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Analyse
Yasser Arafat,
Mister Palestine for ever
René Naba
Paris, 7 novembre 2009
Rien, absolument rien, ne sera épargné à celui que l’on a
surnommé parfois, à juste titre, « le plus célèbre rescapé
politique de l’époque contemporaine », et ce prix Nobel de la
Paix, un des rares arabes à se voir attribuer un tel titre,
boira la coupe jusqu’à la lie. Le chef palestinien décédera
pourtant le 11 novembre 2004, sans n’avoir cédé rien sur rien,
sur aucun des droits fondamentaux de son peuple, pas plus sur le
droit de disposer de Jérusalem comme capitale que sur le droit
de retour de son peuple dans sa patrie d’origine. Sa stature
sans commune mesure avec celle de son terne successeur, Mahmoud
Abbas, un bureaucrate affairiste sans envergure et sans
charisme, hante encore la conscience occidentale, cinq ans après
sa mort.
L’implosion politique de Mahmoud Abbas, le 5 novembre 2009, à
six jours de la commémoration décès de Yasser Arafat justifie a
posteriori le scepticisme du chef historique des Palestiniens à
l’égard des pays occidentaux et porte condamnation de la
complaisance de son successeur à l’égard de la duplicité
occidentale, en même temps qu’elle révèle la servilité de la
diplomatie américaine et de son chef, Hillary Clinton,
secrétaire d’état, à l’égard d’Israël.
Carbonisé par ses atermoiements dans l’affaire du rapport
Goldstone sur Gaza et par la rebuffade américaine à propos des
colonies de peuplement, la renonciation de Mahmoud Abbas à une
nouvelle mandature présidentielle apparaît d’autant plus
cruellement pathétique qu’elle s’est accompagnée d’une cinglante
leçon de courage que lui ont asséné de jeunes palestiniens en
opérant, non sans risque, une percée dans le mur d’apartheid à
l’occasion de la commémoration du vingtième anniversaire du
chute du mur de Berlin, une action qui a retenti comme un
camouflet à Mahmoud Abbas et à Israël, un défi à la léthargie
des instances internationales, un cadeau posthume à Yasser
Arafat, initiateur de la lutte armée palestinienne.
Illustration:
Avec le président palestinien
Yasser Arafat au Sommet des non-alignés à Harare (Zimbabwe),
juin 1988, à la suite du discours dans lequel le chef de
l’Organisation de Libération de la Palestine souscrivait pour la
première fois à la résolution 242 du Conseil de sécurité de
l’ONU prescrivant un règlement d’ensemble du conflit
israélo-palestinien.
Retour sur une vie de combat à l’occasion de la commémoration du
5 ème anniversaire de la mort de Yasser Arafat à l’hôpital
militaire de Clamart (région parisienne), l’homme sans lequel la
Palestine aurait été rayée de la carte du monde.
I. Le keffieh palestinien, c’est lui.
Le keffieh palestinien, c’est lui. Son portrait en lunettes
noires et Keffieh, en couverture du magazine «Time», dans la
foulée du premier fait d’armes palestinien contre l’armée
israélienne, lors de la légendaire bataille d’Al-Karameh, le 20
mars 1968, provoquera un choc psychologique majeur au sein de
l’opinion internationale, contribuant grandement à la prise de
conscience de la lutte du peuple palestinien pour la
reconnaissance de son identité nationale.
Plusieurs dizaines de fedayin palestiniens, sous le commandement
direct de Yasser Arafat présent dans le camp assailli, se
laisseront ce jour là décimés sur place forçant l’armée
israélienne à battre en retraite sous le regard impassible de
l’armée jordanienne, demeurée durant la première phase de la
bataille l’arme au pied dans la vallée du Jourdain.
La bataille d’Al Karameh tire son nom, par un curieux clin d’oeil
du destin, du lieu de la localité d’Al Karameh, la bourgade où
s‘est déroulée ce fait d’armes. Acte fondateur du combat
palestinien sur le plan international, elle sera perçue et vécue
comme «la bataille de la dignité retrouvée» en ce qu’elle lavera
dans l’imaginaire arabe la traumatisante défaite de juin 1967,
infligeant aux israéliens des pertes humaines plus importantes
que celles subies sur le front jordanien un an plus tôt (1).
