Le comte Hans-Christof von Sponeck,
né à Brême en 1939, a travaillé durant 32 ans au Programme des
Nations Unies pour le Développement (PNUD). Nommé en 1998 par
Kofi Annan au poste de Coordinateur humanitaire des Nations Unies
en Irak, avec le rang de Secrétaire général adjoint, M. von
Sponeck a démissionné en mars 2000 en signe de protestation
contre les sanctions qui avaient réduit le peuple irakien à la
misère et à la famine. Il répond aux questions de Silvia
Cattori pour le Réseau Voltaire.
Silvia
Cattori : Comment avez-vous réagi
à l’exécution de Saddam Hussein et de ses co-accusés,
condamnés à mort par un tribunal formé par les États-Unis ?
Hans von
Sponeck : Je dirais tout d’abord que je n’ai
pas été surpris. C’était l’objectif final de ceux qui
sont au pouvoir à Bagdad et de ceux qui occupent l’Irak. On
ne peut pas défendre Saddam Hussein, mais on peut s’élever
contre le fait qu’il n’y a pas eu un juste procès, qu’il
s’est agi d’une mascarade. C’était un tribunal qui, sous
des airs de respectabilité, masquait la décision préétablie
de condamner les accusés à la peine de mort. Saddam Hussein,
comme toute autre personne, avait droit à un procès équitable,
et ce procès équitable, il ne l’a pas eu. C’est pourquoi
j’ai été bouleversé par cette évidence que, en dépit du
fait que nous avons un droit international, en dépit du fait
que les nations européennes, les États Unis et le Canada,
ainsi que d’autres nations, prétendent sans cesse vouloir défendre
la justice, en réalité elles ne protègent pas la justice.
Silvia
Cattori : Vous êtes intervenu
auprès de M. Bush pour demander la libération de M. Tarek
Aziz. Avez-vous obtenu une réponse ?
Hans von
Sponeck : Je n’ai pas obtenu de réponse. J’ai
écrit cette lettre parce que j’ai connu M. Tarek Aziz.
Mon prédécesseur et moi-même le considérions comme une
personne avec laquelle nous avions une relation cordiale, comme
une personne qui —malgré ce que l’on en a dit dans les
principaux journaux— essayait de s’occuper du peuple
irakien. Une personne donc disponible et disposée à prendre en
considération des propositions visant à apporter des améliorations
au programme d’assistance humanitaire.
De notre point de vue, de mon point de vue, c’était une
personne correcte. Je ne peux pas juger de ce que M. Tarek
Aziz a fait en Irak en-dehors de mon domaine de responsabilité
mais, tout ce que je demande, est qu’une personne malade, ne
serait-ce que pour des raisons humanitaires, soit traitée
dignement ; elle devrait être autorisée à avoir un suivi
médical et pouvoir bénéficier d’un procès équitable. M. Tarek
Aziz avait droit, et a droit —tout comme Saddam Hussein du
reste— à être traité conformément au droit international,
conformément aux conventions de la Haye et de Genève. Je m’élève
contre le fait que, trois ans après qu’il se soit
volontairement livré aux forces d’occupation, il n’ait pas
encore été inculpé et qu’il demeure en prison alors qu’il
a le plus grand besoin d’un suivi médical.
Silvia
Cattori : Alors que la situation
créée par l’occupation de l’Irak est terrifiante, il y a
fort à craindre que la résolution contre l’Iran ne soit
utilisée par les États-Unis pour frapper ce pays. La marine
allemande —formellement sous mandat de l’ONU— est déjà
en place en Méditerranée orientale. Est-ce parce que vous
savez combien votre pays est impliqué dans les projets de
guerres des États-Unis que vous avez, dans une lettre ouverte,
demandé à Mme Merkel de refuser tout recours à la force
contre l’Iran ?
Hans von
Sponeck : C’est exact. Je vois bien que,
graduellement, l’Allemagne, et d’autres pays européens,
sont poussés à aller dans le sens d’une politique de
puissance définie à Washington par des gens avides de pouvoir.
