Opinion
Le nationalisme a-t-il un avenir
international ?
(2ème partie)
Robert Bibeau
Mercredi 20 juin 2012
(deuxième partie :
Nationalisme bourgeois et
internationalisme ouvrier)
Peut-on opposer un
nationalisme réactionnaire et belliqueux
à un nationalisme éclairé et pacifique ?
Est-il vrai que le nationalisme
hitlérien (national-socialiste)
différait sensiblement du nationalisme
de Léon Blum (chef du gouvernement
français sous le Front populaire –
1936), ou encore le nationalisme de
Maurice Duplessis de celui de René
Lévesque ? Y a-t-il une différence entre
le nationalisme de droite et le
nationalisme de gauche et l’un serait-il
supérieur à l’autre ? Voilà les
questions que des lecteurs ont soulevées
suite à notre éditorial de la semaine
dernière (1).
Ces questions nous
plongent au cœur de la « question
nationale » quel que soit le pays visé,
quelles que soient les forces
économiques et politiques en présence et
les classes sociales en conflit.
Le nationalisme est
une idéologie, un corps de concepts
idéologiques et politiques d’origine
bourgeoise. Cette idéologie structure la
société capitaliste depuis trois
siècles, de l’époque du capitalisme
marchand vers la fin du féodalisme,
ensuite au cours du capitalisme
industriel et financier (XVIIIe
au XXe siècle). Comme cette
idéologie est quelque peu ancienne, les
historiens et les politicologues
patentés croient qu’elle a toujours
existé et qu’elle existera pour
l’éternité.
Le nationalisme est
une idéologie et une orientation
politique et sociale essentiellement
bourgeoise et petite bourgeoise
cultivées par ces classes qui sont les
chiens de garde médiatiques et
intellectuels du régime capitaliste. Le
nationalisme, quel que soit le visage
qui l’incarne, n’est pas et ne peut pas
être une idéologie ouvrière, encore
moins une idéologie de la gauche
marxiste. Le fait pour les marxistes de
reconnaître le droit des nations à
disposer d’elles-mêmes jusqu’à et y
compris la sécession ne constitue pas un
serment d’allégeance au nationalisme
bourgeois; il en constitue au contraire
le rejet, une façon de tirer le tapis
sous les pieds de la bourgeoisie
nationaliste et une opposition au
sectarisme et aux guerres fratricides
chauvines.
Historiquement, le
capitalisme primitif, sous libre
concurrence intérieure, exploitait la
classe ouvrière nationale ainsi que
différentes catégories d’employés non
prolétarisés à l’abri des barrières
douanières nationales. Voici que ce
capitalisme primitif a connu au cours du
XXe siècle une mutation «
transgénique ». Le capital privé
marchand et le capital privé industriel
fusionnèrent, via le système bancaire et
le réseau des institutions financières,
pour se muer en capital financier,
bancaire et spéculatif parasitaire.
Cette mutation fit
naître une nouvelle couche sociale sous
la forme d’un nouveau contingent de la
classe capitaliste qui se décline
dorénavant en trois variétés : les
capitalistes nationaux marchands, les
capitalistes nationaux industriels et
les capitalistes monopolistes financiers
internationaux. De ce jour, la
couche des capitalistes monopolistes
financiers internationaux contrôle
l’appareil d’État par le truchement
d’une confrérie de thuriféraires et de
sous-fifres politiques à leur solde.
Dans les pays au
développement économique retardataire,
une couche de compradores, de
propriétaires terriens latifundiaires et
de capitalistes locaux, sert
d’intermédiaire entre les
différentes classes sociales –
prolétaires, paysans, employés,
petit-bourgeois – et les grands
capitalistes monopolistes internationaux.
Cette structure sociale transitoire, à
cheval entre deux modes de production –
le système capitaliste national et le
système impérialiste international –
complexifie l’analyse
économico-politique et laisse subodorer
qu’une couche de bourgeois nationaux
serait anti-impérialiste, alors que ces
compradores tentent parfois de faire
monter les enchères et jouent une
alliance impérialiste contre une autre.
Les peuples locaux servent alors de
chair à canon dans ces luttes
inter-impérialistes pour le contrôle du
territoire, de sa main d’œuvre, de ses
ressources et de son marché.
Le fait qu’une
guerre de rapine pour le partage des
zones d’influence entre l’OTAN, Moscou
et Pékin se déroule en Syrie ou en Libye
ne lui confère pas un caractère
anti-impérialiste pour autant,
puisqu’une fois les massacres terminés
la société nationale contrainte à cette
guerre fratricide demeurera sous le joug
impérialiste de l’une ou de l’autre
alliance, tout comme le peuple syrien
(ou libyen, ou irakien, ou égyptien)
continuera de peiner pour le compte de
l’un ou l’autre de ses geôliers.
