Le Grand Soir Info
Venezuela - Affaire
RCTV et nationalisation de la CANTV :
mensonges médiatiques et éclairage
Romain Migus
Une
tautologie absurde
23 janvier
2006.
L’année
2006 avait très mal commencé en ce qui concerne le traitement médiatique
de la Révolution Bolivarienne par les media français. Souvenons
nous qu’il y a un an, le journal Libération
avait pris la tête en Europe d’une campagne internationale
calomnieuse qui visait à faire du président Chavez un
antisémite notoire.
On aurait pu
s’imaginer que les media internationaux allaient en cette
nouvelle année mettre un bémol dans leurs offensives médiatiques.
En effet, l’année 2006 avait, en revanche, plutôt bien fini
pour la gauche latino-américaine. Les victoires de Daniel Ortega
et Rafael Correa au Nicaragua et en Equateur et le triomphe sans
appel de Hugo Chavez au Venezuela consolidaient le processus de
construction d’une autre Amérique Latine. Le choix des Peuples
de ces pays ne fut entaché d’aucun soupçon de fraude. On
pouvait alors s’attendre à un peu plus de respect de la volonté
populaire en Amérique Latine de la part des entreprises de
communication internationales.
Il n’en fut
rien ; et l’année 2007 commence de la même manière que
l’année 2006 : par un traitement mensonger
de la réalité vénézuélienne.
Il ne s’agit
cette fois pas d’une campagne ciblée mais de la création de
deux matrices d’opinion que nous pouvons résumer comme telle :
1) La Nationalisation de la compagnie de télécommunication
CANTV. 2) Le non renouvellement de la
concession à la chaîne privée Radio Caracas Télévision (RCTV).
Le traitement
partial dévalorisant volontairement, ou par omission (ce qui pour
un journaliste revient au même), certains faits de la réalité vénézuélienne
nous conduit à élaborer l’éclairage suivant afin que le
lecteur français puisse se faire une opinion par lui même sur
ces deux sujets.
1) La
Nationalisation de CANTV.
La Compagnie
Anonyme Nationale Téléphone du Venezuela (CANTV) a été fondée
en 1930 par l’entrepreneur Felix Guerrero. En 1950, le
gouvernement d’alors entreprend de la nationaliser. Chemin
tortueux qui durera plus de 20 ans. En 1973, la CANTV devient une
compagnie publique. 18 ans plus tard, le gouvernement corrompu de
Carlos Andres Perez annonce sa privatisation, se maintenant ainsi
dans la ligne du FMI et du Consensus de Washington, qui avaient été
directement responsables, deux ans auparavant, du "Caracazo"
et de sa terrible répression. [1]
Il vend un paquet de 40% d’actions à Verizon Comunications
(anciennement GTE).
En avril 2006,
le magnat mexicain Carlos Slim [2],
se montre intéressé pour racheter les actions de Verizon (28.7%
du capital) et ainsi prendre le contrôle de la CANTV. Le 15 août
2006, le président Chavez annonce lors d’un discours la
possibilité que le gouvernement nationalise la compagnie de télécoms.
A Wall Street, l’impact de cette déclaration
se fait sentir mais reste modéré. Dans le même temps, le
gouvernement ne donne pas son aval pour la transaction
Slim-Verizon.
En pleine
campagne présidentielle, plusieurs manifestations de retraités
et de salariés de la CANTV vont se dérouler en protestation
contre le non paiement des retraites et de la cotisation à une
police d’assurance de la part de l’entreprise de télécommunications.
En effet, malgré le fait que le Tribunal Suprême de Justice ait
ordonné en juillet 2005 à la CANTV de payer, la direction méprise
le jugement. Les manifestants demandent alors au gouvernement de
nationaliser la CANTV et se déclarent prêts à en assumer la
cogestion, se référant ainsi aux diverses expériences déjà
exercées dans ce domaine par le gouvernement bolivarien (Invepal,
Inveval,...).
Le 9 janvier
2007, durant le discours de présentation de son nouveau
gouvernement, Hugo Chavez annonce la re-nationalisation de la
CANTV. La machine médiatique internationale s’affole au fur et
à mesure que le cours de l’action de la CANTV chute.