Et cela devient d’autant plus grave que, se rendant compte
qu’ils ne peuvent pas, à eux seuls, mettre en œuvre leur
politique de domination, ils cherchent à s’appuyer sur
d’autres gouvernements ; or ces autres gouvernements
semblent être des gouvernements d’Europe centrale et d’Europe
de l’Est, entre la Lituanie et la Grande-Bretagne. Aussi ils
cherchent à politiser l’OTAN pour s’en servir comme d’un
instrument qui est déjà, dans une large mesure, au service des
États-Unis.
De ce fait, comme tout individu normal en ce monde, je ne puis
accepter les tentatives —soutenues par la Chancelière Merkel
lors du récent sommet de l’OTAN— visant à donner à cette
alliance militaire une mission politique. L’OTAN est un
instrument de la Guerre froide ; depuis de longues années,
il se cherchait une nouvelle mission, un nouveau rôle. La seule
chose que les tenants de l’Alliance savaient est que l’OTAN
avait une responsabilité militaire mais, avec la fin de la
Guerre froide en Europe, cette responsabilité n’existait
plus, n’était plus nécessaire. D’où cette recherche désespérée
d’un nouveau rôle.
Personnellement, je considère comme extrêmement dangereux que
l’OTAN se présente aujourd’hui comme un instrument démocratique
au service des démocraties occidentales alors qu’il s’agit,
en fait, d’un instrument entre les mains des États Unis pour
mettre en œuvre le Projet pour un nouveau siècle
américain. Il s’agit de cette fameuse proposition faite
par les néoconservateurs états-uniens dans les années
quatre-vingt dix —que l’administration Bush a convertie en
stratégie nationale de sécurité pour 2000 et les années
suivantes— à la réalisation de laquelle l’OTAN est censée
contribuer. Les responsables politiques réunis récemment à
Munich devraient refuser cette thèse [2].
M. Vladimir Poutine, qui pour une fois n’a pas mâché
ses mots, a exprimé ouvertement ce que beaucoup d’entre nous
ressentent. Bien évidemment, ses propos ont été rejetés par
ceux qui ont un autre agenda. Or, ce que M. Poutine a dit
recouvre une réalité.
Je suis persuadé que, à cause
de cette politisation militariste de l’OTAN, un grand pas aura
été fait, non seulement vers un retour à une atmosphère de
Guerre froide entre les principales puissances, mais également,
et c’est cela le drame, vers un accroissement de dépenses en
matière de défense, Chine, Russie et pays de l’Europe
occidentale inclus. Dépense qui sont déjà extrêmement élevées
dans de nombreux pays ; ce qui ne peut que contribuer à
une escalade de la polarisation entre différents groupes dans
le monde.
Le monde, en-dehors de l’Europe centrale et des États Unis,
n’est plus disposé à accepter une voie occidentale à sens
unique. Le public n’accepte plus les demandes des puissances
politiques et militaires du siècle passé. Ces jours là sont révolus
et, si l’on ne prend pas cela en compte, les choses ne feront
que s’aggraver.
Pour moi, le mot clé du moment est : dialogue et
diplomatie. C’est dans un esprit clairement multilatéral
qu’il faut aller, et non dans l’esprit d’une
superpuissance qui, dans les faits, n’en est plus une, ni économiquement,
ni politiquement, ni moralement assurément, pour ne pas dire éthiquement.
Même s’il reste aux États Unis encore un peu de sa
superpuissance grâce à la force militaire, cela ne suffira pas
à sauver la Pax Americana. La Pax
Americana est une chose du passé et, le plus vite nous le
reconnaîtrons en Europe et plus vite nous nous préparerons à
une coopération multilatérale —c’est-à-dire, autre chose
qu’une coopération bilatérale ou du type OTAN— le mieux ce
sera.
