Ecologie
Quand
l'agriculture paysanne arrive au cœur
des quartiers populaires
Sophie Chapelle
Jeudi 9 février
2012
Terminés les paniers bios réservés
aux « bobos ». Dans la ville ouvrière de
Saint-Étienne, associations de quartier
et paysans travaillent ensemble pour
livrer des légumes de saison et des
produits sains au plus près des
quartiers, tout en créant des emplois.
Rencontre avec les membres du projet «
de la ferme au quartier », une
plateforme d’approvisionnement
alimentaire solidaire en circuit court,
et une alternative au « low-cost » de la
grande distribution.
Reportage
initialement publié sur le site d’infos
indépendant
Basta!
« Comment
permettre au plus grand nombre, y
compris aux personnes aux revenus très
faibles et précaires, d’accéder à une
alimentation saine ? » Georges
Günther, et les autres initiateurs du
projet
De la ferme au quartier, à
Saint-Étienne, ont répondu concrètement
à cette question. Dans cette ville
ouvrière qui a perdu pratiquement 10 %
de sa population en 20 ans, les paniers
paysans dans le cadre de l’économie
sociale et solidaire se développent
depuis 2005. Saint-Étienne compte 11
associations pour le maintien de
l’agriculture paysanne (Amap),
dans lesquelles les consommateurs
s’engagent à acheter la production des
paysans à un prix équitable et en payant
par avance. « Le projet De la ferme
au quartier est complémentaire des Amap,
explique Georges. Il se veut créateur
d’emplois et touche un plus large
public, y compris les couches
populaires. »
Miser sur la
solidarité entre consommateurs
« La plateforme »,
le local où les salariés préparent et
assurent les livraisons des paniers, est
située dans le Marais, un ancien
quartier de l’industrie lourde
stéphanoise, aujourd’hui plus connu pour
son Technopole ou pour le stade
Geoffroy-Guichard. La volonté de créer
des emplois est l’une des différences
avec les Amap, qui reposent totalement
sur l’engagement bénévole de familles
directement en lien avec les paysans
partenaires. Pour sa mise en place, le
projet a notamment bénéficié d’un
soutien de la Région Rhône-Alpes, de la
chambre régionale de l’économie sociale
et solidaire Rhône-Alpes avec le fonds
social européen, l’État et la ville de
Saint-Étienne qui loue un local.
Lancer une activité
viable économiquement et créatrice
d’emplois pérennes a évidemment un coût.
C’est pourquoi producteurs et
consommateurs participent à parts égales
aux frais de fonctionnement de la
structure. « Nous misons sur la
solidarité entre les consommateurs.
L’idée est qu’ils participent aux frais
de fonctionnement en fonction de leurs
revenus », précise Georges. Le
montant de cette participation aux frais
varie de 0 à 20 %. Les chèques d’aide
alimentaire sont également acceptés.
« Notre objectif, c’est de pouvoir
proposer à tous les publics de
l’agglomération de Saint-Étienne des
produits agricoles locaux de qualité, à
des prix abordables. » Et cela
marche ! Alors que l’heure de la
distribution approche, une jeune femme
franchit le seuil de la plateforme. Elle
précise venir « des caravanes »,
installées près du local, et vient se
renseigner sur les paniers. Elle
souhaiterait s’engager pour un mois
avant de poursuivre la route. Le projet
touche décidément un autre public.
Education
populaire et alimentaire dans les
quartiers
Il est plus de 17
h, et Sylvain, un autre jeune membre de
l’équipe, s’active près de la chambre
froide dans la préparation des paniers.
Mâche, choux de Bruxelles, épinards,
poireaux, courges, tout est local, de
saison et sans OGM. Alors que Georges
commence à regarder nerveusement sa
montre, Nasser arrive avec la
camionnette. Direction le quartier du
Soleil, à l’Association familiale
protestante (AFP), dont les bénévoles
aideront à la distribution. Parmi eux,
il y a Aziz. Pour lui, « le projet
fonctionne de mieux en mieux avec des
produits de plus en plus variés. Les
gens ont compris qu’ils faisaient bosser
des agriculteurs du coin ».
Enthousiaste, Aziz file dans le local
pour la mise en place de la
distribution. Nasser poursuit la route
jusqu’au centre social l’Arlequin, où
une deuxième distribution est assurée ce
soir-là.
L’une des
spécificités du projet est l’engagement
de plusieurs associations de quartier
qui mettent à disposition leur local,
mènent un travail de sensibilisation, et
participent au conseil d’administration.
Aux côtés de l’Association
départementale pour le développement de
l’emploi agricole et rural (Addear), on
retrouve des centres sociaux, des
amicales laïques, mais aussi le centre
Al Qalam-Firdaws, qui développe et
diffuse des travaux traitant de la
culture musulmane. « On bosse à leurs
côtés pour informer sur ce qu’est
l’agriculture paysanne, ce qu’implique
un travail rémunérateur, explique
Georges. L’amicale laïque prend, par
exemple, des produits pour son centre de
loisirs, où les mômes bouffaient
jusque-là n’importe quoi pour le goûter.
Ces associations organisent également
des conférences débats ou viennent à la
plateforme pour faire des ateliers
cuisine. » Michel Avril, le
directeur de l’AFP, témoigne de ce
soutien. « On mène un travail de
réinformation en diffusant, entre
autres, une plaquette dans les collèges
et les écoles primaires. On vise un
public du quartier et on s’appuie sur le
bouche à oreille pour que l’information
circule. »
De la viande
hallal dans les paniers
Se démarquer de
l’image « bobo » qui colle aux
Amap et aux paniers paysans n’est pas
simple. « On a globalement un bon
retour », estime Michel Avril. La
mise en place du quotient familial
soulage les familles les plus modestes.
