Tunisie
Moncef Marzouki en
mode danseuse du ventre
Ridha
Kéfi
Samedi 20 octobre 2012
La Tunisie du «tout le monde
il est beau tout le monde il est gentil»
a désormais son président: Moncef
Marzouki. Trop consensuel pour être
sincère et crédible. Et déjà candidat à
se succéder à lui-même...
Par Ridha Kéfi
S’il a voulu séduire les Tunisiens en
rappelant des évidences et en énonçant
des principes généraux, le président
Moncef Marzouki a réussi son coup de
Com’ politique. Son entretien télévisé
de vendredi soir sur les chaînes Watania
1 et Nessma TV n’aura finalement servi
qu’à… soigner son image brouillée par
l’incompétence du gouvernement, les
bêtises en série de ses alliés
islamistes et même les ratés de son
propre parti, Congrès pour la République
(CpR), dont il est toujours le président
d’honneur, en dépit de la hauteur qu’il
dit avoir pris du fait de sa fonction
présidentielle.
Le
président, sur un nuage, prend de «la
hauteur»
Un président sans prérogatives c’est
finalement un aubaine pour M. Marzouki:
n’étant responsable de rien, ni
redevable d’aucun bilan, il peut
s’asseoir dans sa tour d’ivoire (il
parle de «hauteur») et
distribuer la bonne parole en veux tu en
voilà, sans aucun engagement d’aucune
sorte de sa part.
Le président provisoire a d’ailleurs
cherché à renvoyer tout le monde
dos-à-dos, se situant au-dessus de la
mêlée, tout en évitant de froisser les
uns et les autres.
Ainsi, donc, pas une seule critique à
l’adresse du parti islamiste Ennahdha,
malgré les bêtises accumulées par ses
dirigeants. Mais aussi une volonté de
caresser les salafistes dans le sens du
poil (sans jeu de mots aucun), en
rappelant au passage les excuses qu’il
leur a présentées il y a quelques mois
pour les avoir qualifiés de «microbes»
et en appelant à abroger la loi
anti-terroriste de 2003 en vertu de
laquelle les attaquants salafistes de
l’ambassade et de l’école américaines,
le 14 septembre, ont été déférés devant
la justice. Merci président (provisoire,
Dieu merci!) de tous les Tunisiens, y
compris les extrémistes religieux!
Un président
très pressé
Avant la révolution et l’élection du
23 octobre 2011, qui l’a vu prendre la
magistrature suprême avec quelques
milliers de voix, M. Marzouki voyait
tout en noir. Depuis qu’il est au Palais
de Carthage, avec la bénédiction de ses
alliés d’Ennahdha, il voit tout en rose
ou plutôt «en vert» (et c’est
son mot pas le nôtre). Un adage bien
tunisien illustre bien son cas: «El-khir
itarri» (La prospérité ramollit) et
les fastes de Carthage ont de quoi
anesthésier les consciences les plus
aiguës.
Aussi, ceux qui s’attendaient à
l’annonce de mesures concrètes contre le
retour de la violence politique, de
propos fermes concernant l’assassinat,
la veille, de Lotfi Naqdh, porte-parole
de Nida Tounes à Tataouine, commis par
des groupes proches d’Ennahdha et du CpR,
ou encore de soutien aux journalistes
contre les tentatives d’asservissement
par le gouvernement Ennahdha, etc., en
ont-ils eu finalement pour leur frais.
M. Marzouki a la tête ailleurs: lui
qui exigeait, il y a quelques mois, un
mandat de 3 ans au moins pour permettre
au gouvernement de mettre en place les
réformes nécessaires, semble, 10 mois et
0 réforme après, pressé d’aller à la
prochaine élection. «Je souhaite,
pour ma part, que l’on puisse organiser
les prochaines élections avant l’été
prochain, afin que les Tunisiens
puissent partir en vacances l’esprit
tranquille», a-t-il déclaré.
Il parle sans doute de lui-même en
parlant ainsi des Tunisiens auxquels il
aime tant s’identifier. Il faut dire
que, depuis le temps que de soi-disant
sondages d’opinion le donnent en tête
des dirigeants politiques les plus
appréciés des Tunisiens, M. Marzouki
s’impatiente d’en finir avec son
détestable statut de «président
provisoire de la république» et de
«tartour au service d’Ennahdha»,
comme aiment à le décrire ses
concitoyens Tunisiens.
Un
appel du pied en direction des
Bourguibiens
M. Marzouki, qui aime prendre de la
hauteur, n’y pense peut-être pas chaque
matin en se rasant, mais il y pense tout
de même chaque soir en se couchant.
D’ailleurs, il a cessé de réserver ses
critiques assassines à l’ancien
président Habib Bourguiba, son ennemi de
toujours. Il a même accroché un portrait
de celui dont il occupe aujourd’hui le
bureau dans la salle où se déroulait
l’interview et a insisté pour que les
caméras le montrent.
M. Marzouki, on l'a compris, brasse
large: il ne veut s’aliéner ni les
obscurantistes salafistes ni les
modernistes bourguibiens, surtout depuis
qu'il a constaté le succès de Nida
Tounes et de son leader bouguibiste Béji
Caïd Essebsi.
Reste à savoir si les Tunisiens se
laisseront duper par ce jeu du grand
écart ou de la danseuse du ventre
cherchant à séduire tout le monde.
Copyright © 2011
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Publié le 21 octobre 2012 avec
l'aimable autorisation de Kapitalis
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