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Analyse
Gaza: L'effet
boomerang
René Naba
Paris, le 12 février 2009 Effet de boomerang d’une rare
violence, l’ordonnateur de la destruction de Gaza, Ehud Barak,
n’a pas perçu les dividendes électoraux du bain de sang
anti-palestinien et le caporal israélien Gilad Shalit demeure en
captivité, prisonnier du Hamas, le mouvement islamiste
palestinien, celui-là même que le ministre israélien de la
Défense projetait de détruire en même temps que l’enclave
palestinienne.
Le concepteur de l’opération «plomb durci», a été sévèrement
battu aux élections israéliennes le 10 février et le parti
travailliste, présumé socialiste, relégué au bas de l’échiquier
politique, en 4ème position des partis derrière même le parti de
l’extrême droite xénophobe Avigor Liebermann.
Sa collègue des affaires étrangères, Tzipi Livni est bien
arrivée très légèrement en tête de la consultation, selon les
dernières estimations, mais son parti Kadima, présumé centriste,
est battu en termes de voix de droite La coalition que
l’ancienne agent du Mossad serait chargée de mettre sur pied
pourrait ainsi se révéler problématique. Aucun centre de
prospective, si perspicace soit-il, aucun médium, si prescient
fut-il, nul oracle n’avait prévu pareil lugubre épilogue à deux
ans d’une sanglante épreuve de force qui s’est soldée dans sa
phase finale par une boucherie accablante, moralement, pour
l’Etat Hébreu.
Enjeu emblématique de l’expédition punitive de Gaza (décembre
2008-janvier 2009), Gilad Shalit, a été capturé en juin 2006
alors qu’il était en opération de guerre dans un territoire
considéré occupé par le Droit international. Sa libération au
besoin par la force constituait l’objectif souterrain de
l’offensive israélienne, le vœu secret des dirigeants israéliens
qui se proposaient d’en faire leur trophée de guerre, prélude au
triomphe électoral et au sacre politique. Mille trois cents
(1300) personnes ont payé de leur vie cette fixation belliciste
et près de cinq mille blessées, en majorité des femmes et des
enfants, sans pour autant que les israéliens ne parviennent à
satisfaire leurs ambitions, ni à faire fléchir le Hamas.
Le cinglant camouflet infligé ainsi à l’establishment
politique et militaire israélien a résonné comme une
retentissante victoire psychologique du mouvement islamiste
palestinien, le propulsant au firmament de la popularité à
l’égal du mythique lanceur de chaussures irakien anti-Bush,
Montazer al-Zaïdy, ou du Hezbollah libanais. Le KO technique est
incontestable. Rien, ni personne, nulle logomachie si abondante
soit-elle, aucune construction intellectuelle si torsadée
soit-elle, ne saurait travestir cette réalité: Gilad Shalit est
toujours prisonnier de guerre du Hamas, prisonnier de guerre et
non «otage» comme ont tendu à vouloir le présenter le
«bonimenteur» Marek Halter et sa cohorte d’intellectuels
falsificateurs affidés au judaïsme institutionnel français.
I- Marek Halter, le bonimenteur (1)
Mettant à profit l’émotion soulevée par la libération
d’Ingrid Betancourt, le 3 juillet 2008, Marek Halter s’est
lancé, sans vergogne, dans une opération de mystification de
l’opinion publique française en réclamant, depuis la tribune
officielle aménagée place du Trocadéro à Paris pour l’accueil de
l’ancienne otage franco-colombienne, le lancement de «la phase
II de libération du dernier otage au monde, Gilad Shalit».
Gilad Shalit est un cas exemplaire de la confusion mentale,
politique et juridique dans laquelle baigne une frange des bi
nationaux franco-israéliens et leurs nombreux et bruyants
partisans. Servant dans une armée d’occupation, il est présenté,
contre toute vraisemblance, comme un «otage». Pis, sa famille
invoque la nationalité française de ce militaire israélien pour
solliciter la protection diplomatique de la France, laquelle,
toute honte bue, réclame sa libération, non à l’Egypte, pays
avec lequel elle co-préside pourtant «l’Union pour la
Méditerranée», l’Egypte, l’intercesseur naturel entre Israéliens
et Palestiniens, de surcroît mandaté officiellement par la Ligue
arabe pour négocier la réconciliation inter palestinienne, non à
l’Egypte, mais à la Syrie, omettant de réclamer à Israël, d’une
manière concomitante, la remise en liberté du bi national franco
palestinien Salah Hammouri, un civil résidant en France, lui,
incarcéré arbitrairement par les Israéliens, omettant de brider
la colonisation rampante de la Palestine, le principal foyer du
brasier.
