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Opinion
Qui a le plus
intérêt à un Liban déstabilisé ?
Raoul Marc Jennar
Rafic Hariri
Lundi 31 janvier 2011
En 2005, le premier ministre du Liban,
Rafic Hariri, un homme d'affaires très lié à l'Arabie saoudite,
est tué lors d'un attentat à Beyrouth. Immédiatement, Jacques
Chirac, très proche du millionnaire libanais (dont il occupe
actuellement un appartement quai Voltaire à Paris) et Georges W.
Bush désignent la Syrie comme commanditaire de l'attentat et
font adopter par le Conseil de Sécurité une résolution créant un
tribunal spécial chargé d'identifier, de mettre en examen et de
juger les auteurs et les commanditaires de cet attentat.
Cette décision a surpris de très grands spécialistes du
droit pénal international.
Ainsi l'article publié dans
Le Monde diplomatique d’avril 2007 par trois éminents
juristes, Géraud de Geouffre de La Pradelle, Antoine Korkmaz et
Rafaëlle Maison, « Douteuse
instrumentalisation de la justice internationale au Liban ».
En effet, pour la première fois depuis la création de
l'ONU, un tribunal pénal international ad hoc est créé non pas
pour juger des crimes de guerre, des crimes contre l'humanité ou
des crimes de génocide. Mais d'un assassinat politique. Un
assassinat comme il y en a eu, hélas, des centaines, sinon des
milliers depuis 1945. Rares sont ceux qui ont connu des suites
judiciaires.
Dès lors, au-delà des considérations juridiques, on est
en droit de se poser la question : pourquoi cet assassinat-ci ?
Aucun procès international pour les assassinats de leaders
historiques de la décolonisation comme Ben Barka ou Patrice
Lumumba. Aucun procès international pour les « assassinats
ciblés » