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Le Quotidien d'Oran
« On ne partira pas,
c'est lui qui part ! »:
L'Egypte dans l'impasse Moubarak
Salem Ferdi
Dimanche 6 février 2011
«Mech hanemchi, houwa yemchi». Place At-Tahrir, à un
militaire qui leur demandait de quitter les lieux pour
préserver l'Egypte, la réponse des manifestants a été
puissante: c'est à Moubarak de partir !
Le raïs, après avoir été à la tête de l'Egypte pendant
trente ans, bloque toujours son nouveau départ. Ses amis
occidentaux s'impatientent. Au douzième jour, au lendemain
d'un «vendredi du départ» massivement suivi, les Egyptiens
ont continué leur mouvement pour un changement du régime qui
commence pour eux par le départ immédiat de Hosni Moubarak.
Sur la place At-Tahrir, le cœur battant de la révolution, et
dans d'autres villes du pays, les contestataires
maintenaient la pression et ont décidé une nouvelle marche
du million baptisée le «dimanche des martyrs». La nouveauté
dans cette douzième journée de protestation populaire est un
attentat visant le terminal gazier de Cheikh Zouwayed, dans
le Sinaï, près de la bande de Gaza, qui approvisionne
Israël, selon l'Etat hébreu. Hosni Moubarak qui s'accroche
au pouvoir devient un abcès de fixation qui empêche le début
de sortie de crise et l'entrée dans la transition. Les
Américains, qui craignent une «tempête» sur le
Proche-Orient, exercent de fortes pressions pour hâter le
processus. Le président égyptien a donné
l'impression de ne pas tenir compte des ces pressions. Il a
rencontré hier, comme s'il s'agissait d'une réunion
ordinaire, des ministres en charge des questions
économiques, dont le Premier ministre Ahmed Chafik, le
ministre des Finances, ceux du Pétrole, du Commerce et de
l'Industrie, ainsi que le gouverneur de la Banque centrale…
Les banques devraient reprendre demain dans une tentative
d'entamer le retour à la normale. Dans l'après-midi, le
commandant de la région centre de l'armée égyptienne est
allé à la place At-Tahrir pour essayer de convaincre les
manifestants de la quitter et de «préserver ce qui reste de
l'Egypte».
Une réponse enflammée
La place At-Tahrir s'est alors enflammée sur un slogan
repris avec force «Mech hanemchi, houwa yemchi!». «Nous ne
partons pas, c'est lui qui part !». La clameur de la place
At-Tahrir montrait clairement que les tentatives de sauver
la face au président Moubarak n'ont pratiquement aucune
chance d'être acceptées. Une situation d'impasse. Alors que
le vice-président désigné récemment, Omar Souleïman,
consulte en vue de l'organisation d'une transition, le
président égyptien s'accroche à sa volonté d'aller jusqu'au
bout de son mandat. Il crée ainsi une situation volatile,
alors que les gros bras mobilisés par les pontes du parti au
pouvoir n'ont pas désarmé et ont élargi leur cible à la
presse. Un journaliste égyptien, Mohammed Mahmoud, blessé
d'une balle à la tête le 29 janvier alors qu'il filmait les
manifestations depuis un balcon pour le quotidien Al Ahram,
proche du gouvernement, a succombé samedi à ses blessures.
L'armée, dont l'attitude reste scrutée, n'a pas encore lâché
Moubarak et les discussions que mènent Souleïmane se
limitent à la composition d'un gouvernement de transition.
Confusion
Une certaine confusion règne, par ailleurs, sur les acteurs
de la négociation. Des membres du mouvement de jeunes à
l'origine des manifestations ont nié l'existence d'un accord
avec un «comité de sages» qui a annoncé qu'il entamerait des
négociations avec les autorités après que Moubarak délègue
ses prérogatives à son vice-président Omar Souleïmane.
Une option qui permettrait à Moubarak de rester
formellement à la tête de l'Etat et qui est rejetée par les
jeunes et de nombreux acteurs de l'opposition. Mais cette
option a été exclue par le Premier ministre Ahmad Chafic.
Mohamed ElBaradei, prix Nobel de la Paix, a indiqué pour sa
part qu'il souhaitait s'adresser directement à l'armée pour
«organiser une transition sans effusion de sang». Il a de
nouveau appelé Moubarak à se retirer du pays. «Il y aura
sans doute bien un pays arabe pour l'accueillir. J'ai
entendu parler du Bahreïn», a-t-il précisé. Les Américains
continuent à inciter leur vieil allié de prendre la « bonne
décision », pour reprendre la formule de Barack Obama.
«L'avenir de l'Egypte sera décidé par son peuple», a dit le
président américain lors d'une conférence de presse commune
avec le Premier ministre canadien, Stephen Harper. «Ayant
accompli cette rupture psychologique, ayant pris la décision
de ne pas se représenter, je pense que la chose la plus
importante qu'il doit à présent se demander, c'est comment
rendre cette transition efficace, durable et légitime», a
souligné Obama à l'adresse de Hosni Moubarak.
Tempête sur la région
Le Premier ministre britannique, David Cameron, a souligné
de son côté que «plus on attend, plus il est probable qu'on
risque d'avoir un jour affaire à une Egypte qui ne nous
plaira pas». Discours alarmiste systématisé à l'ensemble de
la région du Moyen-Orient - dans la conception américaine,
il inclut le Maghreb - par Mme Hillary Clinton. Pour elle,
la région est frappée d'une «véritable tempête» qui commande
aux régimes de mettre rapidement des réformes démocratiques.
«La région est frappée par une véritable tempête de courants
puissants. C'est ce qui pousse les manifestants dans les
rues de Tunis, du Caire et d'autres villes dans toute la
région. Le statu quo est tout simplement intenable».
La théorie des régimes «remparts» contre l'islamisme n'a pas
tout à fait vécu mais elle est considérablement ébréchée par
l'entrée en scène des sociétés. «Ce n'est pas seulement une
question d'idéalisme. C'est une nécessité stratégique. Sans
progrès authentiques vers des systèmes politiques
responsables et ouverts, le fossé entre les peuples et leurs
gouvernements va grandir et l'instabilité ne fera que
s'accroître. L'ensemble de nos intérêts serait en péril».
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