Silvia
Cattori : L’OTAN participe à
des guerres d’occupation —ce qui est en contradiction avec
sa Charte— et mène, avec la CIA, des opérations criminelles :
je pense ici à l’affaire des enlèvements et des transferts
de suspects dans des prisons secrètes. Si l’Europe continue
de se plier et accepte l’installation de systèmes
anti-missiles états-uniens dans des pays membres de l’OTAN,
cela ne va-t-il pas amener à la confrontation, voire à un
retour aux pires jours de la Guerre Froide ?
Hans von
Sponeck : C’est insensé. Il n’y a là rien
que l’on puisse défendre, et l’argument de Condoleezza Rice,
selon lequel la Russie n’aurait pas de raisons de s’inquiéter
au sujet de la mise en place de dix systèmes anti-missiles
positionnés en Pologne et en République tchèque, est
totalement malhonnête, parce que si l’on peut en placer dix
aujourd’hui, on peut encore en placer vingt autres demain. Le
seul fait que ces systèmes anti-missiles soient positionnés à
la frontière de l’ancienne URSS, ou de la Russie, suffit déjà
à intensifier les raisons de confrontation entre la Russie et
l’Occident ; sans parler de la Chine.
Nous sommes en train de créer, de modeler notre ennemi de
demain. Moi, et combien d’autres dans le monde, ne pouvons
accepter cette évolution. Mais nous ne comptons pas, nous
sommes faibles, nous sommes considérés comme des naïfs, nous
sommes considérés comme des “gens aux yeux bleus” comme le
disent les États-Uniens, nous ne sommes pas censés comprendre
la vision globale.
Bien, si nous vivons dans une démocratie,
alors j’ai le droit de comprendre cette vision
globale, mais on ne m’en dit rien ; on me demande
seulement de m’en remettre à la bonne volonté et aux bonnes
intentions d’un gouvernement comme celui de Washington. Or, je
ne le puis pas, nous ne le pouvons pas, parce que nous avons été
trompés tant et tant de fois par leur désinformation, par leur
malhonnêteté brutale, par un pouvoir politicien au service
d’un seul parti. Je suis loin d’accepter tout cela et, de ce
fait, je considère l’ensemble de cette politique, visant à
convaincre les gouvernements tchèque et polonais d’héberger
ces systèmes anti-missiles, comme extrêmement dangereuse et déplacée.
Ce n’est qu’une grossière et brutale politique de puissance
dont nous n’avons pas besoin et que nous devons combattre. Ce
n’est pas ce dont la paix, le futur internationalisme et la
consolidation de nations et de progrès, dans l’esprit de la
Charte des Nations Unies et d’autres lois internationales, ont
besoin.
Silvia
Cattori : Vous étiez à Kuala
Lumpur en février pour participer à une conférence qui dénonçait
les crimes que commettent les puissances militaires. Il n’y a
guère eu, dans nos médias, de couverture sur cet important évènement.
Si de telles rencontres, qui dénoncent les dérives de l’OTAN
et les violations de la Charte des Nations Unies, sont ignorées,
comment faire en sorte qu’un débat puisse s’ouvrir pour réformer
ces instances ? N’avez-vous pas le sentiment de prêcher
dans le désert ?
Hans von
Sponeck : Vous savez, on ne doit pas être découragés
par le fait que les médias nous ignorent. La plupart du temps,
quand des citoyens ont tenté de convaincre leurs dirigeants de
changer de direction, ces derniers les ont ignorés. Alors,
est-ce que cela devrait sonner la fin de l’effort ? Je ne
le pense pas. Le fait même que des gens, pas des fous, pas des
rêveurs égarés, mais des gens très réalistes qui ont de
grandes vues sur le monde, qui comprennent les processus
politiques, se réunissent pour débattre sérieusement des
conditions et de l’abus du pouvoir, cela est en soi une preuve
importante que la conscience internationale est vivante, que la
conscience internationale existe. Kuala Lumpur n’a pas fait
les gros titres ; Hollywood fait les gros titres, l’émotion
à bon marché et des évènements médiatiques de piètre
qualité, comme le programme Big Brother à
Londres, font les gros titres.
