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Le Quotidien d'Oran
L'impasse du modèle
tunisien
Said Mekki
Mardi 4 janvier 2011
La bonne gouvernance économique tunisienne louée par les
institutions financières masque un dualisme entre pays
côtier et l'arrière-pays. Les troubles sociaux qui ont
éclaté dans le pays ont agi comme un révélateur. Le modèle
est d'autant plus dans l'impasse que la Tunisie, dépourvue
de rentes minières ou fossiles, ne dispose pas
d'alternatives.
Les récents troubles partis de la ville de Sidi Bouzid au
centre de la Tunisie ont révélé au monde l'envers du décor
de carte postale souvent associé au pays du jasmin. Il est
apparu aux yeux d'un monde plutôt surpris que les
indéniables progrès économiques de la Tunisie ne profitent
pas à tous et ne parviennent pas à réduire le nombre de
chômeurs qui se recrutent de plus en plus dans les rangs des
diplômés. Face au vide de perspective et l'arbitraire, le
désespoir des jeunes s'exprime de manière atroce par le
suicide. Le feu a été mis aux poudres par la tentative de
suicide d'un jeune chômeur de 24 ans qui a crié avant de
passer à l'acte «Non au chômage, non à la misère». Slogan
bien peu militant mais ô combien révélateur de la tragédie
silencieuse vécue par des dizaines de milliers de jeunes
universitaires piégés dans une impasse impitoyable. Les
manifestations se sont étendues à pratiquement tout le pays
Le modèle tunisien célébré par le FMI et les classements
internationaux du climat des affaires aurait-il atteint ses
limites ? C'est en tous cas ce que pensent beaucoup
d'économistes, dont le professeur Lahcen Achy du Carnegie
Middle East Center qui dans un article publié le 28 décembre
dernier par le Los Angeles Times considère que la dépendance
excessive de l'économie tunisienne à l'égard du marché
européen est la raison principale du blocage actuel.
Une dépendance critique
La spécialisation de l'économie tunisienne dans des secteurs
à forte intensité de main-d'œuvre peu qualifiée semble avoir
fait son temps. De ce point de vue, la Tunisie est
concurrencée directement par les pays d'Asie. Elle en
souffre d'autant plus que la structure de son marché du
travail s'est modifiée. La proportion de demandeurs
d'emplois titulaires d'un diplôme universitaire est passée
de 20% de la population active en 2000 à plus de 55% en 2009
! Selon Lahcen Achy, «la Tunisie affiche l'un des niveaux
les plus élevés de chômage des Etats arabes: plus de 14% au
total et 30% parmi ceux âgés de 15 et 29 ans». La situation
ne devrait pas connaître d'amélioration sensible tant que le
taux de croissance, de l'ordre de 3,8% pour 2010, restera en
deçà du seuil des 5%. La concentration des échanges avec
l'Europe place la Tunisie dans une situation de dépendance
critique, les retournements de conjoncture et la reprise
très molle de la croissance en Europe affectent directement
les performances tunisiennes. Cela vaut aussi bien pour le
secteur du textile que pour celui du tourisme de gamme
intermédiaire, les secteurs d'activités les plus
significatifs en termes de recettes externes.
Pas d'alternatives
Les alternatives ne sont pas nombreuses, le développement de
nouveaux secteurs susceptibles d'absorber les cadres de haut
niveau bute sur les réticences des entrepreneurs tunisiens,
rebutés par l'opacité et le déficit d'Etat de droit, à se
risquer dans des créneaux d'investissements plus complexes
et donc plus risqués. Les investissements dans des secteurs
à forte valeur ajoutée se heurtent à la concurrence féroce
d'économies mieux armées et disposant d'une expérience
autrement plus affirmée. La réorientation de l'économie
tunisienne vers d'autres marchés est une démarche à moyen et
long terme dont les résultats ne sont pas garantis, tant les
avantages comparatifs de la Tunisie sont battus en brèche
par des compétiteurs redoutables, en Asie et au
Moyen-Orient. La crise du modèle tunisien est riche
d'enseignements pour les pays de la région. La relative
bonne gouvernance économique tunisienne ne suffit pas à
installer une dynamique sociale vertueuse. La solution
pourrait se trouver dans la stimulation du marché intérieur,
mais l'étroitesse de ce dernier limite fortement ses marges
de manœuvre. Une sortie par le haut de cette impasse
consisterait en la réorientation vers le marché maghrébin et
la coordination des stratégies macro-économiques régionales.
Mais cela ne semble pas être à l'ordre du jour dans un
Maghreb plus que jamais virtuel.
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