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Cuba
L'obsession
cubaine de la Maison-Blanche
Salim Lamrani
Salim Lamrani
22 décembre 2007
L’actuelle administration étasunienne
présidée par George W. Bush souffre d’une obsession singulière
à l’égard de Cuba. Malgré la sanglante tragédie irakienne et
l’échec de l’invasion de l’Afghanistan, Washington est plus
que jamais décidé à renverser le gouvernement de La Havane et
à instaurer un régime à ses ordres. L’Union européenne, si
prompte à emboîter le pas étasunien dès lors qu’il s’agit
de stigmatiser Cuba, continue d’observer un silence complice
face à la politique irrationnelle de la Maison-Blanche.
En mai 2004, Washington a imposé de nouvelles sanctions économiques
qui ont eu des conséquences désastreuses pour la population
cubaine. Les envois d’argent ont été fortement limités. Les
citoyens cubains des Etats-Unis ne peuvent désormais envoyer une
aide financière qu’aux membres directs de leur famille, selon
la nouvelle définition du terme fournie par Bush. Sont donc
exclus tous les autres membres (cousins, oncles, neveux…) sauf
les grands-parents, parents, frères et sœurs, enfants et époux.
Les émigrés cubains ne peuvent dorénavant rendre visite à leur
famille sur l’île que 14 jours tous les trois ans dans le
meilleur des cas. En effet, il faut qu’ils obtiennent préalablement
une autorisation du Département du Trésor. De la même manière,
ils ne peuvent emporter plus de 20 kg de bagages ou dépenser plus
de 50 dollars par jour sur place1.
En juillet 2006, le président Bush a établi des sanctions
additionnelles encore plus drastiques. Il a même désigné Caleb
McCarry comme coordinateur de la « transition »,
à l’instar du proconsul Paul Bremmer nommé en Irak en 2003, et
a fixé le délai pour se débarrasser du gouvernement cubain à
18 mois ! Un budget de 31 millions de dollars a été alloué
à la fabrication et au renforcement d’une opposition interne
qui s’ajoute à la somme de 50 millions de dollars prévue en
2004 et 2005. Washington prévoit même de sanctionner économiquement
les pays qui investiraient à Cuba et a établi une liste noire
des fonctionnaires à mettre hors d’état de nuire dans une
future Cuba recolonisée. Les échanges académiques, culturels,
religieux, sportifs et humanitaires entre les deux pays sont extrêmement
limités et les peines les plus sévères – jusqu’à 10 ans de
prison – peuvent être appliquées aux contrevenants. Les envois
d’argent à Cuba sont désormais encore plus restreints et les
conditions requises aux entreprises étasuniennes pour vendre des
produits alimentaires à Cuba sont de plus en plus difficiles à
remplir2.
En octobre 2007, le président Bush a tenu un discours extrêmement
virulent contre La Havane soulignant que « peu de problèmes
ont défié […] notre nation autant que la situation à Cuba »
et a réaffirmé sa volonté d’accroître encore plus l’état
de siège dont est victime la population cubaine. Il a également
lancé un appel à l’insurrection à destination de l’armée3.
Le 19 décembre 2007, le Bureau de responsabilité
gouvernementale des Etats-Unis (United States Government
Accountability Office – GAO) a publié un rapport de 96
pages sur les conséquences engendrées par le durcissement des
sanctions économiques à l’égard de Cuba qu’il considère
comme étant « le réseau le plus développé de
sanctions économiques imposé par les Etats-Unis ».
Ainsi, en 2007, les services douaniers (Customs and Border
Protection – CBP) de Miami ont réalisé des inspections « secondaires »
sur 20% des passagers en provenance de Cuba afin de vérifier
que ces derniers n’importaient pas de cigares, de l’alcool ou
des produits pharmaceutiques de l’île. En revanche, la moyenne
a été de 3% seulement pour les autres voyageurs. Selon le GAO,
cette focalisation sur Cuba « réduit l’aptitude des
services douaniers à mener sa mission qui consiste à empêcher
les terroristes, les criminels et les autres étrangers indésirables
d’entrer dans le pays4 ».
« Après 2001, le Bureau de contrôle des biens étrangers
[OFAC] a ouvert plus d’enquêtes et a imposé plus de sanctions
pour les violations de l’embargo, telles que l’achat de
cigares cubains, que pour toutes les violations d’autres
sanctions telles que celles imposées à l’Iran »,
souligne le rapport5. Plus grave encore, le GAO
affirme que de nombreuses défaillances ont été détectées dans
de « grands ports d’entrée à travers la nation qui
augmentent la possibilité pour les terroristes […] d’entrer
dans le pays. L’utilisation efficace des ressources
d’inspections secondaires est indispensable à
l’accomplissement de la mission prioritaire antiterroriste des
services douaniers6 ». La lutte contre
le terrorisme est devenue « la première des priorités
de la CBP depuis les attaques terroristes du 11 septembre 20017 ».
Ainsi, entre octobre 2006 et mars 2007, les services
douaniers de l’aéroport de Miami ont procédé à 1 500
saisies « de petites quantités de tabac, d’alcool et
de produits pharmaceutiques dans la plupart des cas »
sur des passagers en provenance de Cuba lors d’inspections qui
ont duré entre 45 minutes et trois heures. En revanche, ils
n’ont effectué que 465 saisies sur tous les autres passagers en
provenance du reste du monde dont 211 kilos de drogues et 2,4
millions de dollars en liquide8.