Elle galvanisera longtemps la jeunesse arabe dans son combat
politique et propulsera la lutte du peuple palestinien au sein
de la jeunesse du Monde. Par sa portée symbolique, elle passera
à la postérité pour l’équivalent palestinien de l’antique
bataille des Thermopyles (2), en ce qu’elle signait par le sang
et le sacrifice suprême l’esprit de résistance des palestiniens
et leur détermination à prendre en main leur propre combat.
Publiée par la revue américaine, la photo du chef palestinien
jusque là anonyme popularisera et le porte-parole de la cause
palestinienne et le symbole de l’identité palestinienne. Elle
précipitera la mise à l’écart de son calamiteux prédécesseur
Ahmad Choukeiry et propulsera, dans le même temps, le Keffieh,
la coiffe traditionnelle palestinienne, au rang de symbole
universel de la révolution. Le Keffieh, à l’origine en damier
noir et blanc, sera décliné depuis lors dans toutes les couleurs
pour finir par devenir le point de ralliement de toutes les
grandes manifestations de protestation à travers le monde de
l’époque contemporaine.
«Tout cela était possible à cause de la jeunesse (…), d’être le
point le plus lumineux parce que le plus aigu de la révolution,
d’être photogénique quoi qu’on fasse, et peut-être de pressentir
que cette féerie à contenu révolutionnaire serait d’ici peu
saccagée: les Fedayine (les volontaires de la mort) ne voulaient
pas le pouvoir, ils avaient la liberté», prophétisait déjà en
ces termes l’écrivain français Jean Genêt, un de leur nombreux
compagnons de route de l’époque, qu’il immortalisa dans son
inoubliable reportage sur le massacre des camps palestiniens de
Sabra-chatila, dans la banlieue de Beyrouth. (Cf. Jean Genêt
«Quatre heures à Sabra-chatila», in Revue d’Etudes
Palestiniennes, N° 6 Hiver 1983).
Dans une séquence historique arabe riche de personnalités
charismatiques, (décennies 1960 -1970), Gamal Abdel Nasser
(Egypte), Hafez Al-Assad (Syrie), Houari Boumediene (Algérie),
Saddam Hussein (Irak), Faysal d’Arabie, beaucoup lui en
tiendront rigueur de sa popularité et de son prestige. Israël,
d’abord et toujours, constamment, sans répit, voudra neutraliser
la charge explosive de la mystique révolutionnaire que le
mouvement national palestinien véhiculait au sein du tiers
monde.
Dans le camp arabe, le Roi de Jordanie, Hussein le Hachémite,
s’appliquera en premier, en septembre 1970, à le mettre au pas
dans un épouvantable bain de sang, le premier du supplice
palestinien, alors que les autres pays arabes s‘emploieront à
limiter sa marge de manœuvre, en infiltrant la centrale
palestinienne, l’Organisation de Libération de la Palestine, de
mouvements fantoches, désormais fossiles, à l’instar d’Al-Saika
pro syrienne, du Front de Libération Arabe pro-irakien ou du
Front de libération de la Palestine pro égyptien ou encore de la
duplicité marocaine qui compensait un soutien affiché à la cause
palestinienne par une collaboration souterraine avec les
services marocains. De tous les grands pays arabes, seule
l’Algérie accordera un soutien sans faille à la guérilla
palestinienne, «Zaliman kana aw Mazloum», oppresseur qu’il soit
ou opprimé, selon l’expression du président Boumediene (3).
