Opinion
Al Jazeera, la fin
d'une légende
René Naba
René Naba
Samedi 20 octobre
2012
Omniprésent sur
terre et sur air, l’Emir de Qatar aura
été incontestablement l’homme de l’année
2011, plus fort que Mohamad Bouazizi,
dont l’immolation a déclenché le
soulèvement salvateur du printemps
arabe, réussissant le tour de force de
retourner en sa faveur le cours de la
révolution arabe.
Mais le nouvel Air
and Field Marshall du Monde arabe, dans
un mouvement de balancier, aura dans le
même temps, sinistré l’une des
principales réalisations de son régime,
la chaîne transfrontière Al Jazira,
passant du rôle envié de prescripteur de
l’opinion arabe, à celui moins glorieux
de lanceur d‘alerte des menées anti
arabes de l’Otan, faisant voler en
éclat, en six mois, une crédibilité
patiemment construite en quinze ans.
«On the air» d’Al Jazira, l’autocrate
intronisera l’égyptien Youssef Al
Qaradawi en prédicateur électronique de
la mouvance islamiste panarabe et
maintiendra en couveuse, en réserve de
la République, le tunisien Rached
Ghannouchi, les deux flotteurs des
Frères musulmans en exil, qu’il fera
réhabiliter par les chancelleries
occidentales, en les plaçant en orbite
dans la foulée du renversement du
président Hosni Moubarak (Egypte) et de
Zine El Abidine Ben Ali (Tunisie).
A coups de
pétrodollars et d’esbroufe, amplifiée
par la force cathodique d’Al Jazira, à
l’époque à l’apogée de sa crédibilité,
il cautionnera une intervention
occidentale en Libye, réintroduisant le
loup dans la bergerie, en la personne
d’Abdel Hakim Belhadj, l’ancien chef des
brigades islamiques de Libye et nouveau
gouverneur militaire de Tripoli.
En tandem avec le
roman-enquêteur français Bernard Henri
Lévy, qui lui dispute la palme pour
2011, les duettistes se vivront
alternativement, successivement et
cumulativement comme le nouveau Rommel
du désert de la Cyrénaïque et le Von
Paulus de la Tripolitaine, vivant
quotidiennement les épopées conjuguées
de la première armée d’Afrique et de l’Afrika
Korps.
Depuis la mise à
mort publique du Colonel Kadhafi, en
octobre 2011, l’Emir du Qatar dont
l’armée compte cinq mille soldats et
autant de mercenaires, commande une
coalition de treize pays comprenant
trois puissances atomiques alignant
plusieurs centaines d’ogives nucléaires,
nouveau tour de force qui le propulse au
titre très envié de commandant en chef
d’une mythique Africa Korps nucléaire
atlantiste. Avec les encouragements et
les acclamations d’une cohorte de
commentateurs politiques, dont le plus
en vue n’est autre que l’universitaire
franco-tunisien, l’Islamologue
toulousain Mathieu Guidère, nouveau venu
sur la scène médiatique, de son vrai nom
Moaz Goueider, par ailleurs, précepteur
du propre fils du souverain à l’Ecole
Saint Cyr, l’académie française chargée
de former les officiers de commandement.
En 1990, le Monde
arabe avait offert au Monde un Field
Marshall en la personne de Khaled Ben
Sultan, l’interface saoudien du général
Arnold Schwarzkopf, le maitre d’œuvre de
la tempête du désert contre l’Irak. Bel
exploit d’un pays qui bat tous les
records en matière de dépenses
d’armement sans jamais livrer de guerre
directe. Le propre fils du ministre
saoudien se distinguera, non sur le
champ de bataille, mais sur le terrain
de l’intendance, prélevant une
respectable commission de l’ordre de
trois milliards de dollars sur les
transactions visant le ravitaillement
des 500.000 soldats du corps
expéditionnaire occidental venus
protéger le pétrole saoudien des
convoitises irakiennes. .
Bel exploit d’une
principauté, le Qatar, dont le quart du
territoire abrite la plus importante
base américaine hors Otan, celle du
commandement central, le maillon
intermédiaire qui assure la jonction
entre l’Otan (Atlantique Nord) et
l’OTASE (Asie du Sud Ouest).
