Opinion
D'un paradis
fiscal à l'autre,
ils font fructifier leur capital
Robert
Bibeau
Mercredi 10 avril
2013
Scandale fiscal
mondial
Il est toujours
confondant d’entendre un citoyen
s’étonner d’un scandale largement éventé
et diffusé sur les réseaux sociaux et
depuis longtemps révélé par les affidés
que tout un chacun croyait pourtant
immunisés contre ces crimes d’initiés
(1).
Par contre, nous
ne sommes jamais déconcertés de voir les
médias à la solde faire les chaudes
gorges, « vexés de découvrir » le pot
aux roses sur lequel reposent leurs
patrons-propriétaires-milliardaires
depuis des décennies.
Le scandale de l’évasion fiscale et des
paradis «Offshore»
que le chercheur Alain Deneault
dénonçait en 2010 dans son live «Off-Shore.
Paradis fiscaux et souveraineté
criminelle» prend soudain la vedette
sur les écrans (2). Au Québec,
l’émission télé –
24 heures en soixante minutes – a
fait écho à ce scandale (3).
En France,
messieurs Arnault, Depardieu, Cahuzac,
Augier et autres défenseurs de la
liberté démocratique de cacher leur fric
illicite s’indignent d’être ainsi
exposés aux huées des paumés. En
Belgique, patrie du roi Baudoin, un
temps propriétaire personnel du Congo,
quelques richissimes magouilleurs ont
aussi été identifiés par le journal du
PTB (4).
Ce soudain regain
d’intérêt provient des révélations de
l'ICIJ (International Consortium of
Investigative Journalists), regroupement
international de journalistes
d'investigation, qui a transmis à
différents médias,
dont
Le
Monde
et
Radio-Canada, 200 gigabits de
données sur des comptes ou des intérêts
offshore détenus par des
entreprises et des particuliers [http://www.icij.org/].
Que représente
l'évasion fiscale dans l’économie
mondiale ? Les approximations sont
nombreuses mais toutes astronomiques et
plus le corsaire brasse de grosses
affaires plus les montants cachés sont
imposants. Pour le
Fonds Monétaire International les
sommes concernées sont estimées à
5500 milliards d'euros,
soit près de trois fois le PIB de la
France. Selon le
FMI la moitié des transactions
financières mondiales transiteraient par
les paradis fiscaux, lesquels
compteraient 4000 banques et 2 millions
de sociétés-écrans bidon.
L'ONG
Tax Justice Network
prétend que les sommes en jeu sont
encore plus importantes, atteignant de
16 000 à 25 000 milliards
d'euros, soit le PIB des
États-Unis et du Japon réunis. Cela
représenterait environ le tiers des
transactions financières mondiales.
Selon
TJN, cette somme pourrait générer
entre 150 et 200 milliards
d'euros de recettes fiscales
par année dans les caisses des états du
monde entier. En 2012, l'économiste
James Henry, auteur d'une étude sur
l'économie souterraine offshore
présentée sur le site du quotidien
The
Guardian,
a calculé que les 10 banques
monopolistes les plus recherchées en
matière de gestion du « patrimoine privé
» - des expertes de la fraude fiscale
comme Goldman Sachs, le Crédit suisse et
UBS - sont passées de 1800
milliards d'euros en 2005 à
4800 milliards d'euros
en 2010, période qui coïncide avec
le creux de la crise économique la plus
sévère depuis le crash de 1929 [Heater
Stewart (21.07.2012)
13tn hoard hidden from taxman by global
elite.
http://www.guardian.co.uk/business
/2012/jul/21/global-elite-tax-offshore-economy].
James Henry a par
ailleurs estimé que, si au total une
dizaine de millions de personnes ont
placé des avoirs dans les paradis
fiscaux, la moitié des sommes, soit à
peu près 8000 milliards d'euros,
était entre les mains de quelque
92 000 super-riches, soit
0.001% de la population mondiale;
statistiques corroborées par celles
colligées sur la concentration
d’immenses fortunes familiales [Hunrun
(2013)
Les 1431 plus grandes fortunes du monde.
http://www.hurun.net/usen/
NewsShow.aspx?nid=418).
Pendant ce temps les citoyens ordinaires
des pays endettés doivent rigoureusement
payer leurs taxes, accablés par les
politiques d'austérité des gouvernements
des riches en faillite. Pour la France,
les avoirs dissimulés à l'étranger sont
estimés à 600 milliards d'euros
par le journaliste Antoine Peillon, dans
son livre,
Ces 600 milliards qui manquent à la
France
(Seuil-2012) [Source : L’Expansion.com,
4.04.2013].