Précisons
d’emblée qu’il ne s’agit pas d’une expropriation sans
indemnisation. Le gouvernement étudie encore le moyen par lequel
il va récupérer le contrôle de la compagnie. Vraisemblablement
il ne s’agira pas non plus d’une expropriation avec
indemnisation inscrite dans le cadre de la loi
"d’expropriation pour cause d’utilité publique ou
sociale". [3]
Le plus probable est que le gouvernement rachètera au cours en
vigueur, les actions des compagnies étrangères qui sont
majoritaires dans l’entreprise. Cette mesure, très modérée,
n’affectera pas les investisseurs et petits porteurs nationaux.
Le nouveau ministre des Finances, Rodrigo Cabezas précise sur le
devenir de la CANTV que le gouvernement "cherche
à construire un modèle de participation avec les travailleurs,
et CANTV en sera un point de départ." [4]
On est donc bien
loin d’une confiscation par l’Etat des biens de compagnies
étrangères, arme au poing et couteau entre les dents, comme le
lecteur ou spectateur français pourrait se l’imaginer croyant
de bonne foi les manipulations des entreprises de communication
internationales.
Et pourtant,
lorsque l’on se plonge dans les entrailles de la CANTV, on ne
peut que s’étonner que le gouvernement bolivarien n’ait pas
annoncé cette mesure avant.
Les véritables
propriétaires de la CANTV.
La CANTV représente
70% des appels nationaux et 42% des appels internationaux par téléphonie
fixe. A travers son actionnaire majoritaire, Verizon,
la compagnie possède une des trois marques de téléphonie
portable que compte le Venezuela. La compagnie de télécommunications
représente 83% des connexions Internet du pays. D’autre part,
la CANTV est l’entreprise chargée du transfert des données électorales
au CNE lors des votes sur les machines électroniques. Pour l’élection
présidentielle, l’Etat a du débourser 27 milliards de bolivar
(10 millions d’euros) pour employer la CANTV à cette fin.
En dépit de
l’importance capitale du secteur des télécommunications pour
le développement et la sécurité nationale, l’actionnaire
principal est basé aux Etats-Unis, un pays qui a tenté de
renverser le gouvernement bolivarien par deux fois, et qui
continue son offensive déstabilisatrice contre le Venezuela.
Certes, le fait qu’une entreprise soit basée dans un pays
n’implique pas forcement une collusion avec son gouvernement.
Cependant, cette affirmation est mise en doute par la composition
du conseil d’administration de cette grande multinationale étasunienne.
La littérature
sur les va-et-vient entre l’administration publique et les
conseils d’administration des grandes entreprises aux Etats-Unis
est assez riche. Dans le cas de l’actionnaire majoritaire de la
CANTV, l’exemple est éclairant. Prenons ainsi la direction et
le conseil d’administration de Verizon en 2002 et aujourd’hui.
Au début des
années 2000 [5],
la présidence de Verizon était confiée à
Charles R. Lee, entre autre, membre du conseil consultatif sur la
Sécurité Nationale en matière de Télécoms du président
Georges W. Bush.
Au conseil
d’administration de l’actionnaire majoritaire de la CANTV siégeaient,
parmi d’autres, Helene L. Kaplan et Walter Shipley, membres par
ailleurs du conseil d’administration d’Exxon Mobil, la seule
entreprise pétrolière à avoir refusé de former une entreprise
mixte avec PDVSA. On y trouvait aussi Robert Daniel,
administrateur de Shell, ainsi que John Snow, ancien Secrétaire
au Trésor de George W. Bush. Le Département du Trésor est en
lien avec tous les services de renseignement US pour condenser
l’information liée à la politique économique étasunienne
dans le monde.
Les chaises
musicales ont depuis tourné. Plus récemment, au conseil
d’administration se trouve toujours Walter Shipley (celui-ci étant
devenu un des directeur d’Exxon Mobil) et John Snow, mais aussi
Fran Keeth, vice-présidente de Shell [6],
parmi d’autres dont les liens avec d’autres multinationales
sont moins significatifs dans la relation avec le Venezuela.