Le fait que cinq mille personnes
réunies à Kuala Lumpur pour discuter de la guerre comme d’un
crime, sur la toile de fond de toutes les souffrances que ces
guerres illégales ont causées, n’ait pas fait les gros
titres est certainement regrettable, mais cela ne doit pas
rendre les gens moins désireux de s’exprimer. Cela aurait mérité
d’être remarqué par ceux-là mêmes qui sont concernés par
ces crimes.
Chacun d’entre nous, en tant qu’individu, a une
responsabilité à assumer, se doit de faire connaître ses
vues. La rencontre de Kuala Lumpur, j’en suis sûr, a permis
de développer une plus grande conscience dans de nombreux
cercles dans le monde, ce qui va finalement se transformer en
une plus grande résistance contre ces politiques trompeuses, égoïstes
et unilatérales que l’Occident cherche à imposer.
Je ne me situe pas contre l’Occident,
je suis un « occidental » mais cela ne signifie pas
que je ne puisse pas considérer d’un œil critique la voie à
sens unique qui s’est développée, l’autoroute à sens
unique sur laquelle circulent le pouvoir international, le
commerce international, la culture internationale. Cela, comme
je l’ai déjà dit, ne peut pas continuer parce que ça
n’est plus acceptable, et Kuala Lumpur a réunis des gens
venus du monde entier qui partagent cette même préoccupation.
Cela a permis, j’en suis certain, d’augmenter la conscience
et la volonté des participants à consacrer toujours plus de
forces pour changer les choses. Et si cela ne conduit pas à des
gros titres et à un changement immédiat, alors cela peut être
le cas demain, et si ce n’est pas demain, le jour suivant.
Silvia
Cattori : Des voix qui, comme
celle du président Jimmy Carter et de M. John Dugard, dénoncent
les crimes d’Israël en Palestine, des voix qui comme celle de
M. Dennis Halliday [3]
et la vôtre mettent le doigt sur les dérives de l’ONU en
Irak, toutes ces voix appellent un immense respect. Toutefois,
ce sont des voix rares que les pouvoirs peuvent marginaliser.
N’êtes-vous pas déçu qu’à votre niveau, il n’y ait
quasiment personne, ou si peu, qui suivent votre exemple et
prennent position contre ces crimes et abus d’État ?
Hans von
Sponeck : Bien sûr que je suis déçu. Vous
savez, ces jours, chaque jour, j’attends anxieusement qu’un
général américain de premier plan, qu’un homme politique américain
de premier plan, dise : c’en est assez, je ne vais pas
continuer à soutenir cette folie, je ne vais pas soutenir
l’illégalité, je ne vais pas soutenir des politiques qui
nous ont plongés dans de profondes difficultés et de profondes
violations de tout ce qu’une personne civilisée se devrait de
défendre. Bien sûr que l’on est déçu ; mais au vu de
ce qui est arrivé au cours des dernières décennies, particulièrement
durant ces années où M. Bush a été au pouvoir, nous ne
pouvons pas nous permettre d’être inefficaces. C’est un
appel que l’on doit faire au mouvement international
anti-guerre.
Il faut que le mouvement de paix s’oriente dans le sens
d’une meilleure coordination, en réseau ; dans le sens
de davantage d’efforts combinés, de déclarations communes où
des gens de tous les pays du monde se donnent la main et démontrent,
à eux-mêmes et au public le plus large, qu’ils ont la ferme
intention de ne pas accepter ce qui nous a conduit ici : à
un monde où le fossé est béant entre ceux qui n’ont rien
—et c’est une très, très vaste majorité, plus d’un
milliard d’êtres humains qui vivent avec moins d’un dollar
par jour sur les six milliards et demi que compte notre planète—
et les dix pour cent les plus favorisés qui vivent dans un luxe
et un bien-être inimaginables.
