|
Les Amis de Jayyous
Les
pots-de-vin
Samah Jabr
Samah Jabr
4 janvier 2008
Les participants à la conférence des donateurs de Paris qui
battait le rappel pour soutenir économiquement le gouvernement du
président Mahmoud Abbas (celui-ci demandait 5,6 milliards pour
financer un plan de développement sur trois ans pour les
territoires) se sont engagés pour un total de 7,4 milliards de
dollars d’aides ! La conférence, à laquelle participaient
68 pays et des organisations internationales de premier plan,
faisait écho à celle d’Annapolis initiée par les USA le mois
dernier et qui relançait les négociations pour la création d'un
Etat palestinien dans les 12 mois.
De telles conférences ont bien peu de chose à voir avec la
promotion de la prospérité palestinienne ou l’allègement des
tourments du peuple. Alors que les puissances impérialistes sont
censées rechercher une sorte de solution au conflit israélo-palestinien,
elles ne visent en réalité qu’à maintenir une Autorité
palestinienne inconstitutionnelle contre la volonté même du
peuple palestinien, ainsi que les forces de sécurité dont cette
Autorité se sert pour réprimer toute opposition à Israël ;
pour ce faire, ces puissances sont prêtes à payer tous les
pots-de-vin.
Effectivement, cet afflux d’aides sera utilisé comme un
outil politique pour s’immiscer dans notre combat national tout
en prétendant que le monde, soudain, a reconnu l’urgence pour
une situation humanitaire qui s’est détériorée en Palestine,
d’où ces promesses de milliards pour le gouvernement de
Ramallah. Le président français, Nicolas Sarkozy, a proposé le
déploiement d’une force internationale dans les territoires
occupés palestiniens dans le but de soutenir l’appareil de sécurité
palestinien fidèle à Abbas, « quand le moment sera venu,
et quand les conditions seront réunies », pressant les
Palestiniens de s’unir derrière Abbas, et prévenant qu’il
n’y aurait aucune paix avec un mouvement refusant de reconnaître
Israël – c’est-à-dire le Hamas. La proposition de Sarkozy révèle
le véritable projet qui se cache derrière cette aide
internationale.
Une force internationale ne viendrait pas protéger la vie des
Palestiniens, leurs terres et leurs maisons, des agressions
quotidiennes israéliennes, elle viendrait aider la sécurité
palestinienne à sévir contre la résistance et protéger les
colonies israéliennes. Notre dernier accrochage avec des forces
internationales remonte à Jéricho, quand elles se sont entendues
avec les Israéliens pour l’enlèvement de nos prisonniers. Il
est risible de voir Abbas approuver la proposition de Sarkosy ;
est-ce parce que l’argent lui brouille la vue, ou aurait-il
besoin d’être protégé de son peuple ?
De telles conférences sont trompeuses sur la volonté
palestinienne et accordent une reconnaissance au niveau
international à des vieux, des faibles d’esprit et des retraités
qui sont prêts à signer tout ce qu’on leur demande comme représentants
des Palestiniens, elles écartent dans le même temps ceux qui ont
été démocratiquement élus.
Il manque à la délégation palestinienne qui négocie le
mandat pour le faire en notre nom. Elle est composée de ceux qui
ont été rejetés aux élections parlementaires de janvier 2006 ;
pourtant, ils s’approprient le droit de représenter la
Palestine, plus préoccupés qu'ils sont à vivre en dehors de la
cause et à avoir des contrats de travail, quelques années
encore, qu’à faire réellement la paix.
Les membres de la délégation ne se comportent pas comme les
chefs d’un combat national ; ils sont arrogants et distants
avec leur propre peuple, amicaux avec l’ennemi. Les photos de
leurs rencontres cordiales avec les Israéliens, pendant que les
troupes d’Israël tuent nos garçons dans la bande de Gaza, sont
une honte pour notre combat.
Depuis Annapolis, Israël s’est attaché à construire des
colonies de peuplement et à multiplier les assassinats dans Gaza.
