Le 1er décembre 2003, dans le cadre d’une cérémonie très
mondaine, Mme Calmy- Rey, en charge du Département fédéral des
affaires étrangères (DFAE), avait convié 700 personnes à la
cérémonie de lancement officiel de l’« Initiative
de Genève ». Initiative qui – aujourd’hui encore - est
présentée par ses initiateurs comme une référence incontournable
pour régler le « conflit »
israélo-palestinien en tant que « seul modèle
d’une paix fondée sur la solution de deux États ».
Il convient de préciser
que ceux qui ont formulé le projet de l’initiative [1]
n’appartenaient pas, comme on aurait pu le penser, au DFAE,
mais venaient de milieux privés. C’est le Suisse M. Alexis
Keller qui en a eu l’idée. Un fils de banquier qui n’avait
jamais été ni en Israël ni en Palestine et qui ne
connaissait pas grand chose à ce « conflit » ;
terme peu approprié pour exprimer la situation née de
l’expulsion hors de leur terre des natifs palestiniens par
des "colons juifs" venus s’y installer.
Ainsi, quand il affirmait
« Il y a une réelle fenêtre d’opportunité
pour le processus de paix. Qu’on le veuille ou non, l’Accord
de Genève est devenu incontournable dans les discussions
pour la solution des deux États », il ne savait à
l’évidence pas de quoi il en retournait ; il ne faisait que
ressasser les habituels clichés sur la « paix »,
servis depuis belle lurette par les médias et les
chancelleries.
Ce fut bien imprudent, de
la part de Mme Calmy-Rey, d’endosser le projet de ce
personnage imbu de lui-même, et de lui offrir le statut de
« rapporteur spécial pour le Proche-Orient »
car, ni les liens qu’il avait établis à l’origine avec la
partie israélienne, ni sa compréhension biaisée et
superficielle des exigences fondamentales de justice du
peuple palestinien spolié par Israël, ne pouvaient faire de
M. Keller, un « rapporteur » crédible [2].
Cette initiative a été
qualifiée de farce par les factions palestiniennes en lutte
contre l’État colonial militarisé d’Israël qui, depuis sa
création en 1948, procède en toute impunité à l’épuration
ethnique des populations arabes et à l’annexion illégale de
terres volées.
Les appels à la prudence
n’ont pourtant pas manqué [3].
Mais Mme Calmy-Rey a poursuivi obstinément ce projet mal
conçu.
Les fonds engagés, en
pure perte, par la Confédération suisse pour la promotion de
l’Initiative de Genève – sans parler des fonds versés par
des fondations privées - sont énormes. « Au
total, le Département fédéral des affaires étrangères (DFAE)
a débloqué environ onze millions de francs pour le soutien à
l’Initiative de Genève entre 2003 et 2010. La plus grande
partie de cette somme a servi à soutenir les parties
israélienne et palestinienne ainsi que des médiateurs
privés. La répartition entre la partie israélienne et
palestinienne s’est faite en fonction de leurs programmes de
sensibilisation respectifs à l’Initiative » [4].
S’ils n’ont rien apporté
aux Palestiniens qui végètent depuis 62 ans dans les camps
de réfugiés, ils ont alimenté toute une ribambelle de
médiateurs privés pour lesquels les conflits sont un
business valorisant et très profitable, et que des États
comme la Suisse financent à mauvais escient. Mais ils ont
également servi les intérêts personnels de Palestiniens [5]
qui depuis les pourparlers de Madrid en 1990, trahissent la
cause de leur peuple en tirant profit de ces faiseurs de
paix illusoire et en faisant des concessions dans le cadre
de négociations avec I’occupant israélien.
Sept ans après son
lancement spectaculaire, l’Initiative de Genève n’a produit
aucun des effets annoncés et la situation des Palestiniens
n’a fait que s’aggraver. Pourtant Mme Calmy-Rey persiste et
signe et va répétant que « cette initiative
propose une solution détaillée et complète à toutes les
questions du conflit entre Israéliens et Palestiniens »
sans faire le moindre cas des citoyens qui se scandalisent
de ses propos et qui l’interpellent [6].
Comment prendre au
sérieux cette initiative quand on sait que le DFAE, en
manque d’imagination, sous-traite ses bons offices sur un
dossier aussi douloureux - et sujet à manipulation de la
part d’Israël qui occupe une position dominante - à des
cabinets privés, comme le Centre pour le
dialogue humanitaire (CDH) [7] ?