La guerre d’octobre 1973 et la destruction des fortifications
israéliennes de la ligne Bar lev, le long du Canal de Suez,
mettront en sourdine les conflits interarabes donnant du répit à
la guérilla palestinienne, dégageant la voie à l’envol de Yasser
Arafat sur la scène internationale. Prenant par surprise New
York au saut du lit, Yasser Arafat débarque le 13 novembre 1974
d’un avion spécial algérien dans la métropole américaine pour
s’adresser, fait sans précédent dans les annales diplomatiques,
devant l’assemblée générale des Nations unies, présidée à
l’époque par le fringant ministre de affaires étrangères de
Boumediene, Abdel Aziz Bouteflika.
Fraîchement sacré par ses pairs arabes porte-parole exclusif des
Palestiniens, le chef de l’OLP plaide la cause de son peuple,
inexistant juridiquement, et inaugure solennellement une
stratégie combinant la lutte armée et l’action diplomatique –
«le fusil et le rameau d’olivier», selon sa formule, pour
retrouver une patrie, la Palestine, rayée depuis un quart de
siècle de la géographie politique.
Dans ce discours répercuté depuis la plus grande juive du Monde
jusqu’aux confins de la Péninsule arabique, le dirigeant
palestinien, dix ans après la fondation de son mouvement au
Caire, en 1964, évoque timidement la possibilité d’une
coexistence judéo arabe. Arafat est au Zénith, secondé par la
nouvelle puissance pétrolière arabe révélée par la guerre
d’octobre 1973.
Dans la brèche ouverte par l’OLP, dix sept mouvements de
libération africains se verront reconnaître le statut
d’observateur à l’ONU. Cinq d’entre eux, ceux de Guinée
portugaise, d’Angola, de Mozambique, de Zimbabwe notamment
conduiront quelques années plus tard leur pays à l’indépendance.
L’euphorie sera de courte durée. Six mois après son sacre
onusien, la guerre éclate à Beyrouth, sombre présage, le 13
avril 1975, dans la quinzaine qui voit la chute de Pnom-Penh et
de Saigon, les deux bastions américains en Asie. A son corps
défendant, Arafat s’y engouffre, puis inexorablement s’embourbe
dans ce qui n‘était au départ qu’une guerre inter factionnelle
et qui se transformera en première guerre civile urbaine de
l’époque contemporaine. Les rebondissements de ce conflit à
projection régionale et internationale vont faire voler en
éclats, au fils de sept années (1975-1982), la cohésion
libanaise, la cohabitation libano palestinienne et la solidarité
arabe.
L’Egypte fait la paix avec Israël et l’Amérique se lie par la
clause Kissinger, qui subordonne tout contact avec l’OLP à des
conditions équivalant, selon les Palestiniens, à une
capitulation sans condition. Happé par la tourmente, Arafat
touchera le fond de l’abîme, en juin 1982, dans Beyrouth
assiégée, devenue pour ses adversaires le «foyer du terrorisme
international», et, pour ses sympathisants, le «vivier de
l’opposition tiers-mondiste». Abandonné de tous, il assure avoir
humé dans son ancien sanctuaire transformé en camp retranché les
«senteurs du paradis» (Rawaeh al Janna), le pressentiment de
l’au delà. Il quitte son fief de Beyrouth avec les honneurs de
la guerre, mais, exsangue, son organisation, le plus important
mouvement de libération du tiers monde, quasiment désarticulée.
Douze ans après le septembre noir jordanien (1970), où les
bédouins du Roi hachémite s’étaient donnés à cœur joie contre
les Fedayine palestiniens, les Israéliens se livrent, à leur
tour, à une chasse aux Palestiniens, dans Beyrouth, haut lieu de
la contestation arabe, assiégée sous le regard impavide des
dirigeants arabes. Pour la deuxième fois de son existence,
Yasser Arafat, au prix de prodiges diplomatiques et d’une
résistivité à tout crin, se sort d’un siège militaire dans
lequel voulaient l’enterrer ses ennemis
Fort du capital de sympathie qu’il a accumulé au cours des 65
jours de siège, il se lance alors à la quête d’une nouvelle
consécration internationale. C’est la période de la diplomatie
volante. Reçu en grande pompe par un aréopage de chefs d’état
arabes à Fès (Maroc), puis par le pape Jean Paul II, le
président italien Sandro Pertini, en septembre 1982, les pays
d’Europe du Nord, le Sommet des non-alignés de New Delhi, en
février mars 1983, il butte, à l’instigation des Etats-Unis, sur
les réticences du noyau central de l’Europe occidental: la
France, le Royaume Uni et la RFA, mus, selon les Palestiniens,
par une sorte de «solidarité expiatoire» à l’égard d’Israël, lui
refuseront un droit de cité.