Parricide, le Field
Marshall pétro monarchique s’emparera du
pouvoir à Doha, à la faveur d’un coup de
force des paras commandos jordaniens, en
1995, accourus au Qatar pour restaurer
les intérêts pétroliers lésés des
compagnies britanniques. Brutus n’est
pas le monopole de Rome, il en pousse à
l’ombre des derricks. Prédateur à
l’instar de son prédécesseur, sa
réconciliation avec le principal
opposant à la dynastie, Nasser al Misnad,
exilé au Koweït depuis 1950, sera
scellée, périnéalement, par les
épousailles de l’Emir avec la propre
fille de son ancien ennemi, Mozza, la
ci-devant Banana princess.
Rébus de luxe pour recyclage haut de
gamme, béquille financière de la France,
caution arabe du plus pro israélien des
dirigeants français, son plus bel
exploit demeure toutefois d’avoir
retourné en sa faveur le slogan
révolutionnaire lancé à l’aube du
printemps arabe dont la pleine saveur se
retrouve dans sa formulation en arabe
par inversion du mot Kadar (Destin) par
Qatar:
Si le peuple veut la vie, Il importe au
destin (Kadar) d’y faire droit
Si le peuple veut la vie, Il importe au
Qatar d’y faire droit
Le plus zélé
disciple des Etats-Unis dans la mise à
l’index des Républiques arabes, la Libye
puis la Syrie, se tient bien car bien
tenu. Prescripteur de l’information
pendant deux décennies sur le plan
arabe, Al Jazira, l’alibi stratégique
suprême du Qatar face à sa sujétion à
l’ordre occidental, parait devoir vivre
la fin de son monopole médiatique en
raison des dérives dont la chaîne
qatariote s’est rendu coupable, lors de
la couverture des révoltes arabes de
l’an 2011, particulièrement en Libye et
en Syrie.
Al-Jazira, dont le nom a été forgé par
référence à «Al-Jazira Al-Arabia» la
verdoyante péninsule arabique, l’espace
géographique regroupant les principautés
pétrolières du Golfe, l’Arabie saoudite
et le Yémen, l’ancienne «Arabia Felix»
(l’Arabie Heureuse) des premiers temps
de l’Islam, est bel et bien en effet une
excroissance rebelle de l’ordre
médiatique saoudien, tout comme
d’ailleurs sur le plan politique Oussama
Ben Laden, une excroissance rebelle de
l’hégémonie saoudienne sur l’ordre
domestique arabe.
La mise en place
d’Al Jazira a constitué un bel exemple
d’équilibrisme diplomatique du petit
émirat du Qatar, face aux ambitions des
protagonistes du jeu régional et la
tentative de domestication de la chaîne
transfrontière arabe constitue à cet
égard un cas d’école.
Son lancement en 1996, l’année qui a
suivi la crise d’hémiplégie qui a frappé
le Roi Fahd, le grand frère saoudien
dont l’Emir parricide du Qatar en
prenait ombrage, répondait à trois
objectifs:
-Dédouaner aux yeux de l’opinion arabe
l’Emir de Qatar de la lourde tutelle
occidentale qui a parrainé son parricide
politique.
-Doter la
principauté d’une force de frappe
médiatique dissuasive en vue de marquer
son territoire sur le plan énergétique
au sein de la constellation des
pétromonarchies du Golfe
-battre en brèche l’hégémonie saoudienne
sur la sphère arabe, en prenant
partiellement appui sur une équipe
journalistique formée hors orbite de la
censure arabe, -le service arabe de la
BBC (British Broadcasting Corporation)-,
victime de l’arbitraire saoudien (1).
En moins d’une
décennie, Al-Jazira a rempli ses
objectifs, brisant le monopole du récit
médiatique détenu par les médias
occidentaux depuis l’avènement de
l’information de masses, il y a un demi
siècle, se propulsant au rang de grand
rival des grands vecteurs occidentaux,
le prescripteur de l’opinion publique
arabe, l’artisan du débat pluraliste au
sein du monde arabe. Une promotion qui a
conduit les Américains à entreprendre
méthodiquement sa domestication,
particulièrement depuis la guerre
d’Afghanistan.