La protection diplomatique de la France s’accorde en principe
uniformément à tous les citoyens français indépendamment de
leurs croyances religieuses ou de leurs origines ethniques. Une
telle disparité de comportement augure-t-elle d’une novation du
principe républicain de l’égalité citoyenne, ou, au contraire,
suggère-t-elle la mise en œuvre d’une hiérarchie au sein de la
nationalité française en fonction des croyances religieuses du
ressortissant ou de la puissance du lobby de son pays d’origine?
Le cas Shalit renvoie, en tout cas, à un précédent matérialisé
par la nomination d’un réserviste de l’armée israélienne, Arno
Klarsfeld, au poste de conseiller du ministre de l’intérieur de
l’époque, Nicolas Sarkozy, en pleine campagne présidentielle
française, en pleine guerre d’Israël contre le Liban, en juillet
2006. Au point que se pose la question de savoir si le recours à
des réservistes de l’armée israélienne sanctionne-t-il la
carence des compétences françaises ou si le service militaire
dans l'armée israélienne constitue-t-il désormais un passage
obligé à des promotions politico administratives en France, sans
que cette nomination, à relent démagogiquement électoraliste,
n’ait suscité la moindre interpellation ni au sein de la classe
politique ni au sein de la corporation journalistique.
Israël chercherait désormais à compenser sa déroute morale en
faisant droit implicitement aux exigences du Hamas, au motif que
le mouvement palestinien, désormais affaibli, ne saurait
profiter d’une libération de prisonniers palestiniens qu’il
réclame en échange de Gilad Shalit. Il subordonnerait toutefois
la levée du blocus de Gaza à la remise en liberté du prisonnier
israélien, mais le Hamas ne l’entend pas de cette oreille, qui
considère que Gilad Shalit, prisonnier de guerre, devrait être
échanger contre plusieurs centaines de prisonniers palestiniens
détenus arbitrairement. Le Hamas maintient sa revendication
intacte. Le vœu secret du mouvement islamique est qu’il
obtienne, dans cette transaction, la libération de ses députés
membres au parlement palestinien, capturés en toute illégalité
par Israël, voire même des responsables politiques tels Marwane
Barghouti (Fatah) et Ahmad Saadate (FPLP), les plus
emblématiques prisonniers palestiniens, eux aussi arbitrairement
emprisonnés par les Israéliens. Israël pourrait être conduit à
satisfaire certaines de ses revendications pour atténuer quelque
peu l’horrible image de sa prestation de Gaza. Un tel scénario,
s’il venait à se produire, constituerait l’apothéose du Hamas et
le cauchemar d’Israël à l’effet de pulvériser l’autorité du
président palestinien Mahmoud Abbas tant sur la Cisjordanie que
sur le Fatah, l’organisation mère de la résistance
palestinienne.
L’histoire récente le montre: illustration d’une politique
erratique ou volonté de discréditer la seule autorité légale
palestinienne internationalement reconnue, en vue de vider de sa
substance la représentativité palestinienne, Israël n’a jamais
fait le moindre geste à Mahmoud Abbas, malgré les nombreuses
accolades du président de l’autorité palestinienne au premier
ministre intérimaire, Ehud Olmert, réservant les substantiels
échanges de prisonniers à ses adversaires les plus résolus, le
Hezbollah libanais, libérateur du druze libanais Samir Qantar,
le doyen des prisonniers arabes et le Hamas palestinien. Ce fait
semble avoir échappé à la perspicacité de la cohorte cultureuse
du parisianisme calfeutré, toute obnubilée par sa célébration
quotidienne du génie politique et de l’audace militaire de
l’establishment israélien, sans prendre conscience de l’érosion
de l’image d’Israël.
II- Soumoud, l’enracinement et l’endurance de «la
Palestine, une nation en morceaux» (2)
La force du Hamas, et au delà, de l’ensemble du peuple
palestinien, malgré ses divisions, en dépit du traumatisme que
représente la spoliation de son identité nationale, réside en un
mot: Soumoud, un borborygme barbare pour les non–arabisants, qui
résume à lui seul le long calvaire palestinien et le combat de
ce peuple vers la liberté et la dignité. Notion de synthèse
faite d’enracinement à la terre, de résistivité, de privation et
d’endurance face à l’occupation israélienne, un témoin de
premier plan en fait la description clinique, démontrant les
multiples aspects de ce Soumoud, dans un ouvrage qui constitue
une compilation de ses chroniques quotidiennes sur le terrain
même des épreuves palestiniennes. Correspondant du journal Le
Monde à Ramallah, en poste depuis six ans en Cisjordanie, en
Palestine occupée, Benjamin Barthe, prix Albert Londres 2008,
est un parfait contre exemple des bonimenteurs et
falsificateurs.