Les Etats-Unis, meilleurs alliés d’Israël dans le Monde, paient
le tribut le plus lourd de la radicalisation du Proche-orient.
En deux ans, 1982-1984, l’ambassade des Etats-Unis à Beyrouth
Ouest, le quartier général des Marines, puis la mission
américaine dans le réduit chrétien, seront tour à tour balayés
par des attentats meurtriers, la cellule Moyen-orient de la CIA
décapitée, de même que le quartier général des Français, ainsi
que le quartier général phalangiste des milices chrétiennes.
Dans le même temps, certains des principaux protagonistes de
l’intervention israélienne disparaissaient de la scène publique:
Alexander Haig, secrétaire d’état et son ami le premier ministre
israélien Menahem Begin, le chef des milices chrétiennes
libanaises, Bachir Gemayel, l’officier félon libanais pro
israélien Saad Haddad, alors qu’Ariel Sharon, l’artisan de
l’invasion du Liban, était contraint à la démission pour sa
responsabilité dans les massacres des camps palestiniens de
Sabra-chatila, en septembre 1982.
Les survivants de cette hécatombe politique – Arafat et le
président syrien Hafez Al Assad, le grand vaincu de l’été 1982
revigoré par l’armement sophistiqué soviétique- se livrent alors
à un impitoyable règlement de compte. La centrale palestinienne
est secouée de forces centrifuges, amplifiées par les déboires
de leur chef dans sa politique d’ouverture vers l’Occident et
les pacifistes Israéliens, dont les massacres de Sabra-chatila,
dans la banlieue sud de Beyrouth, en seront l’illustration
tragique.
Premier coup de semonce, Issam Sartawi, l’homme de l’ouverture
pro-occidentale, est assassiné, puis, fait inconcevable à
l’époque, deux des plus fidèles lieutenants d’Arafat -Abou Saleh
et Abou Moussa- entrent en dissidence, plus grave encore, le
chef de l’OLP, fait unique dans l’histoire, est expulsé de Syrie
en juin 1983.
C’est la fêlure: les guérilleros se muent en desperados. Des
Palestiniens portent les armes contre d’autres Palestiniens.
Pour la troisième fois de son existence mouvementée, Arafat,
comme il y a treize ans à Amman et l’année précédente à
Beyrouth, est assiégé à Tripoli (Nord Liban), cette fois par les
Syriens et les Israéliens.
Privé désormais de toute autonomie territoriale, il est sauvé in
extremis, pour la deuxième fois en un an, par les Français
agissant sous le couvert des Nations Unies. La presse
internationale évoque le crépuscule du chef palestinien. Il
réussit néanmoins au Sommet islamique de Casablanca à
entrebâiller la porte du retour de l’Egypte dans le giron
arabo-islamique d’où elle était exclue depuis cinq ans. De son
exil de Tunis, à deux mille km du champ de bataille, il tente de
recoller les morceaux de ce qui demeure le vecteur de la
revendication nationale palestinienne.
Le président Assad ne décolère pas, malgré les bons offices de
l’Algérie, du Sud Yémen et de l’Union soviétique. Par quatre
fois cette année, Arafat est contraint, à l’automne 1984, de
renoncer à convoquer le parlement palestinien en vue de se faire
confirmer son leadership et éviter l’atrophie de la centrale
palestinienne. Par crainte de scinder définitivement son
mouvement, mais faute aussi de trouver l’hospitalité d’un pays
pour y tenir ses assises. Une situation paradoxale pour un chef
jadis incontesté d’une organisation reconnue par cent dix Etats.