Alors que les Etats-Unis mobilisaient
l’opinion internationale pour l’invasion
de l’Irak et cherchaient une base de
repli à leur QG saoudien, un média
saoudien laisse opportunément filtrer ce
jour là, sur son site Internet «Arabic
news.com», une information apparemment
puisée aux meilleurs sources américaines
et saoudiennes annonçant «une tentative
de coup d’état» contre l’Emir de Qatar
Cheikh Hamad Ben Issa al-Khalifa
«déjouée par les Etats-Unis».
L’information laconique ne mentionnait
ni les auteurs de la tentative, ni la
date à laquelle elle a été déjouée.
Fomentée par qui? Déjouée comment?
Tentative fomentée et simultanément
déjouée par le même opérateur? Coup
d’état par simulation virtuelle?
Quiconque connaît
le fonctionnement de la presse
saoudienne, particulièrement la censure
en temps de guerre, pareille information
bienvenue pour la diplomatie américaine
et saoudienne n’aurait jamais pu filtrer
sans l’assentiment des autorités de
tutelle tant saoudiennes qu’américaines.
Le message sera entendu par le Qatar qui
dans un geste de bonne volonté signera
le lendemain un accord de coopération
avec le Paraguay, une prestation de
service qui serait en fait une opération
de couverture pour les services
américains en Amérique latine.
La pression est de
nouveau mise lors de la phase finale de
l’offensive américaine en Irak: le 8
avril 2003, jour de la chute de Bagdad,
l’hebdomadaire américain «Newsweek»
annonce à grands renforts de publicité
une information sans véritable lien avec
la conduite de la guerre: le lancement
d’une enquête pour corruption contre le
ministre des Affaires étrangères du
Qatar, Hamad Ben Jassem Ben Jaber Al
Thani (alias HBJ), qui aurait été
impliqué dans le courtage d’une affaire
d’assurances et le blanchissement
subséquent de cent cinquante millions de
dollars sur un compte dans les Iles
Jersey (Royaume Uni). Le choix de la
cible n’est pas le fruit du hasard.
Un des vieux
routiers de la vie politique du Golfe,
Jassem est l’inamovible ministre des
Affaires étrangères du Qatar depuis
1992, c’est-à-dire lorsque l’accusation
est portée, depuis 11 ans, soit un homme
qui a servi les deux derniers
gouverneurs, le père et le fils. Fils
aîné de Cheikh Jaber Ben Hamad, ancien
Emir de Qatar, Jassem a d’ailleurs joué
un rôle important dans le coup d’état
pro anglo saxon qui a porté au pouvoir
le nouvel Emir et passe pour être un
homme sensible aux intérêts des firmes
pétrolières anglaises et américaines.
A la tête d’une immense fortune, qui lui
vaut le titre de l’homme le plus riche
du richissime Qatar, situé à un niveau
très élevé du hit parade des fortunes du
Golfe, Cheikh Jassem est actionnaire de
la compagnie aérienne qatariote «Qatar
Airways» et du fond d’investissement
«Qatari Diar», dont le fils du souverain
le prince Tammim, en est le président.
Membre reconnu de
l’Establishment américain, Cheikh Jassem
est membre associé de la prestigieuse «Brooking
Institution», spécialisée dans les
études géostratégiques sur le Moyen
orient, à ce titre un interlocuteur
régulier des dirigeants israéliens,
notamment de Mme Tzipi Livni, ancien
agent du Mossad et ancien ministre
israélien de affaires étrangères, et à
ce titre futur coordonnateur des guerres
destructrices israéliennes contre le
Liban (2006) et contre l’enclave
palestinienne de Gaza (2008).
Effet du hasard ?
Cheikh Jassem assumera un rôle de pointe
dans la mise à l’index de la Syrie, à
l’automne 2011, dans une opération de
déroutement de la révolution arabe des
rives du golfe pétro monarchique vers la
frange méditerranéenne du Monde arabe.
Le choix de la
cible n’était nullement anodin. Il
paraissait destiné à démonter la
détermination des Etats-Unis à
«caraméliser» quiconque se dresserait
contre leur projet, jusques y compris
leurs meilleurs amis, visant à faire
taire toute critique à l’égard de
l’invasion de l’Irak.