En observateur avisé d’une période cruciale qui va de 2002 à
2008, c'est-à-dire de la deuxième Intifada à l’échec du
processus de paix, il analyse les ressorts profonds de
l’irrésistible ascension du Hamas, la nouvelle bête noire de
l’Occident, à la lumière de l’asphyxie de Gaza et du
démantèlement de la Cisjordanie. Cette «Palestine, une nation en
morceaux » (1), c’est le titre de son ouvrage, est cimentée par
un seul mot d’ordre, soutient-il, Soumoud, un impératif qui
maintient vivante l’identité palestinienne. L’impératif d’un
peuple et d’«un pays sans frontières, ni état aux racines
profondes, à l’histoire récente». Une notion dont devrait se
pénétrer tous les consuméristes de la société d’abondance, les
transfuges de gauche d’André Glucksman, nullement incommodé par
la disproportion de l’offensive, à Alexandre Adler,
ultrasensible envers les victimes israéliennes mais inerte pour
les Palestiniens, sans doute moins humain que ses
coreligionnaires, en passant par le sophiste Bernard Henry Lévy,
le chantre de la libération du peuple palestinien par l’armée
d’occupation israélienne.
Le temps historique n’est pas réductible au temps médiatique.
Israël, durant le premier demi-siècle de son indépendance
(1948-2000), a été victorieux dans toutes les guerres qui l’ont
opposé aux armées conventionnelles arabes, mais la tendance
s’est inversée depuis le début du XXI me siècle, avec la mise en
oeuvre de la stratégie de la guerre asymétrique. Toutes ses
confrontations militaires avec ses adversaires arabes se sont
depuis lors soldées par des revers militaires, que cela soit au
Liban, en 2006, contre le Hezbollah chiite libanais, ou en 2008,
à Gaza, en Palestine, contre le Hamas sunnite palestinien.
Longtemps sous la coupe des états arabes, les Palestiniens
ont livré dans leur ghetto de Gaza, en décembre 2008, leur
première guerre indépendante de toute tutelle. Désastreux sur le
plan humain pour les Palestiniens, ce combat solitaire et
solidaire de toutes les formations de la guérilla, y compris le
Fatah de Mahmoud Abbas, et les formations marxistes, a néanmoins
suscité un regain de sympathie internationale envers la
revendication nationale palestinienne et placé sur la défensive
les gouvernements arabes. Désastreuse pour les Israéliens, sur
le plan moral, l’expédition punitive israélienne continuera de
produire ses effets corrosifs aussi longtemps que les pays
occidentaux feront l’impasse sur les violations israéliennes au
prétexte d’assurer «la sécurité d’Israël» et de le ravitailler
en armes, sans prendre en compte l’insécurité que son bellicisme
débridé génère à son environnement, ni brider la colonisation
rampante de la Palestine, aussi longtemps qu’ils continueront de
témoigner de leur mansuétude à l’égard de leur gendarme
régional, générateur en chef du Hamas par quarante ans
d’occupation illégale et abusive de la bande de Gaza,
anciennement sous souveraineté égyptienne.
Le Liban et la Palestine ne sauraient avoir pour vocation
servir de défouloir aux enjeux électoraux des dirigeants
israéliens, Shimon Pérez, en 1996, à Cana, et Ehud Barak à Gaza,
en 2008. L’opération «raisins de la colère» a précipité dans la
débâcle le chef du parti travailliste d’alors, le «Prix Nobel de
la Paix, Shimon Pérez, à la suite du bombardement d’un site des
«Casques Bleus» de l’Onu dans cette localité du sud Liban, le 18
avril 1996, et le massacre de 102 enfants qui s’y étaient
réfugiés. L’opération «plomb durci» a été, elle, fatale à son
successeur Ehud Barak, à la suite du bombardement d’une école de
l’UNRWA, l’office des Nations unies pour le secours aux réfugiés
palestiniens, en janvier 2009, à Gaza.