Cela ne peut plus durer. Et si
des gens qui écoutent notre conversation disent : voilà
vraiment un grand naïf, ou disent : voyez
c’est un communiste, c’est terrible, il réclame l’égalité
pour tous, je leur dis, non, je ne le suis pas. Tout
d’abord je ne pense pas être naïf, deuxièmement je ne pense
pas être un communiste dans le sens traditionnel. Je suis un
homme qui, au cours de 32 années aux Nations Unies, et depuis
lors, a appris à accepter le fait que nous ne sommes pas tous
égaux mais que tous nous devrions avoir les mêmes chances d’épanouissement
dans le cadre de la contribution à la paix. Ce n’est pas une
question de manque d’argent, il y a assez d’argent pour
chacun mais, ce dont nous manquons, c’est d’une volonté de
partager les ressources et de faire davantage que de soutenir
uniquement en paroles ce magnifique ensemble d’instruments qui
a été créé après la seconde guerre mondiale par des gens
respectables et qui, au cours de soixante années, a tenté de
jeter les bases d’une plus grande justice et d’un progrès
socio-économique pour chacun.
Silvia
Cattori : Toutes ces espérances
que vous nourrissez doivent vous faire d’autant plus souffrir
que vous êtes conscient que, pour ces peuples de religion
musulmane que les grandes puissances humilient présentement, le
pire est à venir ?
Hans von
Sponeck : Mais bien sûr. Il n’y a pas un jour,
quand vous lisez, quand vous voyez ce qui se passe au Moyen
Orient, où vous ne vous sentiez rempli de honte, où vous ne
ressentiez l’exigence d’humilité que l’on peut éprouver
envers ces pauvres gens qui souffrent horriblement, de la
Palestine à l’Irak ainsi que dans d’autres régions du
Moyen Orient. Le langage humain, du moins pour ma sensibilité,
n’est pas capable d’exprimer les sentiments que je ressens.
C’est horrifiant. Je viens d’un pays qui a fait l’expérience,
et a été la cause, d’une grande et horrible Deuxième Guerre
mondiale. Elle a duré cinq ans et on en parle encore. Et
qu’en est-il de tant et tant d’années en Irak, trente ans
de dictature, treize ans de sanctions, trois ans et demie
d’occupation ? Combien peut supporter un individu,
combien peut supporter une nation ? Quand vous voyez —je
songe ici aux universités de Bagdad que je connais comme Mustanseriya
University, Baghdad College, Baghdad
University— que ces institutions, où des jeunes gens
innocents se préparent pour la vie, sont détruites par des
bombes, alors que, en Irak, j’allais rendre visite à ces
Irakiens qui vivaient pacifiquement dans des quartiers intégrant
diverses populations ! “Moi je suis
chiite, toi tu es Sunnite, et toi tu es turkmène”, jamais
à cette époque je n’ai entendu ce genre de conversation.
Bagdad est la plus grande ville
kurde du monde, avec plus d’un million de Kurdes et, bien sûr,
il y avait de nombreux problèmes, il y avait un dictateur, il y
avait des meurtriers politiques mais, comparé à ce que l’on
voit aujourd’hui, ça n’était rien. La confrontation
sectaire qui existe maintenant a été créée par une guerre
illégale. Et les menaces adressées au gouvernement al-Maliki
sont le comble de la malhonnêteté : “Si
vous ne ramenez pas la sécurité en Irak, alors nous, les Américains,
allons réexaminer dans quelle mesure nous allons continuer à
vous soutenir”. Qu’est-ce que c’est que cela ?
Qui a créé ce genre de conditions ? Qui est responsable
de ce chaos et de la confrontation sectaire actuelle ?
Silvia
Cattori : Les pays occidentaux
condamnent l’Iran, qui a signé le Traité de non-prolifération
nucléaire, pour une bombe nucléaire qu’il n’a pas ;
et ils ne condamnent pas Israël qui n’a pas signé ce traité
et qui dispose d’armes nucléaires. Entre Israël, qui ne
cache pas se préparer à mener une guerre nucléaire préventive,
et l’Iran qui veut se doter d’une industrie nucléaire
civile, celui qui menace réellement la paix mondiale n’est-il
pas Israël, et l’Iran la cible ? Comment réagissez-vous
devant ce déni de justice ?
