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Opinion
Derrière les lourdes
grilles des prisons...
Soraya Hélou
Jeudi 7 avril 2011 Des détenus désespérés et prêts à tout, des
conditions de vie inhumaines, des forces de sécurité corrompues
et avides, l’image des émeutes à la prison de Roumié auraient dû
secouer les consciences des responsables libanais. Pour bien
moins que cela, un gouvernement aurait sauté dans un pays
démocratique. Mais au Liban, rien ne bouge. Sauf un ministre de
l’Intérieur débordé qui tente de donner l’impression d’une
action et qui en fait explique son incapacité à agir.
L'Etat tant chanté par le 14 mars par opposition au prétendu
mini-Etat du Hezbollah offre une bien piètre allure. Totalement
débordé, incapable de la moindre décision constructive et
surtout méprisant des droits élémentaires des citoyens,
fussent-ils des détenus.
Trafics de toutes sortes, tortures, corruption, abus sexuels,
traitements privilégiés pour certains et inhumains pour
d’autres, nos prisons sont depuis le temps l’image cachée de
tous nos travers. Le problème est ancien et les alertes
nombreuses, mais l’Etat n’a jamais voulu entamer une action de
réforme en profondeur. Déjà, dans les années 90, le ministre de
la Justice de l’époque Bahige Tabbarah avait proposé un projet
de réformes de fond sur système pénitentiaire libanais qui
reposait sur un transfert de la responsabilité des prisons du
ministère de l’Intérieur à celui de la Justice pour que le
traitement de ce dossier ne soit pas exclusivement sécuritaire
et prenne en compte l’aspect humain et la réinsertion sociale.
Aussitôt, le tout puissant ministre de l’intérieur de l’époque
Michel Murr avait protesté estimant qu’il s’agit là d’une
atteinte à son ministère et que les détenus ne peuvent pas être
traités comme des enfants de chœur. Il n’était visiblement pas
le seul à penser ainsi au sein de l’appareil étatique puisque le
sujet n’a plus été évoqué.
Chaque deux ou trois ans, le problème s’est de nouveau posé,
les médias s’y sont intéressés et à chaque fois, le dossier a
été refermé sans la moindre décision. Officiellement, il y a
toujours eu d’autres priorités et avant de donner leurs droits
élémentaires aux détenus, il faut s’occuper des citoyens libres
eux aussi nécessiteux. En réalité, l’Etat ne s’occupe ni des uns
ni des autres et aujourd’hui, ce dossier que tout le monde
préfère oublier revient de nouveau à la une de l’actualité. Les
médias se précipitent sur un sujet en or, les condamnations
pleuvent, les responsables expriment leur impuissance et aucune
solution en profondeur n’est trouvée. Pourquoi? La vérité est
que le dossier du système carcéral libanais n’intéresse
personne. Les détenus sont décrétés coupables et par conséquent,
les responsables préfèrent concentrer leurs efforts sur des
sujets plus populaires capables de leur apporter des voix aux
élections au lieu de traiter des questions qui relèvent des
principes élémentaires d’humanité.
Une fois les lourdes grilles des prisons fermées, les
responsables préfèrent oublier ce qui se passe à l’intérieur.
N’étaient les familles des détenus et quelques vagues rapports
d’institutions internationales, nul ne saurait que les détenus,
coupables en voie de jugement sont traités comme des animaux et
sont privés de la plus élémentaire dignité humaine. Toutes les
vicissitudes de l’âme humaine ont libre cours derrière les
grilles des prisons libanaises dans l’indifférence générale. Les
néo-souverainistes et autres défenseurs des libertés et des
droits de l’homme sont ceux qui s’en soucient le moins. Dans
leur monde du paraître, les droits des détenus n’ont pas de
place. Ce n’est pas un hasard si le président du tribunal
spécial pour le Liban Antonio Cassese qui, par ailleurs, n’est
sans doute pas irréprochable, n’a pu s’empêcher de relever un
jour que les détenus (notamment les quatre généraux) dans
l’affaire de l’assassinat du premier ministre Rafic Hariri
étaient privés des droits élémentaires des détenus dans les
prisons libanaises. Sans cette intervention, les quatre généraux
auraient continué à subir toutes les humiliations possibles et
imaginables pendant leur période de détention injuste de la part
de ceux qui considèrent le système judiciaire comme un moyen de
vengeance personnelle. Et ce sont les mêmes qui se présentent en
défenseurs de l’Etat et de ses institutions…Avec le ras le bol
des détenus de Roumié qui risque d’ailleurs de s’étendre à
l’ensemble des prisons du Liban, qui peut être encore dupe?
Article publié sur Résistance islamique au Liban
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