Lundi 1er juin 2009
L’armée pakistanaise, encadrée par les États-Unis, a tenté
d’écraser les talibans dans l’ex-principauté de Swat. Les
combats, particulièrement imprécis, ont provoqué l’exode de 2
millions de personnes. Selon Rashid Zubair, les talibans de Swat
incarneraient avant tout une révolte des pauvres, tandis que la
stratégie US les instrumenterait pour provoquer une guerre
civile et justifier une confiscation des armes atomiques.
Lorsqu’il y a plus d’un an le gouvernement Musharraf est tombé,
beaucoup de Pakistanais espéraient voir s’ouvrir une nouvelle
ère politique – un espoir amèrement déçu.
L’une des principales raisons de l’impopularité du
gouvernement Musharraf était son proaméricanisme et la
destitution du juge suprême du Pakistan, Iftikhar Chaudhry.
Mais le gouvernement actuel n’a pas davantage respecté le
mandat populaire, il a même pulvérisé tous les records de
docilité envers les États-uniens. Le gouvernement du PPP
(Pakistan Peoples Party, Parti du peuple pakistanais) est allé
jusqu’à envoyer des blindés et des avions contre son propre
peuple dans le Nord du Pakistan, ce que même Musharraf n’avait
pas osé faire quand il était au pouvoir. Le feu vert aux
attaques de drones qui ont coûté la vie à des centaines de
Pakistanais est à mettre au compte du PPP. Selon les
déclarations officielles et celles des États-uniens, des
combattants d’Al Qaïda auraient été tués, mais cela n’a pas été
prouvé. Et même si c’est exact, c’étaient des gens tellement
insignifi ants qu’ils ne figuraient pas sur les listes du FBI.
Selon des informations d’origine états-unienne, les drones
sont partis du territoire pakistanais, ce que le ministère
pakistanais de la Défense confirme, alors que celui des Affaires
étrangères le conteste. Ces contradictions ont ébranlé la
confiance de la population dans le gouvernement du PPP. Avant
même l’escalade de la violence au mois de mai, environ 12 000
Pakistanais, tous des civils, ont perdu la vie dans des attaques
pakistanaises ou États-uniennes.
Et, toujours avant cette escalade, on comptait 800 000
réfugiés de l’intérieur, pour la plupart insuffisamment pris en
charge. L’extension du conflit a fait du drame des réfugiés une
véritable catastrophe.
Le Président Zardari a obtenu tous les pouvoirs spéciaux,
entre autres le droit de dissoudre le Parlement quand bon lui
semblera. D’une part des millions de Pakistanais sont victimes
de l’augmentation du prix de l’énergie et des prix en général,
d’autre part le Pakistan ne compte pas moins de 60 ministres. On
essaie de satisfaire tous les partenaires de coalition et
camarades de parti aux frais du peuple.
La situation dans la vallée de Swat
Les médias occidentaux avaient longtemps laissé entendre que
le gouvernement pakistanais avait laissé la vallée de Swat aux
Talibans, mais ce n’est pas tout à fait exact. Pour bien
comprendre la situation, il faut en connaître la genèse.
Jusqu’en 1969 Swat jouissait d’une administration autonome de
juridiction islamique (charia). La population en était
satisfaite car les décisions rendues étaient rapides et
équitables. Après son incorporation au Pakistan [par la
dissolution de la Principauté en 1969, NdR] Swat ne disposait
plus d’aucun système juridique fonctionnel.
En 1989 le mollah Soufi Mohammed demanda le rétablissement de
la charia, soutenu en cela par une grande partie de la
population. Son mouvement n’était pas militant et il survécut à
deux gouvernements pakistanais successifs. Soufi Mohammed vint
en aide à deux gouvernements laïques en convainquant des groupes
armés, eux aussi partisans de la charia, de ne pas prendre les
armes contre les forces de sécurité gouvernementales. Il a
obtenu des militants la libération de précieux otages et
contribué à faire lever le blocus sur des axes routiers et des
aéroports. A ces deux occasions on lui avait promis en échange
de rétablir la charia, des promesses non suivies d’effets.
Puis l’Afghanistan a été attaqué par les États-Unis et Soufi
Mohammed s’y est rendu pour combattre les occupants. A son
retour, il a été emprisonné par le gouvernement de Pervez
Musharraf. Il a été libéré en 2008, en signe de bonne volonté de
la part du nouveau gouvernement, dirigé par l’ANP (Awami
National Party).