La neutralisation
d’Al Jazira, dont ils caressaient le
projet de bombarder son siège central,
figurait alors comme leur cible
prioritaire. Curieuse information qui
apparaît rétrospectivement comme un
contre feux alors que le bureau d’Al-Jazira
dans la capitale irakienne était de
nouveau la cible de dommages collatéraux
de la part de l’artillerie américaine et
que des informations persistantes
faisaient état de l’implication de la
firme Halliburton dont Dick Cheney en
était le patron avant sa nomination au
poste de vice président américain, tant
dans des versements de pots de vin au
Nigeria et que dans la surfacturation de
prestations pétrolières en Irak.
L’affaire tournera
court mais le message sera entendu. Le
ministre qatariote des Affaires
étrangères sera blanchi, promu même
premier ministre, et, dans la foulée,
l’Emir de Qatar annoncera l’éviction
pour des liens présumés avec le régime
de Saddam Hussein du Directeur Général
d’Al-Jazira, celui là même qui avait été
félicité par l’ambassadrice américaine
lors du repas du Ramadan. Simultanément,
le correspondant d’Al Jazira à Kaboul et
Bagdad, Tayssir Allouni, était traduit
en justice en Espagne pour ses présumés
liens avec «Al-Qaîda et un des
photographes de la chaîne, Sami al Hajj,
était incarcéré pendant huit ans à
Guantanamo, avant de se voir confier la
direction d’un centre pour la défense de
la liberté de la presse.
Du travail
d’orfèvrerie: Le Qatar est dédouané au
regard de l’opinion arabe, Al-Jazira
confortée dans sa crédibilité alors que
les américains obtenaient la mise sur
place d’un PC opérationnel à Doha, au
grand mécontentement de l’Arabie
saoudite, courroucée de l’irruption
soudaine de cette petite principauté
dans la «Cour des grands». Un privilège
obtenu aux prix d’une lourde servitude à
l’égard de son grand tuteur américain,
dont l’installation sur le sol de la
principauté du siège du CENT COM, le
commandement opérationnel des guerres
américaines en terre d’Islam
(Afghanistan, Irak, Yémen, Afrique
orientale), porte garantie de la
pérennité du régime, de la survie de la
dynastie et du maintien sous
souveraineté qatariote du gigantesque
gisement gazier of shore North Dome,
contigu de l’Iran.
Libye, Syrie: Un coup
fatal à la crédibilité d’Al Jazira et du
Qatar
Dans sa stratégie
d’influence, ce micro-état a jeté son
dévolu sur la France, se payant biens et
personnes, un lot de son personnel
politique. L’amitié avec Nicolas Sarkozy
a d’ailleurs permis au président
français d’éradiquer toute sensibilité
pro arabe au sein de l’administration
préfectorale et du dispositif
audiovisuel français et la promotion
concomitante de personnalités
notoirement pro israéliennes. Il en est
de même sur le plan international.
La révolte libyenne
donnera l’occasion aux deux partenaires
de se livrer à un duo diplomatique à
projection militaire, qui permettra à
Nicolas Sarkozy de se refaire une
virginité politique après le calamiteux
printemps arabe, et à l’Emir de Qatar de
se donner l‘illusion de jouer dans la
cour des grands.
La participation
conjointe de la France et du Qatar à
l’instauration d’une zone d’exclusion
aérienne au dessus de la Libye, le 19
mars, 2011, a permis au plus pro
israélien des dirigeants français de se
dédouaner aux yeux de l’opinion arabe de
son soutien aux anciens dictateurs
déchus, l’Egyptien Hosni Moubarak et le
Tunisien Zine el Abidine Ben Ali.
Le Qatar, lui, a
payé le prix fort sa participation au
châtiment de la Libye. En cautionnant le
dirigeant français de la Vème République
le plus honni du monde arabe, son crédit
en a été affecté. Son association à ces
manœuvres était en fait destinée à lui
donner satisfaction, en lui offrant
l’occasion de venger le directeur du
service photo de la chaine
transfrontière Al Jazira tué lors d’une
embuscade tendue par le clan Kadhafi à
Benghazi.