La direction
de l’entreprise nous révèle d’autres promiscuités inquiétantes
pour la souveraineté du pays bolivarien. [7]
Le vice président
exécutif n’est autre que William P. Barr, l’ancien Attorney
General -procureur général - (1991-93) nommé par George H.
W. Bush, le père de l’actuel président. Son passé dans
l’administration publique n’a pas commencé avec sa carrière
dans la justice puisqu’il fut conseiller du président Reagan
(1982-83) pour la Politique intérieure.
Lowell C.
McAdam, président de Verizon Wireless, une branche du groupe
Verizon, est un ancien membre du Groupe d’ingénieurs de la US
Navy.
Thomas J.
Tauke, vice président chargé de la communication est un ancien
élu républicain au Congrès des Etats-Unis (1979-91). Durant
cette décennie passée au service explicite de la Nation étasunienne,
Tauke fut tour à tour membre des comités du Congrès pour les Télécommunications,
pour l’Education, pour le Travail, pour le Commerce et l’Energie.
C’est dire s’il connaît le Venezuela, 3e exportateur de pétrole
vers les Etats-Unis.
Doreen A.
Toben, vice présidente exécutive chargée des finances a été
élue le 14 avril 2004 au Conseil d’Administration du New
York Times. Connu pour ses attaques contre le gouvernement
bolivarien, le New York Times critiqua
durement le choix du président á propos de la nationalisation de
CANTV. [8]
Comme on peut
le voir, une grande partie des hauts responsables de Verizon,
actionnaire principal de la CANTV, entretien une relation plus
qu’étroite avec les pouvoirs médiatiques, politiques ou énergétiques
des Etats-Unis qui déterminent les choix stratégiques (ou les légitiment
dans le cas des media) de la grande nation du nord. En bref, l’Empire
étasunien occupait depuis 25 ans une place de choix dans une
entreprise clé pour la souveraineté du Venezuela.
Récemment,
Verizon (ainsi que AT&T et BellSouth) fut mis en cause aux
Etats-Unis pour avoir espionné des millions de citoyens de ce
pays pour le compte de la NSA dans le cadre du Patriot
act lancé par le président George W. Bush après le 11
septembre. [9]
Il existe de
forts soupçons pour que l’opérateur américain ait fait de même
au Venezuela, servant ainsi les intérêts de la Maison Blanche
mais aussi, et surtout, celui des multinationales pétrolières ou
de celles appartenant au complexe militaro-industriel, en raison
de leurs liens avec certains hauts responsables de Verizon. Le président
Chavez s’est même fait l’écho de ces manipulations en suggérant
que la CANTV espionnait jusque dans son propre bureau. [10]
Peu intéressé
par le danger que représentait la CANTV pour une nation
souveraine, l’ancien candidat à la présidence, Manuel Rosales
a critiqué la nationalisation parce qu’elle "donnera
[à Chavez] le contrôle d’Internet et de la transmission des
données, surtout en période électorale". [11]
Passons sur le fait que Chavez n’ait pas besoin de nationaliser
CANTV pour triompher à un processus électoral. En revanche, la
main mise d’une entreprise liée aux intérêts des Etats-Unis
sur Internet, la transmission de données, le contrôle des
communications au Venezuela ne semble pas inquiéter celui qui prétendait
vouloir gouverner pour "26 millions de Vénézuéliens."
Souveraineté
"télécommunicationnelle"
La
nationalisation de CANTV coïncide avec la création d’un
nouveau Ministère des Télécommunication, à la charge de
l’ancien directeur de la Commission Nationale des Télécommunications-CONATEL
(et ancien ministre de l’Intérieur), Jesse Chacon.
Le ministre a
annoncé le retour à une souveraineté en matière de télécommunications,
puisque le Conseil National des Technologies de l’Information,
l’entreprise publique décentralisée CVG-Telecom, CONATEL
fusionneront dans ce nouveau ministère, qui aura aussi la
responsabilité du futur satellite vénézuélien construit en
partenariat avec la Chine ; Jesse Chacon précisant que
CONATEL gardera son caractère autonome.
