d’infrastructures vitales et d’une protection militaire, ainsi
que d’un réseau de routes, de checkpoints et de barrières de
sécurité. En exigeant le gel de la colonisation, Obama tente
d’obtenir d’Israël qu’il mette un terme à un projet que ses
principaux partis politiques poursuivent depuis plus de quarante
ans. Et même si Israël reçoit plus de 3 milliards de dollar des
Etats-Unis chaque année, les efforts de ce pays visant à stopper
l’expansion des colonies et à réaliser une solution à deux Etats
vont très vraisemblablement échouer.
Pourquoi Obama laisse-t-il Netanyahu obérer
ses efforts ? Tout d’abord, le président a trop de pain sur la
planche – la crise économique, la bataille de la sécu,
l’Afghanistan, la question nucléaire iranienne – si bien que
l’attention qu’il est en mesure de consacrer à la paix
israélo-palestinienne est limitée. Et puis il y a le lobby
pro-israélien. La bonne nouvelle, c’est qu’il y a une nouvelle
organisation pro-israélienne, J Street, qui est partisane de la
solution à deux Etats et qui soutient fermement Obama.
Mais il y en a aussi une mauvaise. La
mauvaise nouvelle, c’est que l’American Israel Public Affairs
Committee (Aipac) et d’autres défenseurs du statu quo restent
puissants, et qu’ils vont à n’en pas douter s’opposer à toute
tentative visant à exercer des pressions sur Netanyahu. Ainsi,
en mai, l’Aipac a publié une lettre ouverte avertissant Obama de
la nécessité, pour lui, de « travailler de manière étroite, et
personnellement » avec Israël. Cette pétition a recueilli
quelques 329 signatures
à la Chambre des Représentants et 76 au
Sénat. Durant les congés parlementaires du mois d’août, 56
membres du Congrès se sont rendus en Israël, et le chef de la
majorité (démocrate) à la Chambre des Représentants, Steny H.
Hoyer (du Maryland) a dit à des journalistes qu’il était erroné
de faire de la construction de colonies une question clé et
qu’il existait une « importante différence » entre les colonies
en Cisjordanie et celles de Jérusalem Est.
Si Obama tentait de conditionner l’aide à
Israël à un gel des colonies, le Congrès le débouterait, tout
simplement. Le fait d’exercer une réelle pression sur Israël
risque de lui aliéner des hommes politiques indispensables et
des grands fournisseurs de financements démocrates, ainsi que le
soutien des partisans d’Israël dans les médias, mettant en péril
le reste de l’agenda politique d’Obama et, vraisemblablement,
ses chances d’être réélu. De plus, plusieurs des hauts
conseillers d’Obama, tel que Dennis Ross, sont des partisans
enthousiastes de la « relation spéciale » que l’Amérique
entretient avec Israël, et ils s’opposeraient vraisemblablement
à ce que le levier américain soit utilisé pour contraindre
Israël à faire certaines concessions. Obama et son envoyé
spécial George Mitchell négocient alors qu’ils ont une main liée
dans le dos. Cela, Netanyahu le sait.
Toutefois, au cas où un progrès tangible
vers un Etat palestinien viable ne se produirait pas, et
rapidement, Abbas et d’autres Palestiniens modérés ne pourront
qu’être affaiblis et des formations radicales telles que le
Hamas ne pourront qu’être, au contraire, renforcées.
L’engagement d’Obama à rechercher une solution à deux Etats, et
ses déclarations, au Caire, selon lesquelles « il est temps que
la colonisation israélienne s’arrête », sonneront creux. Israël
sera contraint à réprimer des millions de Palestiniens en
colère, et il ressemblera de plus en plus à un pays d’apartheid.
Comme l’a
dit
l’ancien Premier ministre israélien Ehud Olmert en 2007, l’échec
à parvenir à une solution à deux Etats contraindra Israël à
mener un « combat dans le style sud-africain ». Et si cela
devait se produire, a-t-il mis en garde, « ce sera la fin
d’Israël ».
Au Caire, Obama a dit qu’une solution à
deux Etats est « de l’intérêt d’Israël, de l’intérêt des
Palestiniens, de l’intérêt de l’Amérique et de l’intérêt du
monde entier ». Il a raison, mais ce n’est pas le reste du monde
qui a besoin d’adopter cette vision des choses. Non : ce sont
les Israéliens, qui restent à convaincre, et cela nécessitera
une pression durable des Etats-Unis. Pour réussir, Obama doit
utiliser sa tribune pour expliquer au peuple américain que la
solution à deux Etats est, et de loin, la meilleure solution
pour Israël et que le temps est désormais comté. S’il ne réussit
pas à faire passer ce message, il ne sera que le dernier d’une
longue série de président des Etats-Unis ayant tenté, en vain,
de mettre un terme à ce conflit.
[* Stephen M. Walt, professeur de relations
internationales à l’Université Harvard, est coauteur de
l’ouvrage « Le lobby israélien et la politique étrangère des
Etats-Unis ». Il
collabore à Foreign Policy magazine].
Traduit de l’anglais par Marcel Charbonnier