Tunisie
Tunisie-France. Le
désamour n'a que trop duré...
Ridha Kéfi
Photo:
Kapitalis
Dimanche 20 mai
2012
La Tunisie et la France vont devoir
réinventer des relations plus équitables
et, surtout, respectueuses des intérêts
de leurs deux peuples, et non dictées
par les calculs sournois de leurs
dirigeants respectifs.
Par Ridha Kéfi
Les relations entre la Tunisie et la
France sont mauvaises. Ce n’est pas là
un scoop. Même si la Tunisie n’a jamais
compté autant de visites de hauts
responsables français que depuis la
révolution du 14 janvier 2011 (des
explications étaient, il est vrai,
nécessaires), il est évident que, du
côté tunisien, on a encore du mal à
oublier le soutien presque
inconditionnel dont l’ex-dictateur
bénéficiait de la part du gouvernement
français, sous Jacques Chirac comme sous
Nicolas Sarkozy.
Le silence assourdissant de Paris et
les atermoiements de l’Elysée et du Quai
d’Orsay, alors que la colère grondait à
Tunis et que les sbires de Ben Ali
tiraient sur les manifestants pacifiques
et multipliaient les morts et les
blessés, entre le 17 décembre 2010 et le
14 janvier 2011, a ajouté à
l’incompréhension voire à la colère des
Tunisiens à l’égard d’un pays et d’un
peuple desquels ils se sentent si
proches.
La France «a
maltraité les jeunes Tunisiens»
Ce sentiment de dépit vient d’être
exprimé, une nouvelle fois, par Moncef
Marzouki, président de la république
provisoire, dans un entretien à nos
confrères de l’hebdomadaire
‘‘Le Point’’.
«Le comportement de la France pendant
et après les révolutions ne m’a pas
satisfait», a déclaré M. Marzouki. Et
d’enfoncer le clou: «Dans le passé, la
France a non seulement apporté son
soutien à la dictature, mais elle a
également maltraité les jeunes Tunisiens
qui sont partis après le 14 janvier
2011. Je rappelle au passage que la
Tunisie, pays pauvre, a, elle, accueilli
près de 300.000 réfugiés libyens, que
nous avons bien traités.» D’ailleurs, a
ajouté le locataire du Palais de
Carthage, «s’il n’y a pas d’ambassadeur
de Tunisie à Paris, c’est pour montrer
notre mauvaise humeur, de même que je
n’ai pas souhaité me rendre à Paris sous
l’ancien président.»
En effet, si la France a changé son
ambassadeur en Tunisie quelques jours
après la chute de Ben Ali, remplaçant
Pierre Ménat, qui n’a rien vu venir – et
qui, dans l’une de ses dernières notes
au Quai d’Orsay, début janvier 2011,
soulignait que la situation en Tunisie
était bien sous le contrôle… de Ben Ali
–, par Boris Boillon, un jeune diplomate
arabisant et plus proche de la société
civile tunisienne, la Tunisie, pour sa
part, n’a pas encore nommé de successeur
à Raouf Najar, dernier ambassadeur
tunisien en poste à Paris, rentré au
pays au lendemain de la chute du
dictateur. Ce ne sont pourtant pas les
candidats qui manquent.
Une nouvelle
page à écrire
Tunis a, sans doute, voulu attendre
les résultats de l’élection
présidentielle française avant d’engager
une nouvelle page dans ses relations
avec Paris, en espérant secrètement que
Sarkozy passe à la trappe. Maintenant,
c’est fait. La France a un nouveau
président, le socialiste François
Hollande, un homme de gauche avec qui
une nouvelle page pourrait enfin
s’écrire. Le président Marzouki, le dit
d’ailleurs sans ambages, avec sa
franchise habituelle et si peu
diplomatique: «Avec l’élection de
François Hollande, nos relations vont
forcément s’améliorer. Je suis très
heureux, car il y a l’espoir d’une
coopération d’égal à égal. Je tiens à ce
que la France reste notre premier
partenaire en Europe. Je suis un
francophone et un francophile. J’ai
passé un tiers de ma vie en France.»
M. Marzouki, qui a fait ses études de
médecine en France, et a aussi exercé en
tant que psychiatre dans des hôpitaux
français, surtout durant la période de
son exil en France entre 1996 et 2012,
est également marié à une Française. Il
en est de même de ses deux filles nées
de ce mariage. Mais sa francophilie pour
ainsi dire naturelle n’interdit pas,
chez lui, une certaine exigence éthique
et politique qu’il traduit par sa
conception d’une «coopération d’égal à
égal». Plus donc de privilèges ou de
passe-droit (surtout en matière de
passation de grands marchés publics).
Plus de copains ou de coquins. Les
règles républicaines reprendront toute
leur place dans la gestion des affaires
publiques. Et pour cause:
à la différence du dictateur qui
gouvernait la Tunisie et qui avait
besoin de la protection intéressée de la
France et de son indulgence sonnante et
trébuchante à l’égard de ses abus en
matière de droits de l’homme, les
nouveaux gouvernants du pays – et plus
encore les Tunisiens dans leur ensemble
– estiment que ce type de relation n’a
plus de raison d’être. Les liens entre
la Tunisie et la France vont désormais
être dictées par les intérêts… de leurs
peuples respectifs, et non dictées par
les calculs sournois de leurs dirigeant.
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Publié le 20 mai 2012 avec l'aimable
autorisation de Kapitalis
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