La
nationalisation de la CANTV permettra aussi d’étendre le réseau
téléphonique à toutes les zones du pays, y compris les plus
pauvres ou les plus éloignées des centres urbains, laissées
dans un no man’s land communicationnel par
les entreprises privées avides de rentabilité.
Alors que dans
de nombreux endroits du pays, "passer un coup de fil"
supposait le déplacement à la ville la plus proche, la
nationalisation de ce secteur permettra enfin à ces nombreux
citoyens de ne plus considérer l’appareil téléphonique ou
Internet comme un privilège social.
Dans les rédactions
des media de communication commerciaux, vénézuéliens et
internationaux, on continue de s’inquiéter pour la chute
vertigineuse de l’action CANTV à Wall Street.
2) Le non
renouvellement de la concession à RCTV.
RCTV est une
des propriétés de 1 Broadcasting Caracas (1BC), entreprise fondée
en 1930 par William H. Phelps, homme d’affaire étasunien vivant
à Caracas. En 1953, durant la dictature de Pérez Jimenez, naît
la chaîne de télévision RCTV, qui a l’immense privilège
historique d’avoir diffusé la première telenovela
au Venezuela. 1BC est reprise par le gendre de Phelps, Marcel
Granier, qui sut très bien manœuvrer dans les coulisses de la démocratie
corrompue de la IVe république pour faire progresser
l’entreprise de son beau père. Tout allait pour le mieux
lorsqu’en 1998, le Peuple vénézuélien, las du fossé existant
entre son quotidien et les clichés idylliques des novelas,
porta au pouvoir un président qui prônait la rupture avec le
passé.
Lorsque le président
Chavez, annonce le 28 décembre dernier, dans un discours à l’Académie
Militaire, que la concession expirante de la chaîne privée RCTV
ne sera pas renouvelée, le mot d’ordre médiatique est unanime.
C’en est fini de la liberté d’expression au Venezuela. Tous
les media privés vénézuéliens se solidarisent avec leur confrère.
Ils peuvent compter sur des renforts attendus. La Société
Interaméricaine de Presse (dont le conseil d’administration ne
regroupe que des propriétaires d’entreprise de communication)
connu pour avoir soutenu les media opposés à Salvador Allende,
Reporters Sans Frontières l’association "non"
gouvernementale financé par la Etats-Unis via la NED, et la
Freedom House dont l’ancien directeur n’est autre que James
Woolsey, ancien patron de la CIA (Patrick Ackerman qui a pris sa
relève est un membre de l’Albert Einstein Institution spécialisée
dans les coup d’Etat soft [12])
vont tour à tour voler au secours "de la "liberté de
la presse", voire de la liberté tout court, désormais
ouvertement menacée par le dictateur Chavez.
Les media français
ne sont pas en reste. Les Echos parlent
"de la suppression de la licence de la chaîne de radiotélévision
d’opposition RCTV" [13]
et Le Monde nous explique que "lors
d’un discours prononcé le 28 décembre devant un auditoire
militaire, le président Chavez, en uniforme, a annoncé que son
gouvernement « ne tolérerait aucun média au service des
putschistes, contre le peuple, contre la nation, contre la dignité
de la République »." [14]
L’oligarchie
vénézuélienne, leurs conseillers et financiers de Washington,
et leurs relais médiatiques internationaux exultent. Après tout,
n’avaient-t-ils tous pas annoncé depuis 8 ans la fin de la
liberté d’expression au pays de Bolivar ?
Les liens de 1BC
avec le pouvoir de la IVe République.
En 1987, le
gouvernement du président d’alors Jaime Lusinchi (du parti Accion
Democratica) décide de réguler le système d’obtention des
concessions hertziennes pour les télévisons et radio nationales.
Le nouveau règlement, paru dans la gazette officielle n°33.726
du 27 mai 1987, stipule dans son article 1 : "Les
concessions pour la transmission et l’exploitation de chaînes
de télévisions et fréquences de radio seront délivrées pour
une période de 20 ans" et précise dans son article 4 :"Les
concessions qui ont été délivrées avant la date du présent décret
seront considérées valides par les termes établis dans
l’article 1".
