Mardi 22 juin 2010
Il y a, de cela, au jour près, exactement
un siècle. Si vous vous penchez sur le début du vingtième
siècle, vous verrez les Arabes complètement perdus : ni ils ne
raisonnent, ni ils n’agissent. Des courants contradictoires et
mutuellement hostiles les entraînent. Depuis ceux qui appellent
à la sécession avec le pouvoir ottoman et à la fin du khalifat
musulman, jusqu’à ceux qui prônent son maintien avec quelques
réformes administratives, économiques, sociales et politiques,
en passant par ceux qui s’activent pour lui déclarer la guerre
en s’alliant avec l’Occident et en solidarité avec celui-ci au
service d’objectifs connus des seuls manipulateurs.
L’appât accroché à l’hameçon terminant le
fil de pêche que les Alliés avaient laissé tremper dans les eaux
troubles du monde arabe était un cadeau enveloppé dans des
papiers brillants portant les slogans de l’indépendance, de la
libération, de la démocratie et des droits de l’homme : autant
de mots ronflants vendus sur tous les marchés d’un monde
impuissant, des mots qui leur cassèrent les oreilles mais dont
ils furent contents : les Arabes ont poussé des youyous, ils ont
dansé leurs dabkés de mariages puis ils sont allés se coucher.
Ils ont dormi à poings fermés, faisant de beaux rêves,
rassérénés qu’ils étaient par les missives de MacMahon, qu’ils
conservaient pieusement dans les poches de leurs dishdashas. Ces
lettres étaient de véritables chèques (en bois) libellés en
promesses différées jusqu’au moment de l’indépendance et de la
création du royaume arabe, à condition qu’ils s’allient avec les
Alliés pour en finir avec l’« Homme Malade » de Constantinople.
Les Arabes se sont laissé entraîner par
l’idée d’en finir avec le colonialisme ottoman « sanguinaire »,
ce colonialisme qui pratiquait les exécutions par empalement, et
ils se sont rangés aux côtés des pionniers du néocolonialisme
occidental opérant dans les pays arabes. Rappelons qu’à
l’époque, les deux grandes puissances du moment avaient mis la
main sur l’Algérie, puis sur la Tunisie et le Maroc, l’Egypte et
le Soudan, ainsi que sur une partie de la Péninsule arabique.
Quatre siècle, exactement, après l’entrée
des Ottomans, sous la direction du Sultan Sélim Ier dans le pays
de Shâm, et après la défaite des Mamelouks, sous la direction de
Qansô Al-Ghûriyy, à la suite de la bataille de Merdj Dâbiq, en
1516, se produisit ce que l’on appela la Grande Révolte arabe
contre la Sublime Porte, une révolte emmenée par le Shérif
Hussaïn. Les armées de l’Emir Fayçal appuyées par le colonel
britannique Lawrence (dit ‘Laurence d’Arabie’, ndt), réussit à
chasser l’armée ottomane après avoir pratiqué contre elle un
massacre atroce.
