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Opinion
«Le ministère de l'Intérieur est le problème de la Tunisie»,
estime Slim Amamou
Jeudi 2 juin 2011
Slim Amamou réfute l’existence d’un «gouvernement de
l’ombre», mais il déplore qu’une partie de l’appareil d’État, la
sécurité en l’occurrence, demeure, hermétique, près de cinq mois
après la révolution.
En quatre
mois, M. Amamou a travaillé avec deux ministres de l’Intérieur.
Le premier, Farhat Rajhi, est un «ministre bien intentionné»,
mais «il n’a pas les armes». La preuve: il «s’est fait attaquer
dans son propre ministère par les agents; il s’est fait sortir
par l’armée», affirme-t-il dans une interview à
‘‘Owni’’.
«On ne peut pas virer tous les pourris d’un seul
coup»
Le second, Habib Essid, «a prouvé son efficacité».
«Après les exactions de la police consécutives aux propos de
Rajhi, il s’est excusé, pour la première fois dans l’histoire du
ministère de l’Intérieur, et le lendemain matin, il n’y a eu
aucun débordement», explique M. Amamou. Selon lui, M. Essid «a
prouvé qu’il pouvait reprendre la main, notamment par le biais
des hauts gradés.» Résultat: «Aujourd’hui, la situation est sous
contrôle.» En plus du fait que l’actuel ministre de l’Intérieur
a déjà fait un passage par la maison, ce qui a facilité son
intégration, M. Essid, contrairement à son prédécesseur, a
compris qu’«on ne peut pas virer tous les pourris d’un seul
coup» et qu’il «va falloir composer avec la situation».
Le corps de la sécurité reste cependant «hermétique». «On ne
sait pas. On n’arrive déjà pas à faire la différence entre la
vraie police et la fausse», explique l’ex-secrétaire d’Etat à la
Jeunesse et aux Sports. La preuve: «Des manifestants se sont
fait tabasser par de faux policiers sous les yeux de vrais
agents qui ne sont pas intervenus.»
Par ailleurs, personne ne connait le nombre de services de
sécurité. M. Amamou ose même une comparaison: «Ils se sont
réorganisés d’une manière très étrange, comme une cellule
terroriste de type Al-Qaida».
Le célèbre blogueur, qui a été arrêté pendant la révolution et a
goûté aux méthodes plutôt frustes des services de sécurité
tunisiens, fait une description avisée de ces services. Son
témoignage est assez intéressant: «Apparemment, le seul lien qui
les unit, c’est le téléphone portable, avec lequel ils
entretiennent un rapport très particulier. Pendant
l’interrogatoire, lors de mon arrestation, ils allumaient leur
téléphone au moment de s’en servir, et l’éteignaient quand ils
avaient fini. Quand ils en avaient besoin, ils recevaient le nom
et le numéro de l’agent qu’ils cherchaient à joindre. Vous
imaginez à quel point ce système est décentralisé et archaïque?
Pendant mon interrogatoire, les fonctionnaires avaient un
pseudonyme, et moi aussi. A partir de là, même en parcourant les
archives, on ne peut rien recouper.»
Un système basé sur le renseignement humain
Preuve que ce système est archaïque et «ne marche pas»:
les policiers qui l’ont interrogé ne savaient presque rien de sa
vie. «Ils sont très forts quand il s’agit de torture
psychologique, mais très inefficaces dans le renseignement,
notamment sur Internet. Je m’en étais rendu compte après ma
première arrestation, en mai 2010. Lors des interrogatoires, ils
voulaient savoir comment je connaissais telle ou telle personne.
Et quand je leur disais que j’étais en relation avec des gens
sans jamais les avoir rencontrés, ils étaient surpris. Leur
système est basé presque exclusivement sur le renseignement
humain.»
Quant à l’unité chargée, sous Ben Ali, de surveiller le web, et
dont on a longtemps souligné la redoutable efficacité, elle n’a
pas plus d’efficacité, aux yeux de M. Amamou. Car ses «méthodes
sont les mêmes». La preuve: «Le 6 janvier, quand j’ai été arrêté
pour la seconde fois, ils m’ont demandé le mot de passe de mon
adresse mail. Il a fallu qu’ils me tabassent pour l’obtenir,
mais c’est comme ça que ça fonctionne. Ce n’est absolument pas
sophistiqué. Ils font de l’open source intelligence; ils
surveillent les salafistes, mais la base de leur travail se
résume à l’identification de la personne qu’ils veulent
interroger.»
La description que l’ancien secrétaire d’Etat fait des services
de sécurité tunisiens souligne, s’il en est encore besoin, la
nécessaire réforme de ces services, qui ne sauraient continuer à
fonctionner selon les méthodes anciennes, au risque de
reproduire les pratiques que l’on souhaite ne plus voir dans
notre pays, notamment l’extorsion de soi-disant aveux sous la
torture.
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Publié le 2 juin 2011
avec l'aimable autorisation de Kapitalis
Le dossier Tunisie
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