Comme on peut
le voir, les 20 ans sont en passe de s’écouler. La concession délivrée
à la chaîne RCTV par l’Etat prendra fin le 27 mai prochain. Le
gouvernement vénézuélien ne supprime aucune licence ni ne ferme
donc aucune chaîne de télévision, il exerce juste le pouvoir de
ne pas renouveler la concession tel que l’établit la Loi. Les détracteurs
du gouvernement bolivarien l’accusent de partialité dans son
choix. Avant de démontrer que le choix du gouvernement n’est en
rien une fermeture politique, il est bon de rappeler les
connivences entre le groupe 1BC et le pouvoir d’alors quand à
l’obtention des concessions.
Carlos Ball,
alors directeur du journal ["El diario de Caracas",
propriété de l’entreprise 1BC nous remémore comment RCTV a
obtenu sa concession du gouvernement de Lusinchi : "En
mai 1987, j’étais directeur du Diario de Caracas, entreprise
du groupe 1BC, et le président Jaime Lusinchi a imposé mon
renvoi comme condition à la rénovation de la licence de
transmission de RCTV. J’ai été renvoyé et la licence fut
renouvelée pour 20 ans. Deux jours après mon renvoi, j’ai été
déféré en justice au motif d’accusations inventées par le
gouvernement. Le juge pénal, Cristóbal Ramírez Colmenares m’a
dit au tribunal : "j’ai des instructions d’en
haut". J’ai donc décidé d’émigrer. Le gouvernement
ayant obtenu ce qu’il voulait, les chefs d’accusation furent
levés." [15]
A cette époque,
le journaliste du Diario de Caracas Rodolfo
Schmidt fut incarcéré pour avoir écrit contre le gouvernement
de Lusinchi. [16]
Apres deux mois d’emprisonnement, le gouvernement négocia sa
libération contre l’arrêt des publications critiques de trois
journalistes de gauche : Federico Álvarez, Alfredo Tarre
Murci et l’ancien vice président José Vicente Rangel. La décision
d’autoriser la concession à RCTV fut à la fois un enjeu
politique et le produit de la connivence de l’entreprise 1BC
avec le pouvoir d’alors.
On pourrait
penser que Carlos Ball est un fervent révolutionnaire, adepte des
idées qui ont donné naissance à la Révolution bolivarienne. Il
n’en est rien. Membre de la fondation Héritage, think
tank étasunien ultra-conservateur, Carlos Ball est un des
fondateurs du Centre pour la divulgation de la Connaissance
Economique (CEDICE), qui fut crée à Caracas en 1984 avec
l’argent du Centre International pour l’Entreprise Privée (CIPE),
une des branches du Fonds National pour la Démocratie (NED). La
directrice du CEDICE, Rocío Guijarro, a signé le Décret Carmona
lors du coup d’Etat d’avril 2002. Admirateur de Friedrich von
Hayek, Carlos Ball est membre du CATO institute,
think tank ultralibéral. Il ne s’agit donc pas d’un révolutionnaire
bolivarien, mais d’un penseur de droite, écoeuré par les us et
coutumes de la IVe République vénézuélienne.
Une censure
politique ?
Les
entreprises de communication vénézuéliennes et internationales,
et les organismes liés à l’administration US (RSF, Freedom
House) laissent croire à une fermeture politique de la chaîne
RCTV. Comme nous venons de le voir, il s’agit en fait d’un
non-renouvellement de la concession. Les seules chaînes qui
furent fermées au Venezuela durant la dernière décennie ont été
la chaîne publique VTV durant le coup d’Etat, et la chaîne
communautaire Catia TV fermée par l’ancien maire putschiste de
l’agglomération de Caracas, Alfredo Peña.
