Opinion
Arabie-Qatar: le
Lion et le Moucheron
René
Naba
Dimanche 1er septembre 2013
Paris- Sur fond de vive tension
internationale suscitée par la
controverse à propos de l’usage des
armes chimiques en Syrie, l’Arabie
saoudite et le Qatar, les frères ennemis
wahhabites, poursuivent leur guerre
picrocholine, à l’ombre de leurs
derricks respectifs, pour le leadership
régional du titre envié de principal
commanditaire du mercenariat djihadiste.
«Va-t’en chétif insecte excrément de
la terre». C’est en substance
l’interjection que l’Arabie saoudite a
assénée à son minuscule voisin lors d’un
débat sur la fourniture d’armes lourdes
aux rebelles syriens. L’offense portait
la marque d’une personnalité éminente du
Royaume, le prince Bandar Ben Sultan.
D’un terme méprisant, le chef des
services de renseignements, le nouveau
maitre d’œuvre de la révolution à
l’échelle du Monde arabe, a expédié le
rôle du Qatar dans le ravitaillement de
la rébellion syrienne. «Le Qatar…tout
juste une population de 300 personnes et
une chaine de télévision et ceci ne
suffit pas pour constituer un pays», par
allusion Al Jazira, qui eut longtemps un
rôle prescripteur de l’opinion arabe
avant de se dévoyer dans la couverture
des combats de Libye et de Syrie.
Bandar a ainsi voulu signifier son
mécontentement de la livraison, via la
Turquie, par le Qatar de missiles
thermiques à l’opposition islamiste.
Le propos rapporté par le journal
conservateur américain Wall Street
Journal n’a pas été démenti par
l’intéressé, au point que des
intellectuels et des académiciens
qatariotes se sont étonnés de l’absence
de réaction officielle saoudienne à ce
qu’ils ont considéré comme une «atteinte
à la dignité du Qatar, son état et son
peuple».
Contrairement à tous les usages
diplomatiques, le premier à porter la
polémique sur la place publique a été,
Khaled Attiyah, le nouveau ministre des
affaires étrangères du Qatar en
personne: «Un citoyen du Qatar vaut à
lui seul tout un pays et le peuple du
Qatar vaut la totalité d’une nation
(arabe ou islamique).Voilà ce que nous
enseignons à nos enfants. Avec mon
entière considération». Et l’Affaire
amplifiée par le journal «Al Qods Al
Arabi» (1).
L’Arabie saoudite et le Qatar
multiplient, en effet, par voie de
presse, les assauts d’amabilité, dont la
perfidie illustre le degré d’animosité
atteint entre les frères ennemis
wahhabites, en rivalité exacerbé pour le
leadership arabe depuis le déclenchement
des soulèvements populaires arabes en
2011-2012.
Latente depuis la destitution feutrée
du souverain cheikh Hamad Ben Khalifa,
en juin dernier, l’animosité saoudo-qatariote
a éclaté au grand jour avec les propos
peu amènes attribués au Prince Bandar
Ben Sultan sur le Qatar. Même le risque
d’embrasement régional suscité par
l’affaire des armes chimiques de Syrie
n’a réussi à décourager ce conflit
d’ego.
Le Qatar avait pourtant multiplié les
gestes de bonne volonté à l’égard de
l’Arabie saoudite pour tenter de calmer
son courroux. Le nouveau souverain, le
prince Tamim, a réservé sa première
visite officielle au Royaume, qui plus
est le jour de la fête d’Al fitr, qui
marque traditionnellement la fin du mois
du jeûne du Ramadan et son ministre des
affaires étrangères, faisant contre
mauvaise bon cœur, a été une des
premières personnalités politiques
arabes à se rendre en visite officielle
en Egypte, lui fournissant même
plusieurs cargaisons de Gaz liquide, en
dépit du fait de l’éviction de son
protégé, Mohamad Morsi, premier
président issu de la confrérie des
Frères Musulmans, démocratiquement élu.
En vain.
Visiblement, l’Arabie ne pardonne
toujours pas au Qatar, minuscule en
dépit de ses riches gisements gaziers,
d’avoir voulu se substituer à son
leadership du Monde arabe à un moment où
la dynastie wahhabite faisait face à de
difficiles échéances successorales avec
le décès en l’espace d’un an de deux
princes héritiers (Sultan et Nayef Ben
Abdel Aziz), en s’arrogeant même un rôle
primordial dans la conduite de la
contre-révolution arabe, de même que son
soutien résolu aux Frères Musulmans, les
anciens alliés des Saoudiens, devenus
leur bête noire.
Face à l’enlisement du conflit
syrien, aux dérives djihadistes en Libye
et en Tunisie, à la montée en puissance
des Frères Musulmans en Egypte, l’Arabie
saoudite a repris le commandement des
opérations imposant un pro saoudien à la
tête de l’opposition off- shore
syrienne, Ahmad Jarba, un chef de tribu
appartenant à la même confédération
tribale que le Roi Abdallah, le clan Al-Shammar,
épaulant l’armée égyptienne à évincer le
néo-islamiste Morsi de la tête de l’état
égyptien, imposant un prince à demeure
en Jordanie, pour le financement et le
ravitaillement de l’opposition syrienne
off-shore.
Fruit d’une copulation ancillaire du
Prince Sultan Ben Abdel Aziz, l’ancien
«Great Gatsby» de la vie diplomatique
américaine s’est imposé comme l’homme
fort du Royaume du fait de la maladie
d’une large fraction de l’équipe
dirigeante frappée de pathologie
handicapante, que cela soit le Roi
Abdallah d’une lourde cardiopathie que
le prince héritier Salam, atteint
d’Alzheimer, voire même le ministre des
Affaires étrangères Saoud Al- Faysal.
Bandar serait le nouvel homme
providentiel de la stratégie saoudo
américaine. Selon Le Wall Street
Journal, beaucoup d’observateurs
américains considèrent que Bandar pourra
réussir là où la CIA a échoué, avec ses
cargaisons ininterrompus d’armes,
d’argent et sa capacité de mise sous
tutelle des combattants islamistes.
Al Qods Al-Arabi, qui a rapporté en
détail cette information en date du 29
aout 2013, a lui-même fait l’objet d’une
déstabilisation dans la foulée de la
destitution de l’Emir du Qatar le 25
juin dernier. Le journal est passé sous
contrôle de l’ancienne équipe dirigeante
du Qatar qui souhaite en faire le
porte-voix des néo islamistes tant dans
le Monde arabe qu’au sein des locuteurs
arabophones de l’Europe occidentale et
du continent nord-américain.
Ou pour parasiter le rôle de l’Arabie
saoudite, en doublon avec Al Jazira?
Prématuré de répondre à cette question.
Le fondateur et propriétaire du
Journal Abdel Bari Atwane a, lui,
annoncé sa démission sans crier gare, au
lendemain de la destitution de l’ancien
Emir, moyennant un dédommagement de
l’ordre de 19 millions de dollars, selon
des informations parues dans la presse
jordanienne.
«Un combattant expérimenté apte à créer
les conditions de la chute d’Assad»,
soutient le Wall Street Journal a propos
de Bandar, selon «Al Qods Al Arabi».
Affaire à suivre.
Références
Journal Al Qods Al Arabi en date du 29
Août 2013 :
http://www.alquds.co.uk/?p=79163
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