Tout au long de
cette séquence, Al-Jazira a observé une
retenue à l’égard du pays hôte, qu’elle
n’a jamais interrogé ni sur les
implications diplomatiques et
mercantiles du duo aérien franco
qatariote au dessus de la Libye, quand
bien même le Qatar a confirmé ainsi sa
vocation de base régionale de l’armée
américaine et de banque de réserve
occidentale, quand bien même il a
apporté sa caution à une opération
occidentale, soutenant partiellement son
effort de guerre en s’engageant
indirectement à trouver des ressources
financières à l’effort de guerre inter
libyen.
Saluée comme un
levier de la révolution arabe, Al Jazira
a suscité la suspicion dans sa
couverture de la suite des événements,
focalisant quasi exclusivement sur les
régimes séculiers, les Républiques
arabes, particulièrement la Syrie,
occultant le Bahreïn.
Le syndrome Ahmad
Chalabi
Réédition d’un
scénario éculé, le dispositif en vigueur
à l’encontre de la Syrie a été identique
à celui mis en place à propos de l’Irak,
justifiant une fois de plus le constat
de Pierre Bourdieu sur «la circulation
circulaire de l’information», tant au
Qatar, à travers Al Jazira, qu’en
France, via le quotidien Libération.
Ainsi Ahmad Ibrahim
Hilal, responsable de l’information sur
la chaîne transfrontière qatariote, a
agi depuis les combats de Syrie, il y a
un an, en couple et en boucle avec son
propre frère Anas Al Abda, proche du
courant islamiste syrien et membre du
CNT, au diapason du tandem parisien
formé par Basma Kodmani, porte-parole du
CNT et sa sœur Hala Kodmani, animatrice
du cellule oppositionnelle syrienne à
Paris et chargée de la chronique Syrie
au quotidien français Libération dans
une fâcheuse confusion des genres.
Ce dispositif,
amplifié en France au niveau arabophone
par Radio Orient, la radio du chef de
l’opposition libanaise, Saad Hariri, qui
plus est partie prenante du conflit de
Syrie – du jamais vu dans les annales de
la communication internationale- a
frappé de caducité le discours
médiatique occidental au même titre que
le discours officiel syrien, en ce qu’il
est obéré par «le syndrome Ahmad Chalabi»
du nom de ce transfuge irakien qui avait
alimenté la presse américaine des
informations fallacieuses sur l’arsenal
irakien, via sa nièce journaliste en
poste dans l’une des principautés du
golfe, implosant la crédibilité de
l’employeur de la journaliste vedette du
New York Times, Judith Miller, passée à
la postérité comme étant «l’arme de
destruction massive de la crédibilité du
New York Times dans la guerre d’Irak».
Sous l’apparence de
l’indépendance et du professionnalisme,
Al Jazira a épousé les oscillations de
la diplomatie qatariote, d’abord
enthousiaste à l’égard de l’élan
populaire arabe, plus réservée lorsque
les flammes de la contestation ont
atteint les rivages pétro monarchiques.
Al Jazira s’est
ainsi révélée fidèle à la discrétion
qu’elle avait observée auparavant à
propos de la présence sur son sol de la
mission commerciale israélienne. Pis,
elle occultera complètement le fait
significatif de la duplicité du Qatar,
le manège diplomatique de Nicolas
Sarkozy, le 5 Mai 2011, d’une rencontre
secrète à l’Elysée entre le premier
ministre israélien Benyamin Netanyahou
et son homologue du Qatar, dans la
foulée d’un entretien direct de Nicolas
Sarkozy avec son ami israélien.
L’honneur est sauf, pensait-elle, au
prix de quelques aménagements avec la
liberté d’expression.
A l’intention de la
direction d’Al Jazira sur la visite
secrète de l’Emir du Qatar en Israël
pour un complément d‘information de ses
téléspectateurs :
http://www.youtube.com/watch?v=nleBzEyzoV8
Signe d’un désaveu,
sa couverture parcellaire du soulèvement
arabe provoquera une cascade de
démission au sein de sa chaîne, du
jamais vu dans les annales de la
communication internationale, dont
certaines des figures emblématiques d’
Al Jazira, notamment Ghassane Ben Jeddo,
le populaire directeur du bureau de
Beyrouth, la syrienne Lona Al Chebl, le
libanais Sami Kleib, auparavant, quatre
présentatrices vedettes de la station
dont Joummana Nammour, et dernier et non
le moindre, la présentatrice vedette de
la chaîne, Imane Ayyad, qui claquera la
porte dénonçant le rôle trouble de sa
chaine «fauteur de troubles et de
désordre» dans le Monde arabe (2).