« On insiste sur le fait que c’est un
service auquel même les populations en
difficulté sociale ont droit. On leur
dit de ne pas s’interdire ce genre de
démarche, que c’est aussi pour elles. »
Tout l’enjeu pour l’AFP est de redonner
du sens afin que les gens adhèrent au
projet. « Cela passe par une
éducation aux saisons : les gens ont
perdu ces repères, et on tente de leur
faire retrouver ce rythme-là,
souligne le directeur de l’association.
Et c’est aussi une sensibilisation au
développement local, on montre que c’est
générateur d’emplois, de débouchés. On
les sensibilise aussi aux difficultés
que rencontrent les paysans, notamment
les aléas climatiques. »
Lassaad fait partie
des gens du quartier qui ont décidé
d’adhérer. Entouré de ses cinq enfants,
il dispose de 45 euros par semaine pour
la nourriture, qu’il reverse dans les
paniers familiaux proposés. « C’est
moins cher, c’est meilleur pour les
enfants et on aide les agriculteurs,
tout le monde est gagnant, explique
t-il. Quand on n’achète pas, l’autre
ne travaille pas. » Ces paniers
offrent la possibilité de budgétiser les
courses, ce qui n’est pas négligeable
pour les familles aux revenus modestes.
Ils permettent aussi une certaine
souplesse avec la vente en gros de
produits de base une fois par mois dans
chaque lieu. La possibilité de viande
hallal en circuit court fait aussi son
chemin.
Des paysans à la
rencontre des cités
Vivre au rythme des
paysans n’est pas toujours simple, mais
les mentalités évoluent. « La preuve,
remarque Mickaël, les gens viennent
désormais avec leur propre cabas, on a
passé la première étape avec le problème
des emballages. » À chaque
distribution, un paysan est présent, et
ce soir-là, c’est Mickaël Martel qui
répond aux questions des adhérents. Il a
participé aux réunions de création du
projet. Pour ce producteur de fromages,
pas de doute, le public touché n’est pas
le même. « On atteint ici une
population qui ne viendra pas forcément
au magasin de producteurs dans lequel je
suis aussi impliqué. S’engager sur six
mois à prendre des paniers paysans, ce
n’est pas forcément évident mais là, le
coût est variable selon le revenu du
client. On croit en ce projet, et c’est
pour ça qu’on est là. » De la ferme
au quartier compte 24 paysans, dont la
moitié environ sont labellisés en
agriculture biologique (AB), les autres
étant en conversion en bio ou en
agriculture paysanne. Des visites de
ferme se déroulent régulièrement afin de
renforcer le lien entre toutes les
parties prenantes du projet.
« Avec De la
ferme au quartier, on aide des paysans à
le rester avec des prix rémunérateurs
fixés de façon concertée », assure
Georges. Sur le contrôle des pratiques,
l’association se place dans une démarche
de respect de la
charte de l’agriculture paysanne.
« On discute avec les producteurs, on
les met en lien avec d’autres
producteurs et consommateurs pour faire
évoluer leurs pratiques », explique
Georges. Récemment, un des producteurs a
eu des soucis avec ses poules pondeuses
et a dirigé l’association vers un autre
producteur.« Ce dernier a reconnu
qu’il utilisait des aliments avec des
OGM, mais il a accepté d’y renoncer pour
travailler avec nous. Dans la mesure où
il se met aux compléments alimentaires
sans OGM pour ses poules, on a décidé de
travailler avec lui tout en lui
demandant d’améliorer ses parcours
alimentaires. » Pour Gérard, refuser
de travailler avec ce type de producteur
reviendrait à vouloir s’enfermer dans
une niche. « Face à un système
productiviste délocalisable, nous
voulons tirer les pratiques vers les
haut. »
En route vers la
coopérative
Imaginé fin 2009 au
sein du
portail pour l’accès aux droits sociaux
[1],
De la ferme au quartier réunit pour
l’instant 24 paysans et 150 familles de
consommateurs. D’ici à 2013, l’objectif
est d’atteindre la taille d’une dizaine
d’Amap, soit environ 600 familles pour
une trentaine de paysans. « L’enjeu,
c’est d’augmenter en nombre d’adhérents
si l’on veut embaucher, explique
Georges.Et pour que les paysans
trouvent leur compte financièrement, il
faut aussi élargir le nombre de lieux de
distribution. » Si certains lieux
fonctionnent bien avec une quarantaine
d’adhérents, d’autres connaissent des
difficultés. Consommateurs, producteurs,
militants associatifs s’emploient ces
dernières semaines à informer dans les
écoles et les entreprises. Les horaires
de distribution pourraient aussi
s’élargir avec des livraisons débutant à
partir de 17 h. « De la ferme au
quartier » pourrait devenir une
coopérative vers la mi-2013 si, comme
l’espèrent ses initiateurs, le projet a
atteint son équilibre économique
Pour aller plus
loin :
le site de De la ferme au quartier.
Photo :
source
Notes
[1]
Les initiateurs se sont aussi inspirés
de
Solid’Arles,
une entreprise sociale et solidaire, et
d’Alter-Conso
dans l’agglomération lyonnaise.
Le dossier Ecologie
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