Les
concessions délivrées par Lusinchi arrivent à leur terme et les
chaînes Venevision et Vale TV, ainsi que 400 fréquences de radio
vont continuer à émettre. Seul RCTV est concernée par le non
renouvellement. En parlant de "fermeture" ou de
"censure", les media commerciaux
laissent entendre que le gouvernement étouffe arbitrairement
un media qu’il n’a pas à sa botte. Grosso modo, selon cette
affirmation, rien n’aurait changé depuis Lusinchi, sinon que
l’entreprise 1BC n’aurait plus les faveurs de Miraflores. Or
cette décision n’est pas un caprice totalitaire de l’Exécutif.
Elle se base sur les multiples infractions à la Constitution et
aux lois vénézuéliennes commises par RCTV.
Dès le début
des années 80, le système politique vénézuélien est en crise.
Le Pacte de Punto Fijo, qui a eu pour conséquence le partage du
pouvoir entre deux partis durant 40 ans, est sévèrement remis en
cause. L’influence de COPEI et AD s’éteint peu à peu. L’élection
de Rafael Caldera (membre de COPEI qui se présentait sur une
liste d’union indépendante) en 1994 et surtout celle de Hugo
Chavez en 1998 marquent la fin de l’agonie de l’hydre bicéphale
qui régnait sur le Venezuela depuis un demi siècle. Mais le vide
politique laissé par les partis traditionnels a peu à peu été
comblé par les média. Laissant de coté leur tâche
d’informer, les media commerciaux vénézuéliens se sont
transformés en véritable acteur politique. Lorsque se dessinent
les contours de la Révolution Bolivarienne et que l’oligarchie
se rend compte que Chavez n’est pas Lucio Gutierez, les
media-partis vont être le fer de lance d’une opposition
politique éparpillée et discréditée. Comme le note Thierry
Deronne dans un article récent, "RCTV
n’a cessé d’attenter contre les institutions démocratiques
en incitant à la haine, à la violence, en participant activement
à la préparation et à la réalisation du coup d’État
sanglant d’extrême-droite du 12 avril 2002 contre le président
Chávez. Tandis que le dictateur Carmona dissout toutes les
institutions démocratiques et fait réprimer les partisans de Chávez,
le directeur de RCTV, Marcel Granier, accourt au palais pour le féliciter
et, de là, impose le black-out de la chaîne sur la résistance
populaire. Certains journalistes démissionnent, comme Andrés
Izarra, directeur de l’information. (...) En décembre 2002,
RCTV appelle de nouveau à renverser le président Chávez, et se
fait porte-parole quotidienne des militaires putschistes de la
Plaza Francia puis des organisateurs du putsch pétrolier (remake
de la grève des camionneurs contre Salvador Allende) ." [17]
Les
media-partis jouent un rôle politique. Le droit à une
information "véridique et impartiale, sans
censure, (...) ainsi que le droit de réponse et de rectification
si [la personne] est touchée par des informations inexactes ou
offensantes" définie par la Constitution [18]
est systématiquement bafoué par les media commerciaux.
Nancy Snow,
dans son livre Information War : American
Propaganda, Free Speech and Opinion Control Since 9/11 qui
analyse les stratégies de propagande mis en place depuis Reagan
nous informe : "Le modèle fut inventé
au début du gouvernement [de Reagan] : sélectionner de manière
insidieuse une information macabre sur les ennemis étrangers, et
imposer les gros titres. Si, après, des journalistes découvrent
la supercherie, qu’est ce que ça change ? La vérité
recevra bien moins d’attention que le mensonge originel, et de
toute façon une autre vague de calomnies s’affichera déjà en
une" [19]
Les média-partis vénézuéliens, ont fait de cet enseignement
leur leitmotiv.
Durant la
campagne du referendum révocatoire lancée par l’opposition
pour révoquer le président Chavez, le paravent de la CIA, le mal
nommé Fonds National pour la Démocratie (NED), va financer la
constitution d’un plan de gouvernement de transition. Des représentants
des partis et organisations politiques participeront à sa rédaction.
Le comité directeur de ce projet alternatif compte 3 membres de
Fedecamaras (le Medef vénézuélien), trois membres
d’organisations "non" gouvernementales, un membre du
syndicat jaune CTV, un membre de l’Eglise catholique, trois
membres du CEDICE (voir plus haut), ainsi que le journaliste
William Echeverria en représentation de... RCTV, alors qu’aucun
parti politique n’est représenté dans ce comité.