«L’unique démocratie du Moyen orient» apparaît
progressivement au regard des couches de plus en plus large de
l’opinion mondiale comme «l’état voyou N° 1» de la scène
internationale, au point que des pays européens, habituellement
favorables à Israël, ont bravé un tabou, en actionnant en
justice des dirigeants israéliens pour «crimes de guerre». Cela
a été le cas de la Belgique, en l’an 2.000, contre Ariel Sharon,
ministre de la Défense à l’époque des faits, pour les massacres
des camps palestiniens de Sabra Chatila (Beyrouth 1982). Cela
est aujourd’hui le cas en Espagne pour Benyamin Ben Eliezer, son
successeur au ministère de la Défense, poursuivi pour «crimes
contre l’humanité» pour un massacre de Palestiniens à Gaza, dix
ans plu tard, en 2002
Certes Gaza a été détruite, comme auparavant les chefs
historiques du Hamas, Cheikh Ahmad Yacine et Abdel Aziz Rantissi
avaient été éliminés par voie «extra judiciaire», à un mois
d’intervalles, en mars et avril 2004, mais l’ordonnateur de leur
mise à mort et des massacres des camps palestiniens de Sabra
Chatila, dans la banlieue sud-ouest de Beyrouth, en septembre
1982, Ariel Sharon, s’est retrouvé, lui, plongé dans un état
végétatif neuf mois après son forfait, transformé en un
«mort-vivant» dont plus personne ne se soucie, dont aucune
personnalité internationale en visite en Israël ne fait le
détour pour s’enquérir de son état de santé, complètement
«zappé» des écrans de la vie. Mais le Hamas a survécu à Ariel
Sharon, à son successeur Ehud Olmert, au tandem ultra faucon
Ehud Barak (Défense) Tzipi Livni (Affaires étrangères), à leur
parrain collectif George Bush. Gilad Shalit est la victime de
son propre camp, du zèle de ses rhéteurs impénitents, qui à
l’abri du risque, instrumentalisent la communautarisation de la
vie publique française, gage de leur survie et de leur magistère
médiatique. Pour que son incarcération soit abrégée, celle de
Marwane Barghouti doit l’être aussi.
Gageons qu’au sein de l’intelligentsia française, si propice
à tous les emballements, nombreux vont désormais réclamer la
libération de l’«otage» Barghouti pour faciliter la libération
de leur «otage» Shalit, œuvrer afin que les pathologies
contractées en Europe ne soient transposées en terre d’Orient,
inciter ainsi Israël à prôner la lucidité et non la cécité, la
coexistence non l’enfermement, la convivialité non l’emmurement,
en un mot prévenir la transformation d’Israël en ghetto et la
Palestine en bantoustan.
Le prix fort que devra payer Israël pour la libération de
Gilad Shalit a été rendu plus coûteux du fait des «boniments» de
Marek Halter, un homme dont «la stricte vérité n’est pas le
souci premier», qui affirme «avoir fui par les égouts le ghetto
de Varsovie», conduisant «rescapés et historiens à s’insurger»
contre ce fait: «la confection des témoignages inventés de
toutes pièces, (de surcroît mal inventés car ils ne
correspondent pas à la réalité des événements) empoisonne aussi
bien l’image du passé que les recherches concernant ce passé»,
tranchera avec dédain Michel Borwicz, un historien juif
polonais, dans une condamnation sans appel des procédés de Marek
Halter (2).
La falsification des faits historiques relève du
révisionnisme, un fait sévèrement sanctionné en France. Il
serait déplorable que ceux qui en ont été les victimes y
succombent à leur tour (3). Cela vaut pour l’affaire Gilad
Shalit, comme pour l’ensemble du récit palestinien
Notes:
1- "Marek Halter, le bonimenteur" par Piotr
Smolar, Revue XXI (Editions les Arènes), 4me trimestre 2008
2- "Palestine, une nation en morceaux" par Benjamin Barthe -
Editions du Cygne, Janvier 2009.
3- Selon l’organisation pacifiste israélienne «La paix
maintenant», le nombre des colonies a augmenté de 57% en 2008
par rapport à 2007, 61 pour cent des colonies ont été édifiées
dans le périmètre de la «barrière de sécurité » et 39 pour cent
à l’extérieur. Le nombre des colons est passé de 270.000 en 2007
à 285.000 en 2008, soit une augmentation de 15.000 colons en un
an. Ce chiffre ne tient pas compte des colonies à la périphérie
de Jérusalem qui comptent 200.000 habitants. Cf. «George
Mitchell veut consolider la trêve à Gaza», de Michel Bôle-Richard,
le Monde du 29 janvier 2009
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Publié le 13 février 2009 avec l'aimable autorisation de René Naba.
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