Durant la captivité de Soufi Mohammed son gendre, un
ex-liftier, prit les choses en mains. Il tenta d’imposer par les
armes une administration parallèle dans la vallée de Swat, ce
qui provoqua des mois de conflit avec les forces de sécurité
nationales et fit beaucoup de victimes dans la population
civile. Soufi Mohammed prit ses distances avec les actions
menées par son gendre, mais ne put influencer le cours des
choses. Le gouvernement du NAP pria alors Soufi Mohammed de
rétablir la paix à Swat en échange de la réintroduction de la
charia, que la population souhaitait aussi, comme l’ont montré
les manifestations massives du 12 janvier 2008.
Soufi Mohammed promit en échange de désarmer les militants
talibans, de rétablir l’autorité de l’État pakistanais et de ne
créer ni administration ni juridictions parallèles. Depuis la
passation de cet accord, la vie, à Swat, était revenue à la
normale. Écoles et bazars étaient ouverts et le quotidien avait
repris son cours.
Les USA face aux Talibans : deux poids et deux
mesures
L’OTAN et les USA montrèrent quelques réticences, mais le
chef de l’ANP, Asfan Yar Wali, défendit cet accord et le
gouvernement du district souligna qu’il était parfaitement
légal. Le chef du gouvernement de district, Hoti, menaça de
démissionner si Islamabad s’y opposait. L’ex-Premier ministre
Nawas Sharif et le ministre de l’Intérieur sous Musharraf mirent
en garde contre les conséquences désastreuses qu’aurait le
non-respect des accords conclus. Le porte-parole de l’armée
pakistanaise déclara que la situation à Swat évoluait de manière
positive.
Beaucoup de Pakistanais ne comprennent pas le « deux poids,
deux mesures » des États-uniens avec les Talibans. Quand ils
négocient directement avec eux, c’est légal, mais si le
gouvernement pakistanais en fait autant, c’est presque de la
trahison.
Hamid Mir, journaliste pakistanais réputé, et collaborateur
de Géo, la plus populaire des chaînes privées, a écrit le
23 février 2008 dans le journal Jang : « Les villas de la
famille princière de Swat sont vides et abandonnées, mais Musrat
Begum, une veuve appartenant à la famille princière, vit avec
son serviteur dans un coin du palais. Elle héberge des femmes
sans abri et dans le besoin. On l’appelle « la mère de Swat ».
La charia ne lui fait pas peur. Ma conversation avec elle m’a
laissé l’impression qu’elle était favorable aux talibans. Même
chose pour Ghulam Faroog, l’éditeur du journal régional
Chamal. Je lui ai demandé pourquoi la population de Swat
était en majorité favorable aux Talibans et hostile à l’armée
pakistanaise. Les talibans sont issus de la couche opprimée de
la population, c’est-à-dire eux-mêmes. Les riches sont hostiles
aux talibans, car ceux-ci font partie de la piétaille.
L’étincelle qui a donné naissance à la rébellion contre les
riches, qu’on appelle les khawanines (les nobles), date
des années 70. C’est par crainte des troubles que
l’administrateur de l’époque a rattaché Swat au Pakistan. Cette
conversation m’a rappelé le roman, paru en 2003 qu’Ahmed Bachir
a écrit sur Swat. On peut y lire, page 763 : « Les pauvres de
Swat sont prêts à combattre jusqu’à la mort. Quand leur lutte
commencera, des organisations apparaîtront d’elles-mêmes. »
Ahmed Bachir ignorait que cette organisation aurait pour nom
« les talibans ». J’ai eu l’occasion de voir de mes yeux divers
théâtres de combat. Bien que disposant d’artillerie lourde, de
blindés et d’avions de combat, l’armée pakistanaise n’a pu venir
à bout des talibans. La seule explication en est que les pauvres
du pays étaient derrière les talibans. Les habitants de Swat en
avaient assez d’injustices qui duraient depuis des années, la
politique d’agression des États-uniens a jeté de l’huile sur le
feu. Le mélange explosif de colère contre l’injustice et de
haine contre les États-uniens a donné naissance à un mouvement
de résistance extrémiste. »
Des agents étrangers camouflés en talibans
Ce qui précède apporte une des réponses possibles à la
question des médias US : « Comment se fait-il que 12 000 soldats
pakistanais n’ont pu venir à bout de 3 000 insurgés ? » On en
trouve une autre dans les déclarations du major Athar Abbas,
porte-parole de l’armée pakistanaise : « Derrière les troubles
dans la vallée de Swat et les zones tribales voisines on trouve
des services secrets étrangers qui arment et financent les
extrémistes. Selon le journal Jang, des forces de
sécurité pakistanaises ont arrêté dans les zones tribales 200
agents étrangers camouflés en talibans. Beaucoup de Pakistanais
se demandent pourquoi on trouve 29 consulats de pays voisins
dans la zone frontalière pakistano-afghane. Cela expliquerait
aussi le grand nombre d’actes de cruauté imputés aux talibans.
