Opinion
Egypte: Le rêve
fracassé du Califat
René
Naba
Jeudi 11 juillet 2013
Paris – Un an de
pouvoir a fracassé le rêve longtemps
caressé d’un 4eme Califat, qui aurait eu
pour siège l’Egypte, le berceau des
«Frères Musulmans», devenue de par
l’éviction brutale du premier président
membre de la confrérie, la tombe de
l’islamisme politique.
Le Califat est une
supercherie lorsque l’on songe à toutes
les bases occidentales disséminées dans
les monarchies arabes, faisant du Monde
arabe la plus importante concentration
militaire atlantiste hors des Etats
unis.
Dans un contexte de
soumission à l’ordre hégémonique
israélo-américain, le combat contre la
présence militaire atlantiste paraît
prioritaire à l’instauration d’un
califat. Et le califat dans sa version
moderne devrait prendre la forme d’une
vaste confédération des pays de la ligue
arabe avec en additif l’Iran et la
Turquie soit 500 millions de personnes,
des réserves énergétiques bon marché,
une main d’oeuvre abondante. En un mot
un seuil critique à l’effet de peser sur
les relations internationales. Faute
d’un tel projet, en présence des bases
de l’Otan, le projet de restauration du
califat relève d’une supercherie et d’un
trafic de religions.
I. L’implosion de
Morsi
L’Egypte, épicentre
du Monde arabe, est diverse. Le premier
président néo islamiste démocratiquement
élu aurait dû se pénétrer de cette
réalité plutôt que de mener une
politique sur une base sectaire. Les
Frères Musulmans n’ont pas su mettre à
profit leur holdup up sur le pouvoir en
proposant un projet de dépassement des
clivages antérieurs en ce que Morsi
n’aurait jamais dû oublier le conflit de
légitimité historique qui oppose l’armée
aux Frères Musulmans depuis Nasser
(1952). Morsi paie aujourd’hui le prix
de sa tardive adaptation au principe de
réalité et des rapports de force.
Le déclic populaire
contestataire a été le fait des franges
de la société informelle arabe, les
Frères Musulmans l’ont subverti du fait
de leur discipline et de leurs
considérables moyens financiers. Ils
devaient tenir compte de la diversité de
la population égyptienne et non
d’imposer à une population frondeuse une
conception rigoriste de la religion.
Ployant sous le fardeau de l’inflation
et de la pénurie, sans perspective
d’avenir, sans la moindre percée
politique, à la remorque de la
diplomatie islamo atlantiste, dans la
crainte de la menace de strangulation
que fait peser sur l’Egypte le projet de
percement d’un canal rival israélien au
Canal de Suez, le Canal Ben Gourion, le
peuple égyptien, pour la deuxième fois
en trois ans, déjouant tous les
pronostics, particulièrement les
universitaires cathodiques, a créé la
surprise, dégommant des palais nationaux
ce président néo islamiste. Avec le
consentement et le soutien actif de
l’armée et surtout des plus hautes
autorités religieuses musulmanes et
chrétiennes du pays.
L’Egypte est
diverse: Il y a deux siècles sous les
Fatimides, elle était chiite. Les
Coptes, des arabes chrétiens, est une
population consubstantielle à l’Histoire
du pays. L’Histoire tout comme la
population s’est constituée par
sédimentation. Si de nos jours, la très
grande majorité de la population est
musulmane sunnite, cela ne suffit pas à
faire une politique. Une politique
sunnite n’existe pas en elle-même. Elle
se fait en fonction du legs national. Il
serait insultant au génie de ce peuple
de le réduire à une expression basique
d‘un islam rigoriste.
L’Egypte, c’est le
pays de Nasser, d’Oum Kalsoum, mais
aussi de Cheikh Imam et de Ahmad Fouad
Najm, d’ Ala’a Al Aswani, des
personnalités contestataires. Plutôt que
de promouvoir une politique de concorde
nationale, Mohamad Morsi a pratiqué une
politique revancharde. N’est pas Mandela
qui veut. Il n’était pas pourtant
sorcier de comprendre que seule une
politique de rassemblement et non de
division avait une chance de réussir.
Au risque de
déplaire, les tombeurs de Morsi sont
d’abord l’Arabie saoudite et les Etats
Unis, les deux éléments qui lui ont
servi de béquille pendant un
demi-siècle. Les manifestations ont
servi de prétexte. Les parrains
historiques des Frères Musulmans ont
remercié Morsi car il ne répondait plus
à leurs attentes. Sa chute est
intervenue dix jours après la
destitution de l’Emir du Qatar. L’Arabie
ne pouvait tolérer deux théocraties sur
son flanc nord l’Iran, un réformiste
démocratiquement élu, mais chiite,
et sur son flanc sud en Egypte, un
islamiste démocratiquement élu mais plus
grave sunnite; la négation de tout le
dispositif la dynastie wahhabite fondé
sur l’hérédité et la loi de la
primogéniture.
L’Arabie saoudite
qui a financé la construction d ‘un
barrage de retenue d’eau en Ethiopie,
privant l’Egypte d’une substantielle
quantité d’eau du Nil nécessaire à son
irrigation. L’Arabie saoudite, un pays
arabe, musulman et rigoriste tout comme
les frères Musulmans. La déstabilisation
de Mohamad Morsi par l’Arabie saoudite
est la preuve éclatante qu’il ne saurait
y avoir une politique sunnite en soi.