Hans von
Sponeck : Je n’ai qu’une réponse très
directe, à savoir que c’est là une illustration classique du
deux poids deux mesures. Il y a la demande d’une zone dénucléarisée :
la Résolution du Conseil de sécurité 687 d’avril 1991 qui
appelle, dans son paragraphe 14, à une zone dénucléarisée
pour l’ensemble du Moyen Orient. Israël n’a même pas signé
le Traité de non-prolifération. L’Iran peut avoir des
intentions qui vont à l’encontre des intérêts
internationaux, mais l’Iran n’a pas encore franchi la ligne
rouge. M. ElBaradei, le directeur de l’Agence
internationale de l’énergie atomique n’a pas dit que l’Iran
avait franchi cette ligne. Il s’est borné à dire que l’Iran
n’avait pas révélé de façon complète, de façon assez
transparente, ses intentions, et qu’il avait mis en fonction
de nouvelles centrifugeuses.
Mais quelle extraordinaire démonstration
du deux poids deux mesures que de ne pas montrer du doigt Israël
et d’autres pays ! Qu’en est-il du Pakistan, qu’en
est-il de l’Inde ? Et des États-Unis eux-mêmes qui
travaillent ouvertement à une nouvelle génération d’armes
nucléaires, en complète violation du Traité de non-prolifération
dont ils sont parmi les initiateurs. On a donc ici un deux poids
deux mesures qui est catastrophique. Si j’étais Iranien, je
dirais : désolé, prenez la mesure de ce
que vous affirmez être la norme et, après, on pourra discuter,
mettons nous autour d’une table, à un même niveau, sans
conditions préalables.
J’approuve ici la demande
iranienne de dialogue ; je pense que c’est exactement la
juste chose à faire. L’Iran dit : Vous
avez un désaccord, rencontrons nous, mais ne venez pas me dire
que je dois, avant que je puisse vous rencontrer, avoir exécuté
certaines décisions que vous voulez me voir exécuter ;
nous venons, nous nous rencontrons, nous discutons, et nous
mettons les cartes sur la table. Et ce que l’on constate
en réalité est une effrayante tentative de protéger un deux
poids deux mesures.
Silvia
Cattori : Quel message
voudriez-vous faire entendre à ces dirigeants politiques qui ne
font aucun cas des droits de l’homme et mènent des guerres en
violation du droit international ? Quel message
voudriez-vous donner à ces populations qui sont présentement
exposées à l’occupation et à la terreur d’États ?
Quel message voudriez-vous donner à tous ceux qui sont opposés
à ces guerres mais ne savent pas comment les arrêter et se désolent
de l’inaction des partis ?
Hans von
Sponeck : À ceux qui violent les droits de
l’homme, je dirais : vous devez vivre avec votre propre
conscience, par conséquent comment pouvez-vous, à la lumière
de tous ces dégâts évidents, vivre avec votre conscience ?
Ne pensez-vous pas qu’il y a de meilleurs moyens de protéger
vos intérêts tout en permettant à d’autres de bénéficier
des opportunités qui existent ?
À ceux qui sont les victimes et
à ceux qui s’en préoccupent, je dirais : n’abandonnez
jamais, faites de votre mieux, nous avons tous la liberté,
comme individus en pleine santé, d’apporter notre
contribution, aussi petite soit-elle, si nous nous regroupons
dans ce but, si nous coopérons, si nous unissons nos forces, si
nous faisons connaître notre opinion à ceux qui sont au
pouvoir. Si nous utilisons nos droits de votes -pour ceux
d’entre nous qui vivent dans des pays qui connaissent des élections
libres- ne votons pas de manière mécanique. Car mettre son
bulletin dans l’urne est un grand acte de responsabilité.
Aussi, allez à la rencontre de vos élus, mettez les sous
pression, tenez les pour responsables, vérifiez leurs
prestations et, quand il y aura une réélection, si vous n’êtes
pas satisfaits, encouragez ceux qui ont mérité votre confiance
à se présenter pour un nouveau mandat. Que pouvons-nous faire
d’autre ?