Opinion
La fuite en avant
de Mohamed Morsi
Soraya
Hélou
Jeudi 20 juin 2013
Quelle mouche a soudain piqué le
président de l'Egypte Mohammed Morsi ?
Le conflit en Syrie plus de deux ans et
c'est maintenant qu'il décide, dans un
discours tonitruant, de fermer
l'ambassade de Syrie dans son pays et de
rompre toutes ses relations avec le
régime syrien. La décision a fait
l'effet d'une bombe tant elle était
inattendue et elle a surtout provoqué un
tollé au sein même de l'Egypte, puisque
les partis politiques de l'opposition,
ainsi que de nombreux ulémas, ont
déclaré qu'ils attendaient de Mosri
qu'il ferme l'ambassade israélienne au
Caire plutôt que celle de Syrie. En
effet, alors que les Frères musulmans se
sont longtemps opposés à la politique du
précédent régime égyptien, critiquant
même son ouverture en direction de
l'entité sioniste, les Egyptiens
attendaient d'eux, une fois au pouvoir,
des décisions plus en phase avec les
causes arabes et en particulier, la
cause palestinienne. Or, le point de
passage avec Gaza n'est pas totalement
ouvert, l'ambassade israélienne est
toujours en place et c'est contre le
régime syrien, qui est l'un des rares à
être encore ouvertement hostile à
«Israël» que Morsi a dirigé ses
critiques et ses mesures drastiques.
De nombreux observateurs font le lien
entre cette position surprenante et la
soudaine décision américaine de fournir
à l'opposition syrienne «des armes
fatales». C'est comme si soudain, le mot
d'ordre américain est arrivé et le
président égyptien a dû s'exécuter. Tout
cela intervient après la victoire des
forces du régime à Qousseir et le
sentiment d'échec au sein de
l'opposition syrienne, qui semble de
plus en plus désorganisée et démotivée,
en dépit des efforts arabes et
occidentaux pour l'unifier et la
renforcer. Alors que des rumeurs
insistantes circulent sur l'imminence de
la bataille d'Alep, dans le cadre d'une
offensive lancée par l'armée syrienne,
les alliés et parrains de l'opposition,
Etats-Unis en tête, ont voulu prendre
toutes les mesures nécessaires pour
empêcher une nouvelle victoire du régime
sur le terrain. La décision de Morsi est
donc venue à point nommé et elle
consiste à donner un nouvel élan à
l'opposition, de la part d'un pays arabe
important, l'Egypte. Mais étrangement,
l'armée égyptienne, qui depuis la prise
en mains des pouvoirs par Mohammed Morsi
se tient relativement à l'écart, n'a pas
voulu se laisser entraîner dans ce
sillage. Dans un communiqué d'une rare
clarté et d'une grande fermeté, elle a
déclaré qu'elle n'a pas l'intention de
combattre l'armée nationale d'un pays
frère, laissant ainsi le président
Mohammed Morsi se débattre tout seul
dans ses contradictions. Cette dualité
entre l'armée et le président a
d'ailleurs fait l'objet de nombreux
commentaires dans les médias égyptiens
et arabes, pour la plupart choqués par
la décision présidentielle de couper
tous les ponts avec le régime syrien.
Certains commentateurs voient déjà dans
le communiqué de l'armée égyptienne une
volonté claire de ne pas se laisser
faire et d'avoir un mot à dire sur les
affaires importantes de l'Etat, alors
que depuis son avènement, Mohammed Morsi
n'a cessé de chercher à la marginaliser
et à lui retirer ses prérogatives. On
sait pourtant que malgré la prise du
pouvoir par les Frères musulmans,
l'armée égyptienne reste influente sur
la scène interne. Avec l'augmentation
des protestations contre la politique de
Morsi et ses décisions, et avec la
multiplication des incidents et des
dérapages, sans parler des
manifestations populaires régulières
contre le président, l'armée a sans
doute jugé le moment opportun pour
refaire sa réapparition et fixé des
gardes fous, tout en
rappelant à ceux qui ont eu tendance à
l'oublier qu'elle reste un acteur
décisif en Egypte.
La décision du président égyptien de
rompre les liens avec le régime syrien
montre donc avant tout sa confusion et
l'incohérence de sa politique qui se
débat entre tantôt une tentative
d'ouverture en direction de l'Iran et
tantôt les exigences des pays du Golfe
dont il dépend en grande partie sur le
plan financier et économique, sans
parler de ses liens douteux avec les
Etats-Unis et le maintien de ses
relations avec l'entité sioniste, ainsi
que son incapacité à gérer le dossier
palestinien qui était pourtant
traditionnellement sa chasse gardée. De
plus, l'Egypte doit désormais faire face
à un nouveau problème avec le barrage
que compte construire l'Ethiopie sur le
Nil et son incapacité à empêcher
l'exécution d'une telle décision. Sa
décision spectaculaire ressemble donc à
une fuite en avant et à une manière de
se gagner les faveurs de l'occident et
des pays du Golfe pour alléger les
pressions de l'opposition. La manœuvre
est claire et elle ne sera probablement
pas couronnée de succès, parce qu'en
rompant ses relations avec le régime
syrien, dans un tel contexte, le
président égyptien découvrira qu'il a
plus à perdre qu'à gagner...
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