Paradoxale pour le symbole même de l’exil du peuple palestinien
de se vouer à la recherche d’un refuge pour ses parlementaires
en exil, cruelle ironie de l’histoire, illustration tragique du
drame palestinien.
Amputé de ses deux principaux adjoints, Khalil Wazir, Abou
Jihad, l’adjoint opérationnel sur le plan militaire, et, Abou
Iyad, le responsable des renseignements, de son homme de
confiance, Ali Hassan Salameh, officier de liaison auprès de la
CIA, tous trois éliminés par les services israéliens pour tuer
dans l’œuf tout dialogue entre Palestiniens et Américains,Yasser
Arafat va faire l’objet d’un processus de diabolisation, qui
débouchera quinze ans plus tard sur son confinement arbitraire
sur ordre du boucher de Sabra-chatila, le général Ariel Sharon,
sous le regard indifférent des pays occidentaux.
L’invasion du Koweït par l’Irak, en 1990, fera fondre sur lui le
souffle du boulet. Plutôt que de se ranger dans un camp conte un
autre et accentuer la division du Monde arabe, Arafat choisira
d’endosser le rôle de médiateur entre Saddam Hussein et le Roi
Fahd d’Arabie, talonné par l’Egyptien Hosni Moubarak trop
heureux par son activisme belliqueux de restaurer le rôle moteur
de l’Egypte sur la scène diplomatique arabe et justifier sa
fonction de sous traitant régional de la diplomatie américaine.
Yasser Arafat sera mis au ban de la communauté arabe et
internationale, plus précisément au ban de la coalition
occidentale, l’alliance de vingt six pays occidentaux et arabes
mise sur pied pour châtier Saddam de son outrecuidance à l’égard
d’une principauté pétrolière, le Koweït. Il ne devra son salut
qu’à l’accord israélo-palestinien d’Oslo conclu quasiment à
l’insu des chancelleries occidentales.
L’homme, pour son audace, se verra gratifier du Prix Nobel de la
paix, le 14 octobre1994, en compagnie des co-auteurs israéliens
de l’accord d’Oslo, le premier ministre Itzhak Rabin et le
ministre des affaires étrangères Shimon Pères. Conclu le 13
septembre 1993, l’accord d’Oslo devait conduire à l’autonomie de
la bande de Gaza et la zone de Jéricho (Cisjordanie) avant de
déboucher cinq ans plus tard sur la proclamation d’un Etat
palestinien. Il ne tiendra pas un an.
II. La coupe jusqu’à la lie
En 1995, Benyamin Netanyahu, le chef de Likoud, nouveau premier
ministre israélien, freinera l’application de l’accord avant de
le vider complètement de sa substance dans l’indifférence des
pays occidentaux. En toute impunité. C’est une nouvelle descente
aux enfers pour Yasser Arafat dont le Nobel sera de peu de poids
face aux avanies que les alliés occidentaux d’Israël vont lui
infliger régulièrement.
Rien, absolument rien, ne sera épargné à celui que l’on a
surnommé, parfois, à juste titre, «le plus célèbre rescapé
politique de l’époque contemporaine», et ce prix Nobel de la
Paix, un des rares arabes à se voir attribuer un tel titre,
boira la coupe jusqu’ à la lie.
C’est ainsi qu’à l’occasion des cérémonies marquant le 50eme
anniversaire de la fondation des Nations Unies, Yasser Arafat,
fraîchement auréolé des accords israélo-palestiniens d’Oslo et
du Nobel de la paix (1993), celui qui symbolise pour la grande
majorité des siens la renaissance du peuple palestinien, le
symbole de la revendication nationale palestinienne, va être
rabroué d’une cérémonie à New York, fin octobre 1995, comme un
vulgaire intrus.
