Opinion
Syrie : La prise
de contrôle de Baba Amro a imposé le
compromis politique
Sami
Kleib
Annan
s'entretient avec Hassoune et les
représentants des communautés
religieuses en Syrie
Photo: Sana
Dimanche 11 mars
2012
Si on relevait
toutes les déclarations US, européennes
ou turques sur le rejet d’une
intervention militaire en Syrie, on
s’apercevrait qu’elles sont sans doute
plus nombreuses que toutes les
déclarations des autorités syriennes sur
ce même sujet.
Ces
déclarations répétées font sourire les
responsables syriens, et avec eux, les
Russes, les Chinois, les Iraniens qui
les entendent. Ils s’attendent en effet
à des changements prochains dans le
paysage international qui tendront à
privilégier le compromis politique, vu
l’impossibilité de renverser par la
force le régime Assad.
L’envoyé des Nations Unies et de la
Ligue Arabe en Syrie Kofi Annan sera le
premier à frapper à la porte de Damas
aujourd’hui. Son arrivée coïncide avec
la victoire de Poutine à la présidence
de la Russie et celle -décisive- des
partisans de l’ayatollah Khamenei aux
élections législatives d’Iran. Elle
coïncide aussi avec un aveu officiel des
USA précisant que l’Organisation d’Al Qaïda s’est infiltrée au sein de
l’opposition syrienne, et la
confirmation par les Russes que plus de
15.000 étrangers armés combattent sur le
territoire de la Syrie, l’entraînement
de la plupart d’entre eux se faisant en
Libye.
Cette
évolution au plan international,
satisfaisante pour la Syrie, suit de
près la prise de contrôle par l’armée
syrienne de Baba Amro, le secteur le
plus dangereux de Homs. Celle-ci a
rassuré les partisans des autorités
syriennes quant à la préservation de la
puissance de l’État et à la capacité des
forces armées de juguler tout mouvement
d’envergure. C’est ainsi que la
perspective de provoquer un nouveau «
Benghazi » sur le
territoire syrien s’est amenuisée,
estompée même. S’est évanoui de même
tout espoir occidental d’une scission au
sein de l’armée. Par ailleurs, il semble
que les services de renseignement aient
mis la main à Baba Amro sur des dossiers
et des documents nombreux qui pourraient
bien être diffusés très bientôt, et dont
certains seraient compromettants non
seulement pour certains gouvernements
arabes, mais pour d’autres également.
Annan
a débuté sa visite en déclarant qu’il
fallait privilégier « le
réalisme » et « une
solution politique » à négocier
entre le pouvoir et l’opposition. Cela a
été suivi d’une nouvelle prise de
position russe définie par le
vice-ministre russe des affaires
extérieures, Guennadi Gatilov affirmant
le rejet russe du projet de résolution
internationale au Conseil de Sécurité,
et justifiant ce refus par le fait que
la résolution serait «
mal équilibrée » parce qu’elle
n’invite pas TOUTES les parties à
prendre des mesures pour faire cesser la
violence.
Moscou avait fixé ses lignes rouges
immédiatement après l’élection de
Poutine, en affirmant que sa position
sur la question de la Syrie ne tenait
pas aux résultats d’une élection «
comme c’est le cas dans
certains pays occidentaux ». La
position de l’administration russe dans
les circonstances actuelles, et avec
elle la chinoise, est de rechercher une
solution politique négociée avec le
président Assad, et non contre lui ou à
ses dépens. Parlant en présence du
secrétaire général de la Ligue Arabe,
Nabil el-Arabi, Annan a affirmé : «
Mon espoir est que
personne ne songe sérieusement au
recours à la force ». Nabil el-Arabi
a souscrit à cela. Tout le monde semble
avoir oublié l’invitation lancée par le
ministre saoudien des affaires
étrangères Saoud Al Fayçal, et par le
premier ministre qatari cheikh Hamad Ben
Jassem ben Jaber Al Thani à armer
l’opposition.
Dans
les heures qui suivront, le ministre
russe des affaires extérieures Serguei
Lavrov dira à ses homologues arabes que
leur objectif de renverser Assad par la
force s’est conclu par un échec, et
qu’une solution négociée est inévitable.
Moscou a confirmé récemment à Assad
qu’elle continue à l’appuyer, et que
rien ne peut modifier son choix
stratégique.
Damas
qui reçoit Annan aujourd’hui a accepté
de recevoir l’adjointe du Secrétaire
Général de l’ONU pour les affaires
humanitaires Valérie Amos, venue «
convaincre » les
autorités syriennes de faciliter
l’arrivée des vivres et de l’aide
humanitaire.