Il n’est pas exclu que nombre d’atrocités commises contre les
forces de sécurité soient destinées à venger des proches,
victimes de l’assaut contre la Mosquée Rouge ou des attaques
pakistano-américaines. »
La majorité des Pakistanais ne considèrent pas la prétendue
« guerre contre le terrorisme » comme leur guerre, mais comme
une guerre états-unienne par procuration. Tant que le
gouvernement pakistanais sera aux ordres des USA, il n’y aura
pas de paix. Les États-uniens veulent déstabiliser le Pakistan.
Le Pakistan doit être considéré comme un État défaillant, afin
de pouvoir réquisitionner son arsenal nucléaire. L’armée US
dispose déjà d’une unité spéciale pour cette tâche.
Swat a connu une brève période de paix. Par le passé on a
souvent conclu avec les talibans dans différentes zones des
accords de paix, anéantis ensuite par des « incidents ».
Maintenant la guerre, là-bas, s’est à nouveau déchaînée. On
l’impute aux talibans, mais c’est ce qui se dit dans les cercles
gouvernementaux, il n’existe pas de liberté d’information.
En admettant que les talibans soient les coupables, les
victimes des opérations militaires, elles, restent les membres
de la population. L’introduction de la charia était demandée par
la population, mais elle souhaitait que ce fût le fait du
gouvernement et non des talibans. Le gouvernement ne voulait pas
autoriser les talibans à établir une administration parallèle,
mais la simple force des armes ne suffit pas à l’empêcher. Pour
cela il faudrait une stratégie multilatérale et un consensus
national, et malheureusement le gouvernement Zardari ne dispose
ni de l’un ni de l’autre.
Les médias ont annoncé par exemple que « les talibans étaient
aux portes d’Islamabad » ou que « des armes nucléaires
pourraient tomber aux mains des talibans ». C’est une bonne
plaisanterie.
Il faut savoir que les talibans ne contrôlent que 3,4 % du
Pakistan. La population totale des zones tribales ne représente
que 2 % de la population pakistanaise et tous ne sont pas des
talibans. Les 2,5 millions de gens qui peuplent les zones
tribales – et ne sont pas tous des talibans – ne peuvent pas
contrôler 157 millions de Pakistanais. Les Pakistanais
n’accepteraient jamais un Islam tel que le veulent les talibans.
Quant aux bombes atomiques, ce ne sont pas des pétards du Jour
de l’An qu’on peut emporter dans sa poche. 80 ogives nucléaires
nécessitent 70 000 hommes dont quelques milliers de
scientifiques.
L’épouvantail taliban n’est qu’un prétexte. Les États-uniens
visent tout autre chose. Une preuve en est que le général
Musharraf dans les derniers mois de son gouvernement s’était
plaint que l’ISI (services secrets pakistanais, ndt.) avait
informé les USA des divers lieux où se trouvait Baitullah Mehsud,
le chef des talibans, mais que ceux-ci n’avaient entrepris
aucune action contre lui.
Le Ministre de l’Intérieur pakistanais a dit que les
extrémistes étaient financés et armés par l’Afghanistan. Mais la
question est : qui arme et finance les talibans en Afghanistan ?
On ne peut pas être sûr de ce qui les USA trament dans
l’ombre. Mais une chose est sûre : c’est toujours la population
qui paie l’addition. La force armée ne résoudra jamais les
problèmes de cette région.
Article publié dans Horizons et débats du 1er juin
2009.
Traduction : Michèle Mialane.