C’est la raison
pour laquelle les marxistes ne
soutiennent jamais un Comité de larbins
de ‘libération’ financé par un camp
impérialiste (Washington ou Moscou).
Nous dénonçons farouchement et sans
équivoque toute intervention
impérialiste étrangère dans les affaires
internes d’une nation qui ne peut
espérer que la mort et la misère de
toutes ces guerres « humanitaires » sur
ses terres.
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Revenons à nos
capitalistes monopolistes internationaux
qui ne sont pas du tout nationalistes.
Ces banquiers et ces requins de la
finance ont inféodé l’État
national-bourgeois. Ils imposent la
réduction des services sociaux visant à
assurer la reproduction de la force de
travail. Ils réclament l’élimination des
taxes et des impôts qui grugent leurs
immenses profits. Ils exigent la levée
des barrières douanières et imposent un
développement économique orienté vers
l’exportation pour certains pays, et
vers la consommation désordonnée pour
d’autres. C’est-à-dire un développement
essentiellement mu par les flux de
marchandises, de capitaux et de
services. Puis, ils placent toutes les
classes ouvrières nationales en
concurrence les unes avec les autres de
façon à réduire mondialement la valeur
globale de la force de travail et
ainsi augmenter d’autant la valeur
globale de la plus-value, source unique
de profit.
Les capitalistes
frappent si fort pour réduire la valeur
de la force de travail – les salaires –
et le coût de sa reproduction élargie
qu’ils mettent cette reproduction en
péril. Ainsi la classe ouvrière mondiale
n’a pas d’autre choix que de résister à
son extinction. Les révoltes récentes et
récurrentes des ouvriers grecs et des
étudiants, fils et filles de la classe
ouvrière, ne font que refléter cette
résistance désespérée. La
petite-bourgeoise subit aussi les affres
de la récession et des mesures
d’austérité. Parfois cette classe
instable en vient à s’associer
temporairement à la classe ouvrière,
espérant ainsi effrayer la classe
capitaliste monopoliste et lui imposer
un arrangement intermédiaire à son
avantage. Ceci était encore possible
avant la grande crise rédhibitoire; ce
n’est maintenant plus possible sous la
crise systémique du régime impérialiste
: la petite bourgeoisie devra bientôt
choisir son camp, celui de la réaction
et des sanctions pour sauver
l’impérialisme, ou celui de la
révolution et du socialisme. Pour la
classe ouvrière et ses alliés, il
importe de rallier de larges
détachements de petit-bourgeois dans son
camp
Cette évolution
inéluctable du capitalisme industriel
primitif vers l’impérialisme, que
d’aucuns appellent la mondialisation
néo-libérale, entraîne la destruction
des États-nations comme les différents
traités internationaux le laissent
entendre, l’Union européenne étant le
modèle le plus achevé en ce domaine.
Les pseudos analystes financiers,
économistes et spécialistes experts
comme l’économiste Chouard qui spécule
sur l’effondrement de l’euro et
l’implosion de l’Union européenne sont
des charlatans qui n’ont strictement
rien compris à l’économie politique
contemporaine (2). L’Union européenne ne
peut que survivre jusqu’à sa destruction
totale par le prolétariat européen.
Il se peut que
quelques pays européens récalcitrants
soient chassés de la zone euro de façon
à donner l’exemple et mâter les pays qui
voudraient résister au diktat de
Bruxelles.
Rien à craindre. Le
résultat de la récente élection grecque
(juin 2012) n’aura aucun effet sur
l’expulsion de la Grèce du cercle de
l’Euro. La grande bourgeoisie grecque a
voulu en gagnant ces élections résister
à son expulsion mais comme elle ne
pourra livrer un prolétariat grec
obéissant et soumis, prêt à payer sans
sourciller, ce pays sera expulsé de la
zone euro quoi qu’il arrive. Il est
impératif pour les pontifes de Bruxelles
de faire un exemple retentissant de
façon à ne pas avoir à expulser
l’Espagne ou l’Italie par la suite.
L’impérialisme
européen n’a pas créé l’Union européenne
et l’Euro par accident ou innocemment.
L’économie politique impérialiste exige
le maintien de ces deux instruments et
la suppression des dernières barrières
nationales bourgeoises en Europe pour
amener les capitalistes monopolistes
financiers européens au diapason de
leurs concurrents de l’ALÉNA
états-unienne et de ceux de l’Alliance
de Shanghai.