La
commission d'enquête du Sénat français
sur l'évasion fiscale
en a
estimé le coût annuel entre 30
et 60 milliards d’euros que les riches
confisquent au fisc. Mais pour
le
syndicat Solidaire-Finances Publiques,
qui a présenté un rapport début 2013, la
fraude plombe les caisses de l'État à
hauteur de 60 à 80 milliards
d'euros chaque année; un
montant qu’il y a lieu de comparer au
déficit public de la France qui s'est
élevé à 98 milliards d'euros en 2012.
Quand-à elle la Commission européenne a
estimé le coût des fuites en Europe à
plus de 1000 milliards d'euros
par année
[Source : L’Expansion.com,
4.04.2013].
Les documents
pirates transmis par le consortium ICIJ
portent sur 122 000 entreprises au noir
qui ont été mises au blanc pour un
pécule dissimulé estimé entre 20 000 et
30 000 milliards d’euros : il s’agit
pour partie de capital-argent accaparé
dans les usines et les commerces, que
l’on mélange à de l’argent sale du monde
interlope et que l’on réinjecte ensuite
dans l’économie impérialiste.
Incidemment, l’autre jour à la radio,
l’animateur parano demandait à la dame
au micro d’identifier le prolo qui avait
réparé son lavabo sans facturer son écot
– pensez donc, 10 euros dissimulés à
l’impôt… Ah le mal que l’on peut nous
faire…
Les paradis des
trafiquants d’argent
On dénombre entre
cinquante et cent tripots d’affaires,
sis en pays souverains, hors la loi et
hors du droit, et que tous les
gouvernants de la Terre connaissent
mieux que vous et moi. Certains de ces
États voyous sont classés triple AAA par
les agences de notation américaines ! [Liste
des États voyous du fisc
http://fr.wikipedia.org/wiki/Paradis_fiscal#Liste_grise].
Terrains de golf
parfaitement entretenus que le premier
secrétaire de l’ONU, les présidents de
la Banque Mondiale et de l’OCDE, ainsi
que la présidente du FMI évitent
soigneusement de critiquer, si ce n’est
pour s’en plaindre, tout en espérant
secrètement que rien ne sera fait qui
puisse nuire à leurs placements (5)
Les animateurs
hurleurs dans les haut-parleurs du «
mainstream » médiatique ont
l’outrecuidance de prénommer cette
évasion fiscale : ‘Un délit
d’investissements’. Lisez simplement : «
Tous les jours, il s'effectue dans le
monde des milliards de transactions
financières. La moitié d'entre elles se
font à l'abri de presque toute taxation
dans des paradis fiscaux. La fuite de
documents concernant ces pays et ces
îles imperméables aux impôts fait des
vagues sur tous les continents. Le
gouvernement canadien demande la liste
des quelque 450 contribuables canadiens
qui auraient investi dans ces
paradis fiscaux
(sic). Le manque à gagner se chiffre
en milliards de dollars. » (6).
Ce que le
chercheur Alain Deneault appelle
Les apories du fisc – impôts et
décroissance – « en marche vers la
décadence » aurions-nous le goût
d’ajouter – [http://www
.nousautres.org/aporie-du-fisc-impot-et-decroissance/
]
plaçant
ainsi l’accent là où il se doit…
La crise économique systémique qui
oblige les sbires du fisc à ces oukases
contre leurs patrons qui n’apprécient
guère que soit ainsi usurpé leur
anonymat d’opacité « d’investisseur
trafiquant » ni d’être ci-devant
soumis à la vindicte populaire.
Heureusement pour ces milliardaires,
tout ce fatras publicitaire se calmera
dans quelques mois sous une orgie de
commissions d’investigation, de sommets
sur la fiscalité et sous une pluie de
déclarations de la part des bonimenteurs
politiques, tout aussi tonitruantes que
futiles et désopilantes. Sarkozy s’y
était commis il y a deux ans et demi –
Finis les Paradis, avait-il dit – on
sait ce qu’il en est aujourd’hui ! Et ce
jour, c’est au tour de la cour qui
entoure François Hollande de passer aux
aveux honteux (7).
Un expert
questionné sur TV5 déclarait récemment
que pas un plénipotentiaire d’Afrique
noire ne manque à son devoir de
souscrire à son compte à numéro en
Suisse… Médisance, dirons-nous. Le
bonhomme aurait mieux fait de se tourner
vers les politiciens européens,
canadiens et américains (le candidat aux
présidentielles américaines M. Romney
n’a-t-il pas été pincé en ces lieux mal
famés ?). Au Canada, monsieur « le très
honorable » Paul Martin, un temps
premier Ministre de la fédération
(2003-2006) était un fervent pratiquant
de ce type d’évasion. Le mari de Pauline
Marois, homme d’affaires
crypto-fédéraliste, s’y adonnerait
également !?... (Les données publicisées
par l’ICIJ identifient 450 capitalistes
canadiens dont une cinquantaine de
québécois [http://www.lapresse.ca/actualites/quebeccanada/national/201304/
04/01-4637782-paradis-fisca
ux-46-quebecois-sont-mis-en-cause.php].
