Tunisie
Affaire des vidéos
fuitées :
Ghannouchi rappelé à l'ordre par ses
alliés salafistes
Ridha
Kéfi
Jeudi 11 octobre 2012
Les gens d’Ennahdha croient
pouvoir mener tout le monde en bateau et
tout le temps. Le problème c’est qu’ils
finissent toujours par être rattrapés
par leurs mensonges.
Par Ridha Kéfi
Ameur Lârayedh, député et dirigeant
d’Ennahdha, a essayé d’expliquer les
propos tenus par Rached Ghannouchi,
président de ce parti, au cours de la
réunion, en avril dernier, avec des
dirigeants salafistes, dont une vidéo a
été balancée sur les réseaux sociaux.
Ses éclaircissements n’ont fait
cependant que souligner davantage la
gravité de ces propos, qui précisent les
contours du projet d’Etat islamiste mis
en route par le mouvement islamiste
tunisien et ses alliés salafistes.
Une
explication convenue et peu convaincante
M. Lârayedh a affirmé, dans
l’émission ‘‘Midi Show’’ sur
Mosaïque FM, que la vidéo en question a
été tournée lors d’une réunion, le 25
avril dernier, avec des représentants du
mouvement salafiste.
Le dirigeant d’Ennahdha reconnaît
donc que les propos ont bien bel et bien
été tenus par Rached Ghannouchi – il ne
pouvait tout de même pas les démentir!
–, mais il ajoute que les images ont été
montées de manière à les faire sortir de
leur contexte et à leur faire dire plus
qu’ils ne disent réellement.
En d’autres termes, les propos de M.
Ghannouchi concernant les médias,
l’armée, la police et l’administration
ne doivent pas être compris à la lettre.
Situés dans leur contexte, ils
signifieraient seulement que M.
Ghannouchi voulait attirer l’attention
de son auditoire sur le fait que les
sbires de l’ancien régime sont encore en
place dans tous les rouages de l’Etat et
qu’ils cherchent à faire échouer la
révolution. Soit…
Cette explication est cependant assez
convenue et, surtout, peu convaincante.
Et pour cause : quand M. Ghannouchi
s’adresse aux responsables de la
Jeunesse salafiste, cela confirme, à qui
a encore un doute à ce sujet, qu’Ennahdha
entretient des relations organiques
sinon même organisationnelles) avec ce
mouvement de manière à pouvoir
l’utiliser comme une force d’appoint
dans sa lutte contre l’ennemi commun,
les «îlmaniyin» (laïcs),
d’ailleurs nommément désignés ainsi par
M. Ghannouchi.
«Voter
pour Ennahdha c’est choisir le camp
d’Allah»
Par ailleurs, quand, parlant des
résultats des élections du 23 octobre
2011, le chef islamiste parle de «victoire
de l’islam», ne fait-il pas un très
dangereux amalgame, en assimilant les «îlmaniyin»
à des non-musulmans voire à des
mécréants? Ne retrouve-t-on pas ici le
fameux slogan utilisé par les Nahdhaouis
lors de ces élections – et après – en
affirmant que «Voter pour Ennahdha
c’est choisir le camp d’Allah».
Quand on veut diviser un pays, mettre
une partie du peuple (les vrais
musulmans) contre l’autre (les laïcs) et
déclencher ainsi une guerre civile, on
ne s’y prendrait pas autrement!
Les propos de M. Ghannouchi, même
s’ils ont subi un montage et qu’ils ont
été sortis de leur contexte – les gens
d’Ennahdha seraient crédibles s’ils nous
faisaient voir et écouter
l’enregistrement dans sa version
intégral qui, selon M. Lârayedh, existe
–, sont d’une intenable clarté: le chef
islamiste demande aux salafistes, ses
alliés stratégiques dans son combat
contre les laïcs, de patienter, de
profiter du climat de liberté pour
pousser leur avantage, occuper les
espaces et faire du prosélytisme, en
attendant que la situation soit plus
propice à la… lutte finale, celle-ci
devant se traduire nécessairement par
l’exclusion (l’élimination?) des «ilmaniyins»
de tous les rouages de l’Etat.
Dans l’esprit de M. Ghannouchi, comme
dans le message qu’il essaie de
transmettre aux salafistes, la prise de
pouvoir par Ennahdha n’est pas encore
achevée: des pans entiers des médias, de
l’armée, de la police et de
l’administration (il omet étrangement de
parler de justice, simple oubli sans
doute!) lui échappent toujours.
En d’autres termes: les salafistes
doivent laisser encore du temps aux
Nahdhaouis avant d’exiger de ces
derniers qu’ils imposent la chariâ dans
les lois du pays. Traduire: cet objectif
est poursuivi par Ennahdha, mais sa
réalisation est encore prématurée.
Le choix de
la date n’est pas fortuit
M. Lârayedh s’en est pris, sur
Mosaïque FM, à ceux qui ont balancé la
vidéo sur les réseaux sociaux, comparant
leur acte aux pratiques auxquelles
recourait l’ancien régime pour
discréditer ses opposants. Reste,
cependant, à bien identifier la partie
qui a balancé ladite vidéo, qui plus
est, cinq mois après les faits relatés.
Il y a peu de chance qu’il s’agisse de
quelques maudits «laïques», car ils
n’étaient pas présents à la réunion.
Les seuls à avoir aujourd’hui la
possibilité et l’intérêt de diffuser une
pareille vidéo ce sont justement les
hôtes de M. Ghannouchi: les salafistes.
Et pour, au moins, deux raisons. La
première réside dans le retournement d’Ennahdha
au lendemain de l’attaque de l’ambassade
et de l’école américaines à Tunis, le 14
septembre, par des groupes salafistes ou
apparentés. Le gouvernement dominé par
les islamistes a lancé, au lendemain de
cette attaque, une vaste campagne
d’arrestations dans les rangs de ces
derniers. On parle d’une centaine de
personnes arrêtées, en majorité
salafistes. En balançant la vidéo, les
salafistes chercheraient donc à rappeler
à M. Ghannouchi ses engagements
vis-à-vis de leur projet commun d’Etat
islamiste ou de califat.
Le choix de la date n’est pas, non
plus, fortuit. Et il désigne les
salafistes comme étant les auteurs de la
fuite. Ces derniers n’ont aucun intérêt,
en effet, à ce qu’Ennahdha s’engage dans
un «dialogue national» avec les
partis libéraux et de gauche dans le
cadre de l’initiative de l’Union
générale tunisienne du travail (Ugtt).
Or, ce dialogue est prévu pour le 16
octobre. La diffusion de la vidéo,
quelques jours auparavant, aurait pour
conséquence de dynamiter cette
initiative en montrant M. Ghannouchi et
les siens sous leur vrai visage, celui
d’un Janus, un monstre à deux visages…
Avec leur duplicité légendaire et le
double langage, qui leur sert souvent de
moyen de dérobade ou de feuille de
vigne, les gens d’Ennahdha croient
pouvoir mener tout le monde en bateau et
tout le temps. Le problème c’est qu’ils
finissent toujours par être rattrapés
par leurs mensonges.
Copyright © 2011
Kapitalis. Tous droits réservés
Publié le 11 octobre 2012 avec
l'aimable autorisation de Kapitalis
Le dossier
Tunisie
Les dernières mises à jour
|