Opinion
Canal du Bosphore
La clé de l'hégémonie américaine en mer
Noire
Sergeï Duz
Photo: RIA
Novosti
Samedi 27 avril
2013 La Turquie va construire un
canal parallèle au détroit de
Bosphore. Les experts doutent qu’il
puisse devenir rentable rapidement,
mais sont d’accord sur son
importance géopolitique pour Ankara
et ses alliées de l’OTAN.
Le nouveau projet
s’appellera le canal d’Istanbul. Il
y a deux ans, lors de la campagne
électorale, ce projet de
construction avait été annoncé par
le Premier ministre Recep Tayyip
Erdogan. Il y a quelques jours, il a
été approuvé par le gouvernement du
pays.
Les Turcs
soutiennent la nécessité de ce
projet l’expliquant par la forte
pollution du chenal du Bosphore par
des hydrocarbures usées. C’est
pourquoi il est impossible
d’augmenter le trafic des pétroliers
à travers le détroit. Ankara espère
également réduire le préjudice
environnemental subi par les eaux du
détroit, assurer la sécurité de la
navigation et accumuler des fonds
pour pouvoir intervenir en cas
d’accidents de pétroliers dans la
zone.
À première vue, le
projet du canal du Bosphore semble
intéressant. Mais les experts le
qualifient toujours comme une des
plus grandes illusions économiques
de notre temps. Le coût minimal de
la construction de ce projet
atteindrait 20 milliards de dollars
avec comme date approximative
d'achèvement des travaux l’année
2023. Il est prévu qu’un tiers des
fonds doivent provenir du budget
national et que le reste soit
financé par des investisseurs privés
grâce à des partenariats. La période
de rentabilisation du projet est
effrayante à imaginer.
«
La nouvelle artère permettra
d'accroître la capacité des
détroits. C’est évident que sa
traversée sera payante »,
explique Viktor Nadéine-Raevski,
analyste de l’Institut de l’économie
mondiale et des relations
internationales. «
En vertu des accords internationaux,
la Turquie n’a pas le droit de faire
payer les navires pour le passage
des détroits. Mais elle trouve des
moyens de le faire, imposant
notamment les services de ses
pilotes. Il est difficile de dire si
ce projet pourrait un jour devenir
rentable. Toutefois, c’est un pas en
avant pour les Turcs. La Turquie est
déjà une plaque tournante du trafic
maritime, notamment dans le domaine
de l’énergie. Il ne s’agit pas
uniquement des gazoducs et des
oléoducs qui transitent par son
territoire, mais aussi du transit
maritime du pétrole et d’autres
matières premières. C'est sans doute
pour ces produits que le canal sera
construit. Mais à mon avis, ce
projet est trop coûteux pour devenir
rapidement rentable ».
Le coût du passage
par le nouveau canal coûtera
beaucoup plus cher par rapport à la
traversée des détroits, et les pays
voisins de la Turquie trouveront
d’autres solutions logistiques moins
coûteuses pour acheminer leurs
marchandises. Les raisons
économiques de la construction du
canal alternatif au Bosphore sont
donc discutables.
En revanche, les
raisons politiques ne le sont pas.
La Convention de Montreux permet aux
pays qui n’ont pas de littoral sur
la mer Noire d’acheminer à travers
le détroit uniquement des navires de
surface légers et navires
auxiliaires, mais pas des
porte-avions ou des sous-marins. Le
tonnage total de l'escadre des
navires de guerre des pays qui n’ont
pas de littoral en mer Noire ne doit
pas dépasser 45.000 tonnes.
Toutefois, ces restrictions ne
s'appliqueront pas au canal qui sera
parallèle au Bosphore. L'équilibre
militaro-politique régional sera
ainsi déplacé en faveur de la
Turquie et de ses alliés.
«
Le canal artificiel ne risque pas
d’être soumis aux conditions de la
convention »,
explique Viktor Nadéine-Raevski. «
Le transit de l’équipement militaire
et des navires de guerre sera alors
possible. Beaucoup de détails sur le
plan juridique international devront
être discutés, car même en temps de
guerre les Turcs auront le droit de
faire passer les navires, car c’est
leur canal et il ne sera soumis à
aucune réglementation
internationale. Tout cela renforcera
les positions de la Turquie et son
rôle dans l'hégémonie régionale.
Cela permettra également d’augmenter
son rôle sur le plan de la politique
internationale ».
Les Etats-Unis ont
besoin d’un « deuxième Bosphore »
pour renforcer leur influence dans
la région. Il est évident que cette
décision ne sera pas du goût de la
Russie. Toutefois la Turquie, elle
non plus, ne risque pas d’en tirer
profit. Evidemment, sur le plan
tactique cela augmentera son statut
régional. Mais du point de vue
stratégique, elle pourrait être
impliquée dans un projet douteux
avec une issue très incertaine et sa
réputation d’un pays indépendant en
pâtirait. Les Turcs seront-ils prêts
à faire des sacrifices au nom de ces
avantages tactiques ? Le Premier
ministre turc Recep Tayyip Erdogan
n’a pas encore donné de réponse à
cette question.
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