Les Arabes se réjouirent bruyamment de
cette victoire contre le Khalifat musulman d’Istanbul, puis ils
se mirent à se préparer à recevoir leur indépendance et à
instituer leur royaume unifié en se fondant sur les lettres de
Mac Mahon qui contenaient ces promesses brumeuses auxquelles ils
crurent dur comme fer, en dépit de leur intuition bédouine. Très
rapidement, les découvrirent, après la révélation du secret des
négociations Sykes-Picot prévoyant le partage de l’héritage de
l’« « « Homme
Malade » entre la France et l’Angleterre par la Révolution
bolchevique de 1917. L’allié colonialiste venait de leur
enfoncer un premier « pal », un premier « khâzûq », comme on dit
en arabe, un khâzûq éternel dont ils ne parviendraient jamais à
se libérer, sauf peut-être avec une intervention divine. Mais,
de surcroît, leur soi-disant allié polygraphe mac-mahonien leur
fit une nouvelle surprise, alors qu’ils n’avaient même pas
encore récupéré toutes leurs facultés après l’horreur de ce
premier choc, d’un deuxième « khâzûq », plus dévastateur encore
que le premier. Un « khâzûk » encore bien plus difficile à
retirer, j’ai nommé la déclaration Balfour et la création de
l’Etat juif en Palestine. Cet Etat contre lequel ils n’ont pas
encore cessé, jusqu’à aujourd’hui, de se casser les dents, un
Etat autour duquel ils s’enlisent jusqu’aux genoux. Mais cette
triste comédie n’allait pas s’arrêter là : ces « alliés » qui
avaient promis leur indépendance aux Arabes leur réservaient
encore un troisième « khâzûq », bien dissimulé dans leur poche
de veston. Ne le voilà-t-il pas que cet « allié » se fait
colonisateur à son tour et impose aux Arabes leur ‘mandat’ en
application des dispositions du Congrès de San Remo de 1920 ?!?
C’est alors que les Arabes entamèrent leur longue pérégrination
douloureuse avec ce que l’ « allié occidental » voulait bien
leur laisser, une pérégrination qui allait durer peut-être des
siècles, allez savoir. C’est alors que les Arabes comprirent que
les principes de liberté et de droit à l’autodétermination
prônés par Woodrow Wilson n’étaient que de ces chimères et de
ces illusions dont l’Occident machiavélique détient
incontestablement le secret.
Aujourd’hui, après un siècle de ce
calvaire, les Arabes s’interrogent : avons-nous eu vraiment
raison de nous allier avec l’Occident contre le Sultanat
ottoman ? Ce Sultanat, malgré toutes les critiques qu’on pouvait
lui adresser, avait su conserver ses territoires, notamment ses
territoires arabes. Lorsque l’on proposa au Sultan Abdülhamid de
vendre la Palestine, il a refusé de la vendre, en dépit des
offres considérables qui lui furent faites, et il paya en
définitive le prix de ce refus obstiné (de vendre la Palestine
aux sionistes, ndt) de son propre renversement et de son exil à
Malte.
Si nous étions restés fermes sur notre
principe de défendre le Califat, et si nous avions soutenu
Istanbul dans sa guerre contre les Alliés, aurions-nous souffert
de catastrophes pires que celles que nous avons connues ?
Et comment, après toutes ces trahisons de
l’Occident, continuer à lui faire confiance ?
Nous devons reconnaître aujourd’hui que
nous avons trahi le Califat islamique à Istanbul, et que nous
avons été punis par la trahison de nos alliés occidentaux.
Aujourd’hui, nous devons dire : « Pardonne-nous, ô, Grand Peuple
turc ! » et nous devons imaginer désormais notre avenir en
renouant notre alliance avec la Turquie, la Turquie qui est
notre voisine et avec laquelle nous lient davantage de liens
historiques, religieux et culturels que ce n’est le cas d’aucun
autre pays tant au Moyen-Orient qu’au-delà du Moyen-Orient. Ce
n’est qu’ainsi que nous pourrons éviter tout nouveau « khâzûq »
que d’aucuns nous tiennent en réserve.
Ces réalités nous semblent aujourd’hui plus
claires en raison des derniers développements extrêmement
importants en Turquie, Ankara défendant désormais beaucoup mieux
nos causes que tous nos régimes arabes pris ensemble.
C’est ce que les derniers événements ont
traduit sur le terrain de la réalité. Les portraits de Tayyip Recep
Erdoğan sont affichés sur les murs partout dans le monde arabe :
ils remplacent ceux des leaders arabes. Nombre d’Arabes disent,
aujourd’hui, qu’Erdoğan est ‘le plus grand de tous les leaders
arabes’ !
Traduit de l’arabe par Marcel Charbonnier
Dr Riyadh Mu‘as‘as, directeur du service arabe
de la chaîne Euronews
Les traductions de Marcel Charbonnier
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