Suprême infamie, l’interdit proviendra du sulfureux du Maire de
New York, Rudolph William Louis Giuliani III, un
italo-américain, au motif que les mains du dirigeant palestinien
étaient souillées du sang d’américains. Comme si les américains
n’avaient pas sur la conscience la mort de palestiniens. Comme
si les américains n’avaient pas sur la conscience
l’extermination des indiens d’Amérique, dont l’éradication a
permis à ce fils d’immigrés italiens de prospérer à New York sur
la terre de leurs ancêtres spoliés. Comme si des responsables
américains n’avaient pas durant la Deuxième guerre mondiale,
pour préparer le débarquement en Italie, pactisé avec la mafia
d’origine italienne surchargée de sangs d’innocentes victimes
américaines. Un autre dirigeant arabe, un chef fier, le
président Soleimane Frangieh, débarquant à New York, en novembre
1274 pour parrainer la première grande campagne diplomatique de
Yasser Arafat, avait eu droit à une fouille humiliante de la
part de la brigade canine de l’office de lutte contre les
stupéfiants. L’outrage fit du président libanais, le dirigeant
politique arabe le plus résolument antiaméricain. Et cette
tradition s’est perpétuée avec sa descendance.
Au vu de ces expériences, il parlait difficile de blâmer ceux
qui, à l’habit diplomatique, continuent de préférer le treillis.
Loin s’en faut qu’il s’agisse d’une simple coquetterie
vestimentaire. Fidel Castro, par exemple. Le dirigeant cubain,
un des derniers survivants de l’épopée révolutionnaire de
l’après guerre, a eu droit à une ovation de douze minutes pour
cinq minutes d’intervention devant l’assemble générale de l’ONU
à l’occasion du 50 me anniversaire de la fondation de
l’organisation internationale, alors que le président William
Clinton, pour un discours de 17 minutes n’a eu droit, en cette
circonstance, qu’à des applaudissements de circonstance.
La suite est connue et porte condamnation de l’Occident et de
ses pratiques déshonorantes: la pression finale mise par Bill
Clinton, en 1999, pour arracher un accord israélo-palestinien en
vue de redorer la fin de son mandat éclaboussé par le scandale
Monika Lewinsky. Décrié par ses ennemis, dénigré par ses faux
frères arabes, Arafat, seul contre tous, face au déchaînement
médiatique sur les prétendues offres généreuses de Ehud Barak,
ne cédera pas, sur rien.
Deux ans plus tard, les attentats du 11 septembre 2001 contre
les symboles de l’hyper puissance américaine mettent au goût du
jour la thématique de la «guerre conte le terrorisme», une
aubaine pour son implacable ennemi Ariel Sharon et son disciple
américain George Bush qui diaboliseront à outrance Yasser Arafat
pour en faire l’incarnation du mal absolu, quand bien même le
commanditaire de l’opération, Oussama Ben Laden, le chef d’Al
Qaïda, n’était autre que l’ancien sous traitant des américains,
celui là même qui aura détourné vers l’Afghanistan des milliers
de combattants musulmans pour faire la guerre aux soviétiques,
les principaux alliés alors de Yasser Arafat du temps du siège
de Beyrouth en 1982.
2003, l’invasion américaine de l’Irak offre à Ariel Sharon
l’occasion de confiner Yasser Arafat dans sa résidence
administrative, avec la complicité honteusement passive des pays
occidentaux, et, toute honte bue, certaines des plumes les plus
réputées du Monde arabe, tels des mercenaires de la presse,
participeront à la curée.
Calfeutré dans sa luxueuse résidence londonienne à l’abri du
risque et du besoin, Jihad el Khazen, le plus en vue des
journalistes pétro monarchiques, directeur du journal «Al-Hayat»
et caution palestinienne du journal saoudien, réclamera ainsi la
démission non du boucher de ses compatriotes palestiniens de
Sabra-chatila, le général Ariel Sharon, ou de son complice
George Bush, du trublion libyen ou des gérontocrates du Golfe,
tous les fossoyeurs de la cause nationale arabe, mais,
paradoxalement, la démission de Yasser Arafat, le chef assiégé
du mouvement palestinien, celui là même qui était alors à portée
des fûts des canons des chars israéliens, le symbole de sa
résistance nationale, la légende vivante du combat arabe.