Tous ceux qui
déchirent leurs chemises sur la place
publique savaient – savent – sauront
tout de ces pratiques sataniques –
plusieurs s’y adonnent depuis longtemps
y dissimulant le contenu des enveloppes
d’argent qu’ils ont reçues au moment de
l’attribution des contrats publics
alléchants (8).
Où trouver
l’argent à transférer aux riches ?
Les faits sont
éloquents et probants. Les états
capitalistes en crise économique partout
dans le monde occidental et oriental
sont à la recherche de nouvelles sources
de revenus – de nouvelles rentrées de
capital-argent pour le transférer aux
capitalistes. Comme il fallait s’y
attendre, ils se sont d’abord tournés
contre leurs contribuables – les
salariés à la petite semaine, les
gagne-petit habitués des friperies – les
pauvres des soupes populaires et les
démunis qu’ils ont soumis à
l’investigation de leur gestapo fiscale
pour rogner leurs prestations et rogner
leur pouvoir d’achat.
Tout ceci ne
suffisant pas à combler les déficits
pharaoniques causés par les cadeaux
fiscaux consentis aux banques, aux
multinationales richissimes et aux
mendiants milliardaires; les fiscalistes
et les administrateurs de l’État
bourgeois, tout bien disposés, songèrent
à retaxer les « bobos-bourgeois-bohêmes
» repus – qu’ils ne lâchent plus –
contraints qu’ils sont, ces pontes de
l’administration, de grappiller l’argent
là où il en reste à chaparder, les
poches des pauvres et des ouvriers étant
vidées.
Quand l’État des
riches s’en prend à la petite
bourgeoisie et à la bourgeoisie moyenne,
laissant les prévaricateurs et leurs
servants politiciens, les apparatchiks,
se planquer dans les « paradis », soyez
assurés qu’une indiscrétion livrera ces
fraudeurs
à l’enfer médiatique. Ce
sont tout de même ces commis qui
manipulent les comptes à numéro des
riches en Suisse.
Non seulement la
plus-value et les profits spoliés aux
ouvriers ne sont pas déclarés de crainte
d’être taxés, mais, si d’aventure un
quelconque revenu ne peut être soustrait
au regard du fisc, le taux d’imposition,
qui, au Canada,
s’échelonne entre
31% et 53%, pour un citoyen
lambda, n’est plus que de 19% à 27% pour
l’entreprise des malfrats – toutes
exemptions défalquées évidemment et cela
en autant que le monopole multinational
accepte de payer son dû, ce qui n’est
pas toujours le cas (Rio-Tinto-Alcan
refuse depuis trois ans de payer 1
milliard $ d’arriérés) (9).
Un sous-fifre
médiatique obséquieux prétend que
l’évasion fiscale et les paradis «
offshore » sont incontournables et
inévitables tout comme la prostitution,
la mafia et le vol à l’étalage.
Celui-là, lucide, sait comment conserver
son emploi. Ce poltron a toutefois
raison : prévarication, exploitation et
fourberie,
sont les compagnons de lit
du profit (10).
Opposition au fisc
et autres collecteurs de fric
Les ouvriers et
les employés sont taxés à mort, ils sont
surtaxés jusqu’après la mort – jusqu’au
tombeau – où le fisc se sert avant
l’héritière du macchabé (les riches
bénéficient de toute une série
d’échappatoires et d’exemptions). Alors,
les trucs utilisés par les ouvriers, les
employés, les paysans et les artisans
peuvent varier d’une époque à une autre,
mais l’objectif de la manœuvre reste le
même d’un système économique à un autre
: réduire les ponctions que l’État
effectue sur les revenus des
travailleurs qui sont déjà tellement
imposés et taxés, au travail et au
marché, que la reproduction élargie des
classes laborieuses en est menacée. Dans
les pays arabes par exemple, dans toute
l’Afrique et en Amérique les jeunes
travailleurs n’ont plus les moyens
financiers de se marier et d’avoir des
bébés. Dissimuler des revenus au fisc
bourgeois est une question de survie et
un devoir envers leurs familles pour ces
travailleurs.
Le capitaliste
pour sa part confisque la plus-value –
profits, dividendes, bénéfices intérêts
et rentes – produite par les employés –.
Il accumule ainsi des sommes énormes sur
lesquelles il paie peu d’impôts et peu
de taxes comme nous venons de le
démontrer. Qui plus est, le capitaliste
exige de l’argent du gouvernement pour
encourager les investissements dont il
sera le seul gagnant – bénéfices
immenses qu’il planque dans les paradis
fiscaux afin de contribuer le moins
possible au cycle de reproduction
étendue des travailleurs qu’il abandonne
à leurs malheurs. L’ouvrier triche
l’impôt pour la survie de sa famille, le
capitaliste triche l’impôt pour
accroître ses profits.
Bien entendu, tout
citoyen honnête, tout ouvrier paupérisé,
tout travailleur en difficulté de
crédit, celui chassé de son foyer ou de
son loyer, doit s’indigner de cette
tricherie; de ce vol de haut vol de la
part de ceux qui possèdent tout en
privé. L’ouvrier doit s’enrager contre
ces malfaiteurs gouailleurs et contre
les voleurs trônant sur leurs chaises
présidentielles, sénatoriales et
ministérielles. Mais tout un chacun doit
savoir que demain, dans un mois, dans un
an, tout cela restera inchangé car les
requins de la finance, les « banksters »
et le menu fretin politicien chapardeur,
qui sont aujourd’hui accusés, sont aussi
maîtres du plaidoyer, procureurs, juges
et partie, tous coalisés. Il ne sortira
rien de ce salmigondis médiatique, que
davantage d’inquisition de la police
fiscale contre les travailleurs et les
gagnepetits.
Le prolétariat
choqué ne se révoltera pas encore cette
fois. Il attendra son heure et alors il
réglera cette ardoise, et les autres en
souffrance, toutes à la fois.
1.
Le Devoir
(5.04.2013)
Pleins feux sur l’évasion fiscale.
www.ledevoir.com/international/actualites-internationales/374980/pleins-feux-sur-l-evasion-fiscale?utm_source=infolettre-2013-0405&utm_medium=email&utm_campaign
=infolettre-quotidienne.
2.
Alain Deneault
(2010)
Off-Shore.
Paradis fiscaux et souveraineté
crimminelle . Écosociété. Montréal.
http://www.ecosociete.org/t137.php
3.
Radio-Canada
(5.04.2013)
24 heures en soixante minutes. Offshore.
http://www.radio-canada.ca/emissions/24_heures_en_60_minutes/2012-2013/Entrevue.asp?idDoc
=284479&autoPlay=http://www.radio-canada.ca/Medianet/2013/RDI/2013-04-05_19_00_00_24h60m_1164_
001_1200.asx
4.
RTBF. Mise au
point (30.10.2011)
Quand le PTB dénonce la fraude fiscale.
http://www.youtube.com/watch?v=oql0C1_pg6Q
et
http://science21.blogs.courrierinternational.com/archive/2013/04/03/affaire-cahuzac-et-libre-circulation-des-capitaux.html.
L’express (5.04.2013)
L’Affaire Augier, Qu’est-ce que
l’Offshore-leaks ?
http://www.lexpress.fr/actualite/
politique/comprendre-l-affaire-offshore-leaks_1237385.html
5.
Le Monde
(4.04.2013)
Les pays suspectés de pratique fiscales
douteuses.
http://www.lemonde.fr/economie/infographie/2013/04/04/les-pays-suspectes-de-prati
que-fiscale-douteuse_3154297_3234.html.
6.
Le Devoir
(5.04.2013)
Pleins feux sur l’évasion fiscale.
www.ledevoir.com/international/actualites-internationales/374980/pleins-feux-sur-l-evasion-fiscale?utm_source=infolettre-2013-0405&utm_medium=email&utm_campaign
=infolettre-quotidienne.
7.
http://www.rue89.com/2009/09/23/sarkozy-magie-magie-les-paradis-fiscaux-cest-fini
et
Le Monde (2013)
http://www.lemonde.fr/offshore-leaks/
8.
http://voir.ca/josee-legault/2012/04/12/enveloppes-brunes-et-prete-noms/
9.
« Pour comprendre
les taux d’imposition des entreprises, à
l’instar du régime fiscal des
particuliers, nous devons prendre en
compte à la fois le palier fédéral et
provincial. Par conséquent, une
entreprise au Québec paie, en 2013, un
maximum de 26,90%, soit 15% au fédéral
et 11,90% au provincial. Il est par
contre à noter que ce taux n’inclut ni
les subventions, ni les déductions;
c’est donc le taux à payer sur le revenu
imposable, pas sur l’ensemble du revenu
d’une entreprise. (…) De plus, ce taux
n’est pas universel: pour les deux
ordres de gouvernement, il existe un
taux différent pour les PME éligibles.
Au Canada,
ce
taux est à 11%
tandis qu’il est à 8 %
au Québec,
pour un taux maximal de 19%. »
http://www.iris-recherche.qc.ca/blogue/les-taux-dimposition-des-entreprises-au-quebec
10.
http://www.bfmtv.com/economie/paradis-fiscaux-sont-incontournables-485648.html.
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