De
son côté, la Chine a fait un retour en
force en décidant d’envoyer un émissaire
diplomatique de haut rang en Arabie
Saoudite, en Égypte et en France. La
ligne explicite suivie par la Chine est
de convaincre et le gouvernement et
l’opposition de mettre un terme à la
violence. Mais implicitement, elle
cherche à obtenir un compromis négocié
sans intervention étrangère.
Dès
que la crise syrienne a éclaté, l’idée
du président Assad reposait sur la
priorité de « tenir le
terrain », puis à se mettre à
l’écoute de l’extérieur. Il semble que
la prise de contrôle de la plus grande
partie de l’agglomération de Homs, et le
fait que le monde a fini par comprendre
que la position de la Russie, loin
d’être tactique et momentanée, s’inscrit
au contraire dans une stratégie de lutte
à l’échelle régionale et internationale,
ont renforcé la conviction d’Assad que
le combat se poursuivra jusqu’à la
reddition du dernier combattant, et que
lui-même avait fait le bon choix.
Kofi
Annan ne fera pas de miracles. Il
cherchera dans un premier temps à
faciliter l’aide humanitaire. Mais cette
visite vise d’autres buts, plus
profonds. Il s’agit de tâter le pouls
pour évaluer les chances d’en arriver à
un arrangement négocié. Et de tenter
d’en établir les lignes d’horizon.
Tout
le monde a maintenant besoin d’un «
arrangement » ou
d’un « compromis ».
Le président des USA, Barak Obama est en
tête de ceux qui veulent sortir de «
l’impasse syrienne
». Le président français Nicolas Sarkozy
est conscient de son impuissance à
répéter l’opération libyenne. La Turquie
a atteint les limites de ce qu’elle peut
donner. Quant à Damas, sa détermination
à combattre les groupes armés ne met
absolument pas en cause sa volonté d’en
venir à une solution négociée. La
dégringolade actuelle de la livre
syrienne laisse présager le pire. Le
fossé qui s’est creusé sur le plan
confessionnel, religieux et social doit
absolument être comblé au plus tôt.
L’Iran restant l’ultime but visé par le
pôle occidental, la position d’Obama
rejetant l’idée d’une frappe militaire
de l’Iran lors de la réception du
premier ministre d’Israël Benyamin
Netanyahou, doublée de l’accueil
favorable réservé à cette position par
l’ayatollah Khamenaï, ne peuvent que
soulever chez l’observateur attentif le
sentiment que les possibilités d’un
compromis sont en train de se dessiner.
Annan
tentera sans doute de convaincre Assad
et l’opposition de cesser les combats.
Le diplomate d’origine ghanéenne qui n’a
pu empêcher ni l’invasion de l’Irak, ni
le partage de la Yougoslavie, ni les
agressions israéliennes sur le Liban,
présentera peut-être l’ébauche d’une
solution prévoyant la formation d’un
gouvernement d’unité nationale,
l’organisation d’élections, et une
véritable réconciliation nationale. Mais
il n’en reste pas moins que tout cela
reste difficile à réaliser. Dans une
conjoncture marquée par des élections
présidentielles aux USA et en France, et
par l’accentuation des pressions
israéliennes au sujet du nucléaire
iranien, négocier reste plus difficile
que de se battre.
La
Syrie connaîtra encore de longs mois
d’insécurité avant que l’ordre ne soit
rétabli pour de bon, grâce à un
compromis restant à déterminer. Tout le
monde a besoin de ce compromis. Mais les
USA, les Occidentaux, les Turcs et les
Arabes du Golfe le souhaitent sans
Bachar. Quant à la Russie, la Chine et
l’Iran, ils continuent à exiger que le
président soit le garant de ce compromis
ou qu’il soit. à tout le moins, une des
parties. La bataille de Baba Amro et ce
qui suivra à Idleb et ailleurs
renforcent le pouvoir syrien dans sa
conviction que le temps de son
renversement par la force est révolu.
Sami Kleib
Analyse parue dans le quotidien libanais
As-Safir le 10 mars
2012, traduite de l’arabe par Joseph
Berbery.
Sami
Kleib est un collaborateur émérite du
quotidien libanais As-Safir, et a été
rédacteur en chef du service arabe de
Radio France International. As-Safir est
un quotidien généraliste libanais, fondé
en 1974. Un temps figure d’al-Jazeera
dont il fut non seulement un journaliste
mais un producteur, Sami Kleib a claqué,
comme pas mal d’autres, la porte de la
chaîne qatarie à l’été 2011, dénonçant
sa dérive islamiste et fondamentaliste.
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