Illustration pathologique de la décomposition mentale d’une
fraction de l’élite intellectuelle arabe gangrenée par les
pétrodollars monarchiques, sa prescription saugrenue est
intervenue le 18 mai 2004 au lendemain de la destruction du camp
palestinien de Rafah par l’aviation israélienne, moins d’un mois
après les assassinats extrajudiciaires des chefs charismatiques
du mouvement islamique palestinien Hamas, Cheikh Ahmad Yacine et
Abdel Aziz Al-Rantissi. Elle lui vaudra de la part de l’étoile
montante du journalisme arabe, l’éditorialiste vedette d’«Al-Qods
Al-Arabi», Abdel Bari Atwane, un robuste rappel à l’ordre
déontologique sur les règles élémentaires de la décence dans le
combat politique.
Dix huit mois de réclusion n’entameront pourtant pas la volonté
de résistance du chef palestinien, qui décédera le 11 novembre
2004, sans n’avoir cédé rien sur rien, sur aucun des droits
fondamentaux de son peuple, pas plus sur le droit de disposer de
Jérusalem comme capitale que sur le droit de retour de son
peuple dans sa patrie d’origine. Mieux, comme un intersigne du
destin, son bourreau, Ariel Sharon, sera réduit, treize mois
plus tard, le 5 janvier 2006, à un état végétatif de
mort-vivant, transformé en «légume» selon le jargon médical,
plongé dans un coma, à l’image de sa politique belliciste.
Sa stature sans commune mesure avec son terne successeur,
Mahmoud Abbas, un bureaucrate affairiste sans envergure, sans
charisme, hante toujours la conscience occidentale, cinq ans
après sa mort. Elle conduira les dirigeants occidentaux, sans
crainte du ridicule, à de pathétiques contorsions: Hillary
Clinton, Secrétaire d’Etat américain, en tournée au
Moyen-Orient, de même que son prédécesseur républicain
Condoleeza Rice, tel un rituel immuable, fleurissent
régulièrement à chacun de leur passage à Beyrouth la tombe de
Rafic Hariri, l’ancien premier ministre libanais assassiné, mais
persistent à négliger à leur passage à Ramallah (Cisjordanie),
le mausolée de Yasser Arafat. Il en est de même de Nicolas
Sarkozy, autoproclamé «ami du peuple palestinien», qui
contournera Ramallah, le siège du pouvoir légal palestinien,
pour rencontrer Mahmoud Abbas à Jéricho, lors de son voyage en
juin 2008. Comme si un Prix Nobel de la Paix palestinien
constituait une monstruosité infamante, comme si le porte
étendard de la revendication nationale palestinienne était
pestiféré même au delà de la mort.
Qu’il est dérisoire de contourner sa conscience par un chemin de
traverse. Pathétique de se voiler la face devant ses propres
forfaitures: George Bush et Condoleeza Rice ont rejoint depuis
belle lurette les oubliettes de l’histoire et leur compère Ariel
Sharon a déserté depuis longtemps la mémoire des hommes, mais le
mausolée de Yasser Arafat trône, lui, toujours devant le siège
de l’autorité palestinienne, objet de l’hommage régulier de tout
un peuple, comme une marque de gratitude indélébile à l’égard de
son combat pour la renaissance de la nation palestinienne.
Au hit parade du leadership palestinien, Yasser Arafat pâtissait
de l’aspect théâtral de certains de ses comportements, et sur ce
créneau là, Abou Ammar était supplanté par deux personnalités
aussi discrètes qu’efficaces: Georges Habbache, le charismatique
dirigeant de l’organisation marxisante Front populaire de
Libération de la Palestine, à la voix de stentor, d’une rigueur
de vie exemplaire, le médecin des pauvres d’où son surnom «Al
Hakim», l’ancien chef du mouvement nationaliste arabe, tombeur
du protectorat britannique d’Aden (Yémen du sud), et Khalil
Wazir, alias Abou Jihad, commandant en chef adjoint de la
guérilla palestinienne, et, à ce titre, l’animateur clandestin
de l’Intifada palestinienne.