Après la
victoire de Chavez au referendum du 15 août, deux des
"quatre cavaliers de l’apocalypse" comme les appelait
Chavez (Venevision et Televen), vont atténuer leur ligne éditoriale.
Elles resteront très critiques par rapport au gouvernement mais
respecteront la Loi et la Constitution. Seule RCTV et Globovision [20]
se maintiendront dans leur rôle de parti extrémiste aux mépris
de la législation.
RCTV a violé
de nombreuses fois l’article 58 de la Constitution. En effet,
celui-ci souligne que "les enfants et
adolescents ont le droit de recevoir une information en adéquation
avec leur développement intégral". Cet article qui
trouve son application dans la Loi Organique pour la Protection
des Enfants et des Adolescents (LOPNA) et dans la loi de
REsponsabilité SOciale à la Radio et à la TElévision (RESORTE)
n’est pas pris en compte par la chaîne privée.
Vu de France,
on peine peut-être à s’imaginer la puissance des messages
diffusés par RCTV. Pour se faire une idée écoutons le témoignage
de Oscar, militant révolutionnaire : "durant
le lock out pétrolier, mon fils [de 8 ans] se réveillait
souvent. Une nuit, il m’a dit : "Papa, j’ai peur !"
Je lui ait demandé de quoi avait-il peur. Il
m’a répondu : "que les chavistes viennent me
tuer." Je lui ai expliqué que j’étais
chaviste comme sa mère et que la télé disait des
mensonges.". Une majorité d’enfant du quartier était
dans le même cas que le fils d’Oscar. Ce qui a conduit des
groupes de parents à s’organiser et porter plainte devant les
organismes de défense de l’enfance.
En décembre
2004, fut votée la loi RESORTE. Celle-ci indique dans son article
29 : "Les prestataires de services de
radio et télévision seront sanctionnés par une suspension
allant jusqu’à 72 heures lorsque les messages diffusés
promeuvent, font l’apologie ou incitent à la guerre, aux
troubles de l’ordre public, au délit, lorsque les messages sont
discriminatoires ou portent atteinte à la sécurité de la
Nation. (Art.29 §1)" (21)21) "Loi de Responsabilité
Sociale à la Radio et à la Télévision", Gazette
officielle n°38.081, décembre 2004. [21]
A ce titre,
les nombreux appels de RCTV à protester contre le gouvernement,
à inciter les vénézuéliens à ne pas participer aux élections
législatives du 4 décembre 2005 ou encore lorsque de nombreux
journalistes ou invités de la chaîne parlaient ouvertement de
fraude avant les élections présidentielles du 3 décembre 2006,
et appelaient les vénézuéliens à défendre leur vote... toutes
ces situations auraient pu faire l’objet d’une sanction de la
part du gouvernement. Qui plus est, l’article 29 de la loi
RESORTE dans son alinéa 2 précise que dans le cas de récidive
malgré les sanctions prévues dans l’alinéa 1, la loi autorise
CONATEL à révoquer l’habilitation à émettre ou à révoquer
la concession. Il ne s’agit évidement pas d’une mesure
dictatoriale visant á museler la presse. Le
Conseil Supérieur de l’Audiovisuel français (CSA) prévoit
le même type de sanction pour des cas similaires. [22]
Les multiples
entorses à la loi RESORTE auraient pu déboucher sur une
fermeture de la chaîne RCTV. Et pourtant, CONATEL n’a jamais
tranché en faveur de cette option légale. RCTV n’a jamais été
fermée, ni inquiétée, durant le temps où sa concession lui
permettait de déstabiliser le gouvernement et l’Etat vénézuélien.
La décision
de ne pas renouveler la concession à RCTV n’est pas un choix
arbitraire. Elle s’appuie sur les nombreuses violations de la
Constitution et des lois vénézuéliennes. La décision
souveraine de ne plus attribuer de concession à RCTV vient
rappeler à ceux qui bénéficiaient d’un statut spécial de par
leur proximité politique avec les hautes instances du Pouvoir de
la IVe République, que ce temps là est révolu et qu’ils
doivent réapprendre à obéir aux lois.