En service
commandé, le directeur de l’Information,
Waddah Khanfar, un islamiste gendre par
alliance de l’ancien premier ministre
jordanien Wasfi Tall, le bourreau des
Palestiniens lors du septembre noir
d’Amman en 1970, sera remercié, fusible
d’un «sale» boulot (3). Et le
prédicateur Youssef Qaradawi, la caution
jurisprudentielle des équipées
atlantistes en terre arabe, interdit de
séjour en France, dommage collatéral de
l’affaire Mohamad Merah, le tueur fou de
Toulouse et de Montauban, en mars 2012,
en pleine campagne présidentielle
française.
Dans la brèche
ouverte de sa crédibilité se sont
engouffrés trois nouveaux vecteurs aux
ambitions redoutables: «Sky Arabia»,
dont le lancement est prévue, en mars
2012 , à Abou Dhabi, avec la
collaboration de la chaine britannique
Sky GB du magnat australien Ruppert
Murdoch, «Al Arab» du prince Walid Ben
Talal, depuis Manama en collaboration
avec la firme Bloomberg, ainsi que la
chaîne «Al Mayadine» de Ghassane Ben
Jeddo, l’ancien d’Al Jazira.
Au vu de ce
déferlement, le golfe pétrolier paraît
devrait être le théâtre tant d’une
guerre médiatique que psychologique.
Mais, si dans les pays occidentaux, les
grands groupes de communication sont
adossés à des conglomérats dépendant,
dans une large mesure des commandes de
l’Etat, les vecteurs transnationaux
arabes sont, eux, carrément adossés à
des bases militaires occidentales.
A l’exception d’
«Al Mayadine», la chaîne du dissident
d’Al Jazira, Ghassane Ben Jeddo, qui «se
refuse à être le porte voix de sinistres
dirigeants corrompus, partisans
d’intervention étrangère contre leur
propre pays, ni le soufflet de
l’incitation à la haine
confessionnelle», toutes les chaînes
transfrontières du Golfe sont, en effet,
adossées à des bases occidentales: Al
Jazira du Qatar au Centcom, le
commandement central américain, Sky
Arabyia d’Abou Dhabi, à la base
aéronavale française, «Al Arab» du
prince saoudien Walid à la base navale
de Manama, quartier général de la V me
flotte américaine de l’Océan indien……..
une singularité des pétromonarchies…
sans doute la marque de leur
indépendance.
«Islam des lumières
versus Islam des ténèbres» dans ses
diverses variantes est la ritournelle
favorite du Qatar pour masquer son
engagement. «La culture de la vie versus
la culture de la mort», «l’axe de la
modération contre l’axe de
l’intolérance», dans la même veine, se
révéleront, en fin de compte, comme
autant de déclinaisons d’une même face,
celle qui exalte la logique de la
vassalité à l’ordre israélo américain,
face à la contestation de la logique de
la soumission.
Un enfumage
conceptuel en ce que «l’Islam des
lumières» cautionnait le vicieux
protocole de validation d’un islam
domestiqué à l’ordre israélo américain.
Arbre qui cache la forêt de la sujétion
à l’ordre occidental, Al-Jazira apparaît
quinze ans ans après son lancement comme
l’alibi stratégique suprême de la
dynastie Al Thani face à la mainmise
américaine sur la souveraineté du Qatar
et sur les sources de ses revenus, deux
éléments qui hypothèquent lourdement et
durablement l’Indépendance d’un pays
faussement présenté comme
non-conformiste, mais qui remplit
toutefois pleinement sa mission de
soupape de sûreté au bellicisme
américain à l’encontre du monde arabe et
musulman.
Promu désormais à la fonction de
«lanceur d’alerte» de la stratégie anti
arabe des pays occidentaux, Al Jazira a
ainsi sinistré, en l’espace d’un
semestre, sa propre réputation
patiemment bâtie pendant quinze ans, et,
sabordé, du même coup, son monopole des
ondes panarabes. Par «le fait du prince»
et le fait de son maître.