Comment ne pas être
scandalisé d’apprendre que ce Centre privé a été en charge
depuis 2001, avec M. Keller, de la « médiation »
et de la promotion de l’Initiative de Genève, ainsi que de
son suivi jusqu’en 2006 ?
Au lieu de rémunérer
grassement de prétendus « médiateurs »
très éloignés de la véritable réalité, et de continuer à
amuser la galerie avec cette initiative illusoire, n’eut-il
pas fallu, face au durcissement de l’occupation militaire
israélienne et à ses carnages répétés à Gaza, en avoir déjà
tiré les conclusions qui s’imposent ?
Sept ans après le
lancement officiel de l’Initiative de Genève, nous avons
voulu savoir ce que M. Keller - qui avait alors déclaré : « Si
dans trois ans, rien ne s’est passé, la solution des deux
États est morte » - ce qu’il en pensait aujourd’hui.
Sollicité, il s’est esquivé en nous disant :
« Je n’ai vraiment pas le temps. Et il
y a d’autres raisons plus politiques que je ne peux pas
mentionner au téléphone. Parce que je suis tout de même
encore impliqué dans des négociations secrètes maintenant,
et donc je ne veux pas m’exprimer là-dessus ».
« Impliqué sur l’Initiative de Genève ? »
lui avons-nous demandé.
« Non, pas sur
la question de Genève, sur la question
israélo-palestinienne », nous a-t-il répondu, et d’ajouter :
« J’ai promis, notamment aux Américains, que je ne
m’exprimerais pas ou peu là-dessus » [8].
Alors nous nous sommes
adressés à ceux qui savent ce qui se passe véritablement sur
le terrain ; notamment à Ziyad Clot, auteur de l’ouvrage « Il
n’y aura pas d’État palestinien » [9],
en lui demandant s’il considère plausible de continuer à
affirmer, comme le fait Mme Calmy-Rey, que l’Accord signé à
Genève en 2003 « est la seule solution
détaillée et complète sur la table, capable de résoudre
toutes les questions du conflit entre Israéliens et
Palestiniens » ?
M. Ziyad Clot nous a
répondu [10] :
« Personnellement, j’ai toujours pensé que
l’initiative de Genève était dangereuse car elle implique
des renoncements graves sur les droits des réfugiés
palestiniens et, notamment, sur le droit au retour. Cette
question reste au cœur de l’expérience et de l’identité
palestinienne et le caractère juste et équitable d’un
éventuel accord de paix, auquel je ne crois pas, la capacité
à le mettre en œuvre, seront largement jugés à la lumière de
la manière dont le problème des réfugiés aura été traité.
Sur le terrain, il s’agit
aussi de prendre conscience que la réalité des territoires
occupés palestiniens s’est radicalement transformée depuis
les accords d’Oslo de 1993 en raison de l’accélération de la
colonisation israélienne. J’ai bien peur que ce processus
soit irréversible. Pour construire un État, il faut un
territoire : celui-ci est en voie de disparition avec la
présence de plus de 500’000 colons israéliens en Cisjordanie
incluant Jérusalem-Est. Il faut aussi une continuité
géographique : du fait de la séparation durable entre la
Cisjordanie et Gaza, de la division entre le Fatah et le
Hamas, elle n’existe plus. (…)
Je crois que l’Accord de
Genève, et avec elle la solution des deux États, ne sont
plus d’actualité. Je pense que l’on est bien au delà du
stade où la solution de deux États est encore envisageable ;
je me demande même si elle a jamais été possible. (…)
La conclusion à laquelle
j’arrive est que le processus de paix n’est pas seulement un
spectacle, c’est aussi un « business ». Avec quantité de
gens qui vivent de ce business. Entre les diplomates, les
journalistes, les membres des ONG, les experts en tout genre
dont je faisais partie lorsque je travaillais moi-même comme
conseiller juridique auprès de l’OLP. Des intérêts propres à
la structure dudit « processus de paix » expliquent sa fuite
en avant alors même que l’objet des négociations a
malheureusement largement disparu : le territoire
palestinien, Jérusalem-Est comme capitale de l’Etat
palestinien etc. (…) »
Mme Calmy-Rey aura-t-elle
l’humilité de reconnaître qu’il est inopportun de continuer
de financer la promotion d’une initiative sans pertinence ?
« External Evaluation of Programme – Activities Fostering the
Geneva Initiative –
Final Report », Bâle, 11 décembre 2009.
(PDF - 513 ko)