L’administration Bush, au lieu d’utiliser les
ressources humaines et techniques à sa disposition pour préserver
la sécurité nationale et lutter contre le terrorisme et le
trafic de drogue, préfère concentrer ses efforts pour réprimer
les touristes qui importeraient une boîte de cigares, une
bouteille de rhum ou des médicaments de Cuba. Cet acharnement
irrationnel est d’autant plus grave qu’il se fait au détriment
de la protection des citoyens étasuniens. En effet, le rapport a
noté le manque important de personnel douanier qui « a
créé des vulnérabilités dans son processus d’inspection dans
les ports d’entrée américains9 ».
Le rapport insiste également sur le caractère
obsessionnel de la politique anticubaine de Washington. Ainsi,
alors qu’il existe plus d’une vingtaine de programmes de
sanctions économiques contre des pays tiers, l’OFAC a dédié,
entre 2000 et 2006, 61% de ses ressources à pourchasser les
touristes étasuniens qui se sont rendus à Cuba sans autorisation10.
L’OFAC a réalisé 10 823 enquêtes concernant des
violations des sanctions économiques contre Cuba et seulement 6 791
enquêtes pour tous les autres programmes de sanctions11.
« Alors
que l’embargo contre Cuba ne représente qu’un seul des
quelque vingt programmes de sanctions que l’OFAC gère, les
amendes imposées par l’OFAC pour les violations de l’embargo
contre Cuba représentent plus de 70% des amendes totales imposées
entre 2000 et 200512 ». L’étude
conclut que « depuis 2000, l’OFAC a mené plus d’enquêtes
et a imposé plus d’amendes pour les violations de l’embargo
cubain que pour l’ensemble des quelque vingt autres programmes
de sanctions que l’agence applique13 ».
Le Département du Trésor a imposé des amendes pour un total de
8,1 millions de dollars pour les 8 170 violations des
sanctions contre Cuba, ce qui fait une moyenne de 992 dollars par
violation. « La plupart de ces violations étaient
relativement mineures, telle qu’acheter des cigares cubains par
Internet14 ».
Le GAO a exhorté les autorités gouvernementales et
le secrétaire à la Sécurité nationale en particulier à
destiner prioritairement les ressources humaines des services
douaniers à la sécurité du pays et non pas « aux
inspections secondaires des voyageurs revenant de Cuba ».
Il a également demandé à l’OFAC de faire preuve de plus d’équilibre
dans l’administration des sanctions financières et de cibler en
priorité les pays « engagés dans le terrorisme, la
prolifération des armes et le trafic de drogue15 ».
Les Etats-Unis sont déterminés à renverser le
gouvernement cubain et n’ont aucun scrupule à infliger un
traitement cruel et inhumain aux catégories les plus vulnérables
de la population de l’île pour atteindre leur objectif. Ils
persistent à appliquer une politique anachronique et illégale
qui viole les droits fondamentaux des Cubains et qui met en danger
leur propre sécurité. Rejetées par l’immense majorité de la
communauté internationale, les sanctions économiques ont échoué
depuis près d’un demi-siècle et illustrent l’incapacité de
Washington à accepter l’indépendance et la souveraineté de
Cuba.
Notes
1
Colin L. Powell, Commission for Assistance to a Free Cuba,
(Washington : United States Department of State, mai 2004). www.state.gov/documents/organization/32334.pdf
(site consulté le 7 mai 2004), pp. 40-41.
2
Condolezza Rice & Carlos Gutierrez, Commission for
Assistance to a Free Cuba, (Washington : United States
Department of State, juillet 2006). www.cafc.gov/documents/organization/68166.pdf
(site consulté le 12 juillet 2006), pp. 19, 24, 25, 27 ;
Salim Lamrani, Cuba
face à l’Empire (Genève : Editions Timéli, 2006),
pp. 139-54.
3
George W. Bush, « Remarks by the President on Cuba Policy »,
Office of the Press Secretary, The Miami Herald, 24
octobre 2007.
4
The United States Government Accountability Office, Economic
Sanctions. Agencies Face Competing Priorities in enforcing the
U.S. Embargo on Cuba, Report to Congressional Requesters,
novembre 2007. http://www.gao.gov/new.items/d0880.pdf
(site consulté le 21 décembre 2007), introduction, pp. 1, 6.
5
Ibid., introduction.
6
Ibid., p. 6.
7
Ibid., p. 18.
8
Ibid., p. 44.
9
Ibid.
10
Ibid.,
p. 6.
11
Ibid., pp. 45-46.
12
Ibid., p. 7.
13
Ibid., p. 9.
14
Ibid., p. 48.
15
Ibid., p. 61.
Salim
Lamrani est enseignant, écrivain et journaliste français, spécialiste
des relations entre Cuba et les Etats-Unis. Il a notamment publié
Washington contre Cuba (Pantin : Le Temps des Cerises,
2005), Cuba face à l’Empire (Genève : Timeli,
2006) et Fidel Castro, Cuba et les Etats-Unis (Pantin :
Le Temps des Cerises, 2006).
Contact :
lamranisalim@yahoo.fr
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