Regarder la Turquie, l’allié stratégique
d’Israël. Reccep Teyyeb Erdogan, le néo
ottoman, devrait d’ailleurs avoir du
souci à se faire en ce que son équation
est similaire à celle de Mohamad Morsi,
de même que Rached Ghannouchi: On
ne peut, en effet, réclamer la
criminalisation de la normalisation avec
Israël et se fourrer dans les jupons de
l’AIPACC. La démagogie ne paie plus.
Soixante ans d’opposition démagogique
ont trouvé leur conclusion dans le
pitoyable épilogue de la mandature Morsi.
Luxe de raffinement ou de perfidie, sans
doute pour bien marteler le message, les
protestataires ont mobilisé près de
vingt millions de manifestants, soit le
nombre d’électeurs que Morsi avait
recueilli lors de son élection
présidentielle.
II- Le déni de
réalité, danger mortel des Frères
Musulmans
Plutôt de
s’enfermer dans un déni de réalité,
Mohamad Morsi et les Frères musulmans
devraient se livrer à une sévère
introspection de leur prestation
politique et admettre, enfin, qu’un
mouvement qui se veut un mouvement de
libération ne saurait être un allié des
occidentaux, les protecteurs d’Israël en
ce qu’il s’agit d’un positionnement
antinomique.
De la même manière,
autre vérité d’évidence, que l’on ne
saurait solliciter en permanence l’aide
d‘une grande puissance sans en payer le
prix un jour. Et que d’une manière
générale Morsi retiendra sans doute la
leçon de savoir que quand les
Occidentaux accordent leur satisfecit à
un individu, c’est que cette personne a
certainement commis une certain de
reniement de soi. Kadhafi a été couvert
d’éloges lorsqu’il a révélé aux
occidentaux tout un pan de la
coopération clandestine nucléaire inter
arabe, avant de le dégager sans
ménagement.
Au pouvoir, les
Frères Musulmans auraient dû prendre en
compte des profondes aspirations d’un
peuple frondeur et tombeur de la
dictature, de même que les impératifs de
puissance que commande la restauration
de la position de l’Egypte dans le Monde
arabe. Faire preuve d’innovation, par le
dépassement du conflit idéologique qui
divise le pays depuis la chute de la
monarchie, en 1952, en une sorte de
synthèse qui passe par la réconciliation
de l’Islam avec le socialisme. Cesser
d’apparaitre comme la roue dentée de la
diplomatie atlantiste dans le Monde
arabe, en assumant l’héritage nassérien
avec la tradition millénaire égyptienne,
débarrassant la confrérie de ses deux
béquilles traditionnelles ayant entravé
sa visibilité et sa crédibilité, la
béquille financière des pétromonarchies
rétrogrades et la béquille américaine de
l’ultralibéralisme.
Sous la direction
de la confrérie, l’Egypte aurait dû,
enfin, prendre en outre l’initiative
historique de la réconciliation avec
l’Iran, le chef de file de la branche
rivale chiite de l’Islam à l’effet de
purger le non-dit d’un conflit de quinze
siècle résultant de l’élimination
physique des deux petits-fils du
prophète, Al-Hassan et Al-Hussein, acte
sacrilège absolu fruit sinon d’un
dogmatisme, à tout le moins d’une
rigidité formaliste.
L’Egypte fait face
à de manœuvres d’asphyxie (retenue
d’eau du Nil en Ethiopie, Canal Ben
Gourion, concurrentiel du canal de
Suez), Morsi aurait dû jouer de l’effet
de surprise, en retournant la situation
en sa faveur en levant le blocus de
Gaza, un accord que l’Egypte n’a même
pas ratifié et surtout normaliser avec
l’Iran en vue de prendre en tenaille
tant Israël que l’Arabie saoudite,
c’est-à-dire les deux des grandes
théocraties du monde
Sur fond de
concurrence avec la mouvance rivale
salafiste, cette épreuve a été
infiniment plus redoutable que près de
soixante ans d’opposition déclamatoire
souvent à connotation sinon démagogique
à tout le moins populiste. Les Frères
Musulmans seraient donc avisés de se
livrer à une sérieuse étude critique de
la mandature Morsi, avant de se lancer
dans une nouvelle aventure dont toute
l’Egypte sera perdante ? Pour le plus
grand bénéfice d’Israël et de l’Islam
wahhabite saoudien
Malsain de tout
rejeter sur les manigances occidentales.
Si les occidentaux ont leur plan, il
importe aux Arabes de ne pas se lancer
tête baissée devant tout chiffon rouge
agité devant eux. Songez à l’impasse du
Hamas, qui a déserté la Syrie, par
solidarité sectaire avec le djihadisme
erratique, expulsé du Qatar où il avait
trouvé refuge avant de perdre son fief
égyptien, à la merci d’un coup de bambou
israélien.
Prochaine
parution «L’Islam, otage du wahhabisme,
l’Arabie saoudite, un royaume des
ténèbres» Golias septembre 2013
Pour aller plus
loin sur ce sujet
La rivalité entre
l’armée et les Frères musulmans et les
relations entre la confrérie et les
Etats Unis d’Amérique
Les Frères
musulmans à l’épreuve du pouvoir
http://www.renenaba.com/les-freres-musulmans-egyptiens-a-lepreuve-de-la-revolution
http://www.renenaba.com/les-freres-musulmans-egyptiens-a-lepreuve-de-la-revolution-2
http://www.renenaba.com/les-freres-musulmans-egyptiens-a-lepreuve-de-la-revolution-3
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