Références
1-Le noyau originel
de l’équipe d’Al-Jazira a été constitué
par des vétérans du service arabe de la
BBC TV réduit au chômage du fait d’une
rupture de contrat saoudien avec la
chaîne saoudienne orbit partenaire de la
chaîne arabophone anglaise. Faisant une
sérieuse entorse à sa politique générale
d’information, BBC a cédé à une cour
assidue de M. Khaled Ben Mohamad Ben
Abdel Rahman, patron du Holding al-Mawarid.
Elle s’est associée avec ce proche
parent du Roi Fahd pour lancer la
première chaîne de télévision
d’information continue en langue arabe
avec le label de la chaîne britannique
et les moyens de diffusion de la firme
saoudienne «Orbit». L’idylle, de courte
durée, 18 mois, se brisera sur le fracas
des récriminations réciproques entre
deux conceptions monarchiques
apparemment inconciliables.
Les Saoudiens ont
d’abord imposé un prix prohibitif du
décodeur de l’ordre du dix mille
dollars, instaurant une sorte de censure
par l’argent, puis prenant ombrage de
l’hospitalité accordée par BBC TV à
l’opposant saoudien en exil à Londres,
Mohamad al-Massari, un physicien très
populaire dans sa région d’origine, la
région pétrolière de Dammam, ont abrogé
le contrat, mettant sur le tapis près de
deux cents employés arabophones.
En guise d’épilogue à ce psychodrame
d’une alliance contre nature, l’opposant
saoudien sera finalement exilé vers les
Bahamas, le Royaume Uni perdra dans la
foulée un contrat militaire de plusieurs
milliards de livres sterling et la firme
Orbit conduite à payer une pénalité de
l’ordre de cent millions de dollars pour
rupture abusive du contrat.
2- Pour le lecteur
arabophone, ci-joint le lien sur les
manipulations d’Al Jazira à propos de la
couverture des évènements de Syrie.
http://www.al-akhbar.com/node/44875
Ainsi que la protestation du
correspondant de la chaîne au Japon, le
syrien Fadi Salameh, déplorant le
recours quasi systématique aux
correspondances de l’opposition syrienne
dans la couverture des événements dont
les approximations et les intoxications
ont entrainé de graves erreurs
d’appréciation et surtout l’assassinat
de plusieurs membres de de son village
http://www.al-akhbar.com/node/61099
3- Waddah Khanfar,
Natif de Djénine a épouse la nièce de
Wasfi Tall, l’ancien premier ministre
jordanien surnommé le «boucher d’Amman»
pour sa répression des Palestiniens lors
du septembre noir jordanien (1970).
Deux reproches ont
pesé sur gestion de huit ans à la tête
d’Al Jazira (2003-2011): sa volonté
d’imposer un code vestimentaire ultra
strict aux présentatrices de la chaine,
en conformité avec l’orthodoxie
musulmane la plus rigoureuse (ce qui a
entrainé la démission de quatre
journalistes femmes), ainsi que sa
publication des documents confidentiels
sur les pourparlers israélo palestiniens
«The Palestine Paper», discréditant les
négociateurs palestiniens ; ce qui a
conduit le chef des négociateurs
palestiniens, Saeb Oureikate, à réclamer
sa démission ; de même que l’Arabie
saoudite effrayée par la crainte que la
large couverture des soulèvements arabes
par la chaîne du Qatar n’ait des
répercussions sur la stabilité des petro
monarchies.
Ancien journaliste
de la chaine gouvernementale américaine
«Voice of America» a été propulsé à la
direction de la chaîne Al Jazira par son
ami libyen, Mohammad Jibril, qui
appartenait au même courant islamiste
que le palestinien. Propriétaire de
JTrack, entreprise de média training
chargée de former les dirigeants du
Monde arabe et d’Asie du sud à la
maitrise du langage médiatique, Mohamad
Jibril a exercé des responsabilités
gouvernementales au sein du Conseil
National de transition libyen, lors de
l’intervention atlantiste ayant entrainé
la chute de Kadhafi.
© René Naba
Reçu de René Naba pour publication
Le sommaire de René Naba
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