Tunisie
Les dessous de
l'assassinat de Chokri Belaïd
Salah
Oueslati
Jeudi 7 février
2013
Les Nahdhaouis
démocrates, s'il en existe bien sûr,
devraient dénoncer clairement et sans
ambiguïté l'aile radicale de leur parti,
même si le prix à payer est la scission
ou l'implosion d'Ennahdha.
Par Salah
Oueslati*
Pourquoi assassiner Chokri
Belaïd, alors qu'a priori son parti ne
constitue nullement un concurrent
électoral de premier plan à Ennahdha?
Les raisons sont simples. Belaïd est
l'un des rares hommes politiques qui a
fait une lecture pertinente de la
stratégie du parti islamiste et qui n'a
pas hésité à révéler à maintes reprises
son plan d'assassinat de ses opposants
politiques, et à dénoncer le noyautage
de l'armée et de l'appareil de l'Etat
par Ennahdha et les liens obscurs que ce
parti entretient avec des parties
étrangères.
«A qui
profite le crime?»
Fidèle à leur habitude, Ennahdha et
ses sympathisants se sont empressés
d'utiliser la théorie du complot sur les
réseaux sociaux pour donner leur version
des faits et reprendre en chœur le mot
d'ordre de leur chef Rached Ghannouchi:
«A qui profite le crime?». Une
façon de convaincre les esprits simples
qu'ils sont non seulement étrangers à
cet acte inqualifiable, mais qu'ils en
sont l'une des victimes. Si Ennahdha
n'est pas le commanditaire direct de cet
assassinat, et l'enquête policière le
dira peut être un jour, le gouvernement
issu de ce parti et des autre membres de
la Troïka est au moins responsable du
climat d'impunité qui règne dans le pays
et qui a conduit à l'assassinat non
seulement de Chokri Belaïd mais aussi de
Lotfi Nagdh.
Il n'est un secret pour personne que
de nombreux membres d'Ennahdha y compris
son leader n'ont jamais soldé leur passé
terroriste et n'ont jamais renoncé à la
violence pour arriver au pouvoir par le
passé, et pour se maintenir au pouvoir
après les dernières élections. Ce parti
n'a t-il pas, il y a seulement quelques
jours, publié un communiqué appelant à
la libération de l'assassin de Lotfi
Nagdh? Lors des deux journées du
vendredi 1er et du samedi 2 février, le
bras armé d'Ennahdha, les pseudo Ligues
de protection de la révolution,
n'ont-elles pas empêché par la force
deux meetings des partis de l'opposition
de se tenir à Kairouan et au Kef? Les
milices d'Ennahdha n'ont-elles pas
séquestré Ahmed Néjib Chebbi à Gabès,
agressé un vieux militant démocratique
âgé de 70 ans à Kairouan, essayé de
s'attaquer au siège central de Nida
Tounes à Tunis et saccagé le local de ce
parti à Kébili?
Un
gouvernement laxiste ou complice?
Devant cette violence quotidienne
commise avec une totale impunité les
forces de l'ordre, sous l'autorité de
Ali Lârayedh, restent non seulement
passives, mais aucune enquête n'est
diligentée par les autorités compétentes
pour trouver les assassins ou les
auteurs d'actes de violence ou de
vandalisme. Aucune poursuite judiciaire
n'a été engagée contre les imams qui
appellent à la haine, à la violence,
voire à l'assassinat d'hommes politiques
de l'opposition et qui, de surcroit,
encouragent nos jeunes à partir au jihad
en Syrie et ailleurs au vu et au su de
tout le monde.
Aujourd'hui une nouvelle étape est
franchie: l'élimination physique des
opposants politiques ! Même pendant les
années sombres de la dictature, la
Tunisie n'avait pas connu des
assassinats politiques aussi flagrants.
Ennahdha a eu le bénéfice du doute,
mais le doute n'est plus permis
aujourd'hui. Force est de constater que
l'aile radicale de ce parti a pris le
dessus. Celle-ci n'acceptera jamais de
jouer le jeu démocratique, aveuglée
comme elle est par sa volonté d'imposer
au pays un projet chimérique d'un autre
âge pour assouvir une revanche sur un
peuple qu'elle n'a jamais réussi à
embrigader. Paniquée comme elle est par
l'émergence d'une opposition de plus en
plus crédible, elle décide de recourir
au terrorisme comme ultime moyen pour se
maintenir au pouvoir.
Les
Nahdhaouis démocrates et leur aile
radicale
Aujourd'hui plus que jamais, une
clarification s'impose: les Nahdhaouis
démocrates (s'ils en existent, et je
pense que oui) épris de justice et de
tolérance devraient faire un choix sans
équivoque. Ils devraient dénoncer
clairement et sans ambiguïté l'aile
radicale de leur parti, même si le prix
à payer est la scission ou l'implosion
d'Ennahdha, un prix bien dérisoire au
regard de l'intérêt supérieur de leur
propre patrie. Un acte salutaire et
courageux qui permettrait de sauver la
Tunisie du chaos et ferait renter ces
hommes et ces femmes dans l'histoire de
leur pays par la grande porte.
Les membres du Congrès pour la
République (CpR) et d'Ettakatol, ou ce
qu'il en reste, devraient de leur côté
mettre l'intérêt du pays au dessus de
leur ambition personnelle et assumer
leur responsabilité devant le peuple
tunisien et devant l'histoire avant
qu'il ne soit trop tard.
Mais dans l'immédiat, il est du
devoir de la police de déployer tous les
moyens nécessaires pour arrêter les
assassins de Chokri Belaïd et de les
traduire devant la justice car si ce
crime reste impuni, il en provoquera
d'autres.
Quoi qu'il en soit, la situation ne
peut plus durer, ce gouvernement n'a
plus de légitimité depuis le 23 octobre
2012. Il cherche à gagner du temps pour
noyauter tous les appareils de l'Etat y
compris la police et l'armée comme l'a
fort justement dénoncé feu Chokri Belaïd.
La tragi-comédie du remaniement
ministériel qui dure depuis des semaines
n'est qu'une illustration de cette
manœuvre destinée à occuper une presse
férue de petites histoires de politiques
politiciennes, afin de faire oublier les
problèmes les plus pressants du pays.
Il appartient à la société civile,
aux partis de l'opposition et à tout
tunisien attaché à son pays d'appeler à
la démission du gouvernement actuel et à
la mise en place d'un gouvernement
d'union nationale ou de technocrates, et
dont le seul rôle serait d'accélérer la
rédaction de la constitution et la tenue
d'élections dans les plus brefs délais.
Aucun pays ne peut supporter une si
longue période de transition et
d'incertitude. Mais, il faut surtout
éviter le piège de la violence car les
radicaux d'Ennahdha n'attendent qu'une
seule chose: profiter du chaos pour
prendre le pouvoir par la force.
* Universitaire.
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Publié le 7 février 2013 avec l'aimable
autorisation de Kapitalis
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