Les 90% du
spectre médiatique vénézuélien, aux mains de
groupes de communication privés, restent de fervents
critiques de la Révolution bolivarienne. RCTV, quant à elle,
pourra dès le 28 mai prochain, continuer à émettre son venin
par le câble puisque les transmissions par satellite ne relèvent
pas d’une attribution par l’Etat.
CANTV et RCTV :
Une tautologie absurde.
Le lecteur ou
spectateur qui ne connaît le Venezuela qu’au prisme déformant
du Monde et de Libération
se trouve face à une tautologie absurde. En effet, les media
avaient inventé une supposée fin de la liberté d’expression
et de la propriété privée au pays créole (1er mensonge). Les
cas RCTV et CANTV, tels qu’ils sont traités (2e mensonge)
viennent illustrer le premier mensonge. De la même manière, on
peut déduire du 2e mensonge la fin des libertés au Venezuela. La
boucle semble bouclée. Les montages médiatiques et mensonges par
omission ont contribué à créer une distance entre les actions
menées par le gouvernement vénézuéliens et le récepteur des
informations tronquées des entreprises de communications
internationales.
Un seul détail
vient troubler cette propagande néfaste et briser le cercle
vicieux : la Vérité, sans mensonge et sans omission.
Romain Migus
1]
Voir : http://risal.collectifs.net.
[2]
Propriétaire dans le même secteur de America Movil et Telmex (Telefonos
de Mexico)
[3]
"Loi d’expropriation pour cause d’utilité publique ou
sociale", Gazette officielle n° 37.475, 01/07/02.
[4]
J. Gregorio Yépez, "Gobierno debate nacionalizar a través
de compra de acción", El Mundo, 11/01/07, p. 5.
[5]
Voir Geoffrey Geuens, Tous pouvoirs confondus : Etat, Capital
et Media à l’ère de la mondialisation, EPO, 2003.
[6]
Voir : http://investor.verizon.com
et www.ibtimes.com.
[7]
Voir : http://investor.verizon.com.
[8]
Simon Romero, Clifford Krauss, "Venezuelan plan shakes
investors", The New Times, 10/01/07 et Simon Romero, "Chávez
Moves to Nationalize Two Industries", The New Times,
09/01/07.
[9]
Leslie Cauley, "NSA has massive database of Americans’
phone calls", USA Today, 05/10/06. www.usatoday.com.
[10]
Voir : www.eud.com.
[11]
"Rosales califica a Chávez de déspota", El Universal,
19/01/07.
[12]
Voir Romain Migus, "Derrière le masque démocratique de
l’opposition vénézuélienne", Le Grand Soir, www.legrandsoir.info.
[13]
Anne Denis, "Hugo Chavez va renationaliser les télécoms et
l’électricité", Les Echos, 10/01/07.
[14]
Marie Delcas, "Hugo Chávez veut mettre au pas une télévision
"putchiste"", Le Monde, 03/01/07.
[15]
Voir : www.eltiempo.com.
[16]
« Excelencia en el periodismo » : Interview de
Carlos Ball par Venezuela Analitica, septembre 1999. www.analitica.com.
[17]
Thierry Deronne, "Les pieds de Garbo", Le Grand Soir, www.legrandsoir.info.
[18]
Article 58 de la Constitution de la République Bolivarienne du
Venezuela. Disponible en français sur le site du Cercle
Bolivarien de Paris : http://cbparis.free.fr.
[19]
Cité par Eva Golinger, Bush Vs. Chávez, La guerra de Washington
contra Venezuela, ed. Jose Marti, p. 125.
[20]
Crée en 1995, la chaîne Globovision n’est pas concernée par
le renouvellement de mai 2007. Sa concession expire en 2015.
[21]
Disponible en espagnol sur www.leyresorte.gob.ve.
[22]
Voir le site du CSA : www.csa.fr.
Publié avec l'aimable
autorisation de : Le Grand Soir Info
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