Au lieu de discuter des questions cruciales, l’équipe de négociation
palestinienne, sans aucun pouvoir, va devoir discuter des atrocités
qui se poursuivent, et je ne suis même pas sûre qu’elle soit
capable d’y porter un coup d’arrêt, et donc, à plus forte
raison, d’instaurer un Etat ou la fin de l’occupation.
Sur 15 ans, les Palestiniens ont reçu 10 milliards de dollars
pour construire leur Etat. On nous a promis que la Palestine
serait le Singapour du Moyen-Orient. Une part de cet argent est
tombée entre les mains de types corrompus, odieux et
opportunistes. Quand ils mettaient au point des projets de développement,
c’était des projets du style du casino de Jéricho.
Les constructions modestes réalisées ont été démolies,
sous les yeux du monde ; les donateurs internationaux regardaient,
sans honte, consentants. Pendant ce temps, les territoires
palestiniens se transformaient en ghettos où toute vie décente
était bannie. Israël ne laisse pratiquement aux Palestiniens
aucune liberté pour pouvoir prospérer ou promouvoir leur propre
Etat. Les Israéliens ont fait sauter l’aéroport et la centrale
électrique de Gaza, bombardé les infrastructures à Ramallah et
à Bethléhem, ils ont fermé le port maritime, de même que la
plupart des points de passages pour entrer et sortir. Le
gouvernement israélien n’autorisera, en aucune façon, aucun
projet qui pourrait profiter aux Palestiniens. La généralisation
des fermetures, instaurée après le soulèvement palestinien de
septembre 2000, a décimé l’économie palestinienne, liquidant
les emplois et plongeant les trois quarts de la population dans la
pauvreté. Nous avons vu les produits agricoles pourrir sur les
bas-côtés des routes, pendant des jours, dans l’attente des
autorisations des forces de sécurité israéliennes ; nous
avons vu des moutons, dans Gaza, manger les fleurs prêtes à être
exportées, mais Israël ne nous en donnait pas l’autorisation.
L’aide internationale ne mettra pas fin au siège qui nous
est imposé, ni aux tirs ni aux meurtres d’Israël contre nos
hommes. L’aide est une ingérence flagrante dans nos affaires
financières internes, elle vise à remettre en cause le choix démocratique
du peuple palestinien. Que signifient ces milliards pour les bébés,
les personnes âgées et les femmes qui meurent chaque jour, aux
frontières de Gaza, cela parce qu’Israël leur refuse l’accès
aux soins ou aux médicaments dont ils ont besoin ? que
signifie cet argent pour tous ceux qui sont humiliés à chaque
fois qu’ils passent un check-point ? uniquement des
pots-de-vin, des pots-de-vin pour acheter le silence de ceux qui
se sont octroyé le monopole de nous représenter.
Les incursions militaires routinières d'Israël dans la bande
de Gaza n'arrivent pas à faire cesser les tirs de roquettes
artisanales Qassem sur les colonies. Les Israéliens ne savent pas
comment régler la situation face à ces roquettes lancées depuis
la bande de Gaza, ils sont dans une véritable impasse. Ils se
servent des pressions de la communauté internationale pour que
celle-ci pousse l’Autorité palestinienne inconstitutionnelle à
un conflit direct avec le Hamas à Gaza, tout en poursuivant leurs
propres efforts pour s’emparer des meilleures terres
palestiniennes et assurer leur contrôle sur Jérusalem ;
c’est tout le sens des conférences d’Annapolis et de Paris.
Tout ce que nous entendons n’est que rhétorique sur un soutien
à un Etat palestinien. Il n’y a aucun signe qu’une politique
internationale s’en prendrait à l’occupation elle-même, ni
aucune pression sérieuse exercée sur Israël pour qu’il lève
les restrictions de mouvements des personnes et des marchandises.