Toute bourgeoisie
nationale européenne récalcitrante,
abouchée aux aristocrates ouvriers
privilégiés, aux ex-communistes
défroqués, aux gauchistes illuminés et
aux fascistes lepénistes ou autres sera
broyée par le rouleau compresseur
impérialiste européen qui n’a pas
d’autre choix pour survivre que
d’effacer les frontières nationales de
façon à forger un seul vaste marché
européen (500 millions de contribuables)
à la dimension du marché concurrent
nord-américain (450 millions de
consommateurs) ou de celui de la Chine
impérialiste (1,3 milliards de
producteurs). Sachant que ce dernier
bénéficie de l’immense avantage
d’exploiter un nouveau prolétariat tout
neuf dont l’aristocratie ouvrière est
encore embryonnaire.
Dans tout ce
brouhaha économique et politique, au
cœur des crises de surproduction, des
crises monétaires, des crises de crédit
et d’insolvabilité des consommateurs des
pays riches, à qui on demande de
dépenser aujourd’hui le salaire qu’ils
ne gagneront jamais demain, les
différentes bourgeoises industrielles,
marchandes et d’affaires qui œuvrent à
l’échelle locale, régionale, ou même
nationale, se hérissent, résistent à
leur élimination de la scène économique,
à la délocalisation de la production, et
à leur faillite inéluctable. C’est
d’elles que provient cette résurgence
rétrograde de voix et de voies
nationalistes chauvines dont la mort
lente du nationalisme québécois est un
exemple.
Cette mise en
concurrence internationale des
contingents ouvriers de chaque
État-nation entraîne la délocalisation
des entreprises d’une aire nationale
vers une autre à la recherche du coût
minimum de reproduction de la force de
travail. La bourgeoisie et la
petite-bourgeoise nationale de chaque
pays en crise subit les contre coups de
cette désindustrialisation de l’Ouest,
garante de l’industrialisation accélérée
de l’Est (Chine, Inde, Taiwan, Corée,
Bengladesh, Vietnam). C’est alors que
ces classes « nationalistes »
parasitaires lancent des cris d’alarme à
propos de leur « Patrie en danger »,
invitant le prolétariat « national » à
de plus grands sacrifices pour sauver
l’économie et les profits des riches
attaqués par le grand capital
international et leurs États-majors
gouvernementaux fantoches.
Le prolétariat dit
« national » n’a aucun intérêt à voler
au secours de sa bourgeoisie nationale
en faillite, sauf de prolonger son
propre état d’esclavage salarié,
l’agonie du système d’exploitation
capitaliste et celui des capitalistes
nationaux et de la petite-bourgeoise
parasitaire. Tout au long de cet
affrontement les aristocrates ouvriers
et la petite bourgeoise déguisés en
gauchistes s’avancent enveloppés du
drapeau national pour porter assistance
à leurs capitalistes « patriotes » sur
le dos des ouvriers.
Le Plan C de
sortie de crise de monsieur l’économiste
Chouard s’abreuve de cette eau (3). En
amont, il prend sa source dans le
processus d’asphyxie de la bourgeoisie
nationale et de ses alliées alors qu’en
aval il coule vers la petite-bourgeoise
cléricale, professionnelle,
intellectuelle et altermondialiste – qui
trouve emploi et bénéfice chez ses
maîtres les « nationaux aux jolis
oripeaux » – afin de la mobiliser pour
stopper la roue de l’histoire. Au nom du
Contrôle de la démocratie et de la
Constitution d’origine citoyenne. Si un
jour le petit capital non monopoliste et
la petite-bourgeoise cléricale,
représentés par le Front de Gauche et
par le Front National français,
s’approchaient par la magie des urnes un
tant soit peu de l’hémicycle du pouvoir
– ou si leurs équivalents au Parlement
canadien ou encore leur équivalent
américain flirtaient avec le Bureau
ovale à Washington, dans chacun de ces
pays un coup d’État militaire mettrait
fin à ces menaces intolérables. Soyons
sans crainte, le grand capital
monopoliste et bancaire internationalisé
veille au grain et cette éventualité ne
surviendra jamais.
En conclusion,
l’idéologie nationaliste est désormais
une idéologie bourgeoise réactionnaire,
même si ce sont des « has been »
communistes sur le retour, des
gauchistes hystériques ou des
nationaux-socialistes malveillants qui
défendent ce système économique
archaïque qui mérite d’être éradiqué et
remplacé. Non, il n’y a pas d’avenir
international pour le nationalisme quel
qu’il soit.
La semaine
prochaine dernière partie : LA QUESTION
NATIONALE AU CANADA.
(1) Robert Bibeau
(2012). Le
nationalisme a-t-il un avenir
international
?
http://www.politicoglobe.com/2012/06/le-nationalisme-a-t-il-un-avenir-international/
(2)
http://etienne.chouard.free.fr/Europe/
(3)
http://etienne.chouard.free.fr/Europe/
Publié sur
Les 7 du Quebec
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