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Opinion
Ennahdha, et les
scénarios américains pour la Tunisie
Ridha Kéfi
Vendredi 3 juin 2011 Les
Etats-Unis ne sont pas indifférents au processus de
transition en Tunisie. Quel est leur scénario préféré pour notre
pays? Ce scénario a-t-il pour nom: le parti islamiste Ennahdha?
Par Ridha Kéfi
C’est, en tout cas, ce qu’affirment nos confrères de
‘‘Maghreb Confidentiel’’, en soulignant les contacts au plus
haut niveau qu’a eus récemment Hamadi Jebali, le secrétaire
général d’Ennahdha, au cours de sa visite à Washington.
M. Jebali a participé à un forum organisé le 9 mai par le Center
for the Study of Islam & Democracy (Csid), dirigé par le Tuniso-américain
Radwan Masmoudi et financé par le Département d’Etat américain,
le National Endowment for Democracy, l’US Institute of Peace,
etc., entre autres think tanks proches des cercles de décision à
Washington. Que M. Jebali ait ou non rencontré, comme l’affirme
‘‘Maghreb Confidentiel’’, les deux sénateurs Joe Libermann et
John Mc Cain, les responsables américains les plus impliqués
dans l’accompagnement de la transition démocratique dans le
monde arabe, l’équipe du membre du Congrès John Kerry, ou encore
Margaret Nardi, la directrice de l’Office of Maghreb Affairs au
Département d’Etat, cela ne démontre rien et, du reste, importe
peu. Ce qui est essentiel, en revanche, c’est de constater un
regain d’intérêt de l’administration américaine pour les
mouvements islamistes dans le monde arabe en général et en
Tunisie en particulier.
Une force politique montante
Les Américains seraient-ils disposés à avaliser et à accompagner
l’arrivée d’un parti islamiste modéré et vaguement ouvert à la
tête d’un pays arabo-musulman, la Tunisie en l’occurrence, le
pays de la région le plus ouvert à la modernité occidentale?
Pourquoi les Américains accepteraient-ils d’adouber Ennahdha,
fut-il l’un des partis islamistes les plus modérés au
Moyen-Orient et en Afrique du Nord, après l’Akp au pouvoir en
Turquie?
On pourrait avancer les raisons suivantes:
- les mouvements islamistes sont les plus populaires et
les mieux implantés dans la région. Au terme de plusieurs
décennies de combat, au cours desquelles ils ont été
durement réprimés, avec la complicité passive des
Occidentaux, ils ont gagné de haute lutte la reconnaissance
voire la sympathie de larges franges de la population qui,
hier encore, ne leur étaient pas acquises ou leur étaient
franchement opposées;
- après la chute des dictatures, en Tunisie et en Egypte,
et bientôt en Libye, en Syrie et au Yémen, les capitales
occidentales ont découvert une scène politique
quasi-désertique, ou éclatée, ou inconsistante, en tout cas
sans expérience de gouvernement, et où seuls émergent, par
leurs qualités mobilisatrices, les islamistes;
- en Tunisie, le parti Ennahdha, longtemps soupçonné de
propension à la violence, ne cesse de montrer patte blanche,
affichant le visage avenant d’un mouvement ouvert, modéré,
consensuel, prêt à toutes les concessions et, surtout,
favorable à une transition sans heurts;
- Ennahdha et la plupart des autres partis islamistes
autorisés en Tunisie depuis la chute de la dictature
semblent bien placés pour faire une entrée en force dans la
prochaine Assemblée nationale constituante; ce qui en fait
des acteurs de premier ordre de la scène politique
tunisienne au cours des prochaines années. Ils sont, pour
ainsi dire, incontournables, et les Américains, dont le
pragmatisme s’encombre rarement de partis-pris idéologiques,
semblent disposés à rattraper le temps perdu et à nouer des
liens utiles avec une force politique montante;
- dans sa communication politique, Ennahdha ne montre plus
aucune animosité à l’égard de l’Occident, alors qu’il a de
bonnes raisons d’en vouloir à cet Occident qui a longtemps
soutenu les dictatures soi-disant laïques. Mieux: le parti
islamiste tunisien proclame aujourd’hui haut et fort son
attachement à la liberté religieuse et ne fait pas mystère
de ses options libérales en matière économique.
Contrairement à de nombreux partis de gauche, il ne porte
aucun grief contre l’économie de marché. Ce qui constitue,
on s’en doute, un gage de crédibilité et de respectabilité
aux yeux des Américains;
- last but not least, les Américains observent la région
comme un ensemble géopolitique où l’effet domino peut
fonctionner dans un sens comme dans l’autre. Avant, les
dictateurs de service – qui étaient, accessoirement, des
agents de la Cia et des porte-drapeaux de la normalisation
avec Israël – leur ont fait comprendre qu’il n’y a de choix
qu’entre la dictature et le terrorisme, entre Ben Ali et Ben
Laden, pour emprunter l’expression d’un célèbre
éditorialiste parisien. Or, leurs analystes se rendent
compte aujourd’hui, un peu tardivement il est vrai, que la
dictature est le terreau même du terrorisme, l’une
nourrissant l’autre et s’en nourrissant elle-même en retour.
Le pari sur l’islamisme soft à la turque
Je me suis échiné, en différentes occasions, au cours des dix
dernières années, à vouloir expliquer cette équation à des
responsables politiques et des diplomates occidentaux, qui ne
voulaient rien en entendre. Ils sont nombreux aujourd’hui à
vouloir nous l’expliquer… à leur tour!
Vu de Washington, le pari sur l’islamisme soft à la turque
pourrait être une solution pour la crise politique qui
s’installe dans la région, et la Tunisie pourrait en être le
laboratoire. Par sa taille, son histoire, ses spécificités
démographiques, culturelles et politiques, la Tunisie est le
pays arabo-musulman qui présente les meilleures dispositions
pour une rapide sortie de crise.
Notre pays a offert le mode d’emploi de la révolution aux autres
pays de la région. Il pourrait leur offrir aussi le mode
d’emploi d’une transition sans heurts: tous les Occidentaux y
croient, les Américains plus que les autres. Il n’y a que nous
qui en doutons encore…
Qu’on nous comprenne: les Américains n’ont pas nécessairement de
préférence s’agissant de la force politique qui prendra en main
demain le destin de la Tunisie. Mais ils préfèrent avoir de
bonnes relations avec toutes les forces existantes, y compris
les islamistes.
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Publié le 3 juin 2011
avec l'aimable autorisation de Kapitalis
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