Les requins de la politique et de l’économie qui sont liés
à Israël commencent à parler de projets privés d’envergure
qui nous rendraient encore plus dépendants d’Israël, alors que
nous devons au contraire nous en libérer et nous rapprocher du
monde arabe. Tout projet important de développement, sans unité
politique et géographique, n’est qu’illusoire ; à
l’inverse, un projet, le plus modeste soit-il, peut nous écarter
d’Israël. La micro-économie et les mini projets qui emploient
les ressources locales et visent à répondre aux besoins du marché
local méritent de survivre. Tout développement doit impliquer le
secteur public, lequel est composé d’une majorité pauvre qui
élève notre combat national ; c’est cela qui nous
conduira à la libération nationale, pas le commerce avec Israël.
Les « nécessités sécuritaires » d’Israël
exigent toujours des restrictions physiques et administratives
considérables contre le développement palestinien. Il y a 7 ans,
Yasser Arafat nous annonçait avec enthousiasme que la découverte
de gaz naturel dans la bande de Gaza allait nous apporter la prospérité
économique. Pour un seul site, des experts avaient estimé la réserve
de gaz à 4 milliards de dollars, laquelle génèrerait 100
millions de dollars par an pendant 15 ans et fournirait la base
d’une croissance économique durable pour les Palestiniens. Il y
a eu un projet pour la vente de ce gaz à l’Egypte, mais
l’ex-Premier ministre Ariel Sharon a déclaré qu’en aucun
cas, il n’autoriserait un projet qui augmenterait les rentrées
d’argent de Yasser Arafat. Alors, un fonds en fidéicommis a
soudain été créé et il s’est assuré que l’argent
international n’irait qu’au gouvernement palestinien désigné
par Mahmoud Abbas ; Israël s'est porté acquéreur et
propose de payer le gaz en marchandises et en services. Suite aux
négociations avec British Gas, la société qui a acheté, pour
un prix très bas, les droits de développer Gaza Marine, la Haute
Cour a décidé de bloquer l’exploitation du site. Ainsi vont
les projets de développement palestinien sous occupation.
Les Palestiniens se sentent concernés par le progrès, mais
Israël garde les recettes fiscales, gèle et surveille les
comptes bancaires, bloque les mouvements de capitaux, de matériel
et de main-d’œuvre, il est donc très difficile pour
quelqu’un d’investir dans cette région, et de construire un
Etat et une société qui fonctionnent. Les atrocités israéliennes
sont systématiques et tolérées par la communauté
internationale ; l’expansion de l’économie
palestinienne, si l’occupation se poursuit, est un processus
vain. Etant donné qu’aucune pression ne sera exercée sur Israël
pour décoloniser, à l’instar des conférences antérieures, la
conférence de Paris tombe, remarquablement, à côté de la
question.
Je ne sous-estime pas la nécessité de sauver l’économie
palestinienne, mais il est vain de s’y engager tant que dure
l’occupation, et c’est exactement ce qui va se passer si le
projet de faire cesser la résistance palestinienne est mené à
bien. Il faut que la communauté internationale exerce des
pressions sur Israël pour qu’il enlève ses barrages routiers
en Cisjordanie et permette à Gaza d’ouvrir ses frontières, il
faut qu’il se retire complètement de la proximité de nos
frontières, qu’il cesse de bâtir des colonies de peuplement
et, à l’inverse, qu’il les retire, ainsi que le mur qui
transforme notre espoir pour un Etat en un rêve palestinien qui
s'effondre. Sans cela, l’argent ne sera qu’une sucette lancée
à l’opinion publique internationale, il créera chez nous une
atmosphère de méfiance, montant les Palestiniens les uns contre
les autres et retardant, par conséquent, le combat contre les
Israéliens. Ainsi, les Palestiniens resteront toujours une nation
ravagée, vivant de dons, et dirigée par des gens touchant des
pots-de-vin et qui mendient.
Texte reçu de l'auteur le 4 janvier par les Amis de Jayyous -
traduction : JPP
|