Mais Yasser Arafat focalisera à lui seul la totalité de
l’ostracisme israélo américain, concentrant sur sa personne les
vexations infligées à travers lui au peuple palestinien, sans
doute en raison du fait qu’il passera à la postérité pour avoir
été l’homme sans lequel la Palestine aurait été rayée de la
carte du monde.
L’implosion politique de Mahmoud Abbas, le 5 novembre 2009, à
six jours de la commémoration décès de Yasser Arafat justifie a
posteriori le scepticisme du chef historique des Palestiniens à
l’égard des pays occidentaux
et porte condamnation de la complaisance de son successeur à
l’égard de la duplicité occidentale, en même temps qu’elle
révèle la servilité de la diplomatie américaine et de son chef,
Hillary Clinton, secrétaire d’état, à l’égard d’Israël.
Carbonisé par ses atermoiements dans l’affaire du rapport
Goldstone sur Gaza et par la rebuffade américaine à propos des
colonies de peuplement, la renonciation de Mahmoud Abbas à une
nouvelle mandature présidentielle apparaît d’autant plus
cruellement pathétique qu’elle s’est accompagnée d’une cinglante
leçon de courage que lui ont asséné de jeunes palestiniens en
opérant, non dans risque, une percée dans le mur d’apartheid à
l’occasion de la commémoration du vingtième anniversaire du
chute du mur de Berlin, une action qui a retenti comme un
camouflet à Mahmoud Abbas et à Israël , un défi à la léthargie
des instances internationales, un cadeau posthume à Yasser
Arafat, initiateur de la lutte armée palestinienne.
L’Etat palestinien qui se profile désormais inéluctablement à
l’horizon, compensation au rabais des turpitudes occidentales à
l’égard du peuple palestinien innocent, retentit aussi
rétrospectivement comme le triomphe posthume de Yasser Arafat,
un hommage rétroactif au combat du chef historique du mouvement
national palestinien, un hommage au porteur du keffieh
palestinien, le symbole de l’identité palestinienne, promu
désormais au rang de symbole universel du combat contre
l’oppression.
Références
1–
Au soir du 20 Mars 1968, l’armée israélienne attaque par
surprise le camp palestinien installé dans la bourgade d’AL
Karameh, dans la vallée du Jourdain, déclarée par Moshé Dayan,
alors ministre de la Défense, «repaire du Fatah». Selon
l’historien Benny Morris, les pertes israéliennes se sont
élevées à 33 tués et 161 blessés. Sur le plan matériel, Israël
enregistrera la perte de quatre chars de combat, 3 half-tracks,
2 voitures blindés ainsi qu’un avion, au cours de cette bataille
qui aura duré 15 heures. Du côté palestinien, Kenneth Michael
Pollack, ancien analyste de la CIA, estimera les pertes
palestiniennes à 100 tués et 100 blessés, soit un tiers des
combattants engagés tués ou blessés.
2-
L’un des plus célèbres faits d’armes de l’histoire antique, la
bataille des Thermopyles de 480 av. JC deviendra l’emblème de la
résistance grecque à l’envahisseur, car malgré la prise
d’Athènes par les Perses, les Grecs purent faire reconnaître
leur indépendance, après leur triomphe à Salamine, le 22
septembre 480 av. JC. Trois cents spartiates commandés par le
roi Léonidas Ier, prendront position à l’entrée du passage des
Thermopyles, et combattront jusqu’au sacrifice, pour laisser aux
Grecs le temps d’organiser leur défense. Au sommet du Kolonós,
théâtre de l’ultime résistance spartiate, sur lequel fut érigé
un mausolée, une inscription du poète Sémonide de Céos (556-467
av. JC), commémore cette action: «Étranger, va dire à Sparte
qu’ici trois cents des siens sont morts pour obéir à ses lois».
3-
Sur le rôle de l’Algérie:
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Publié le 7 novembre 2009 avec l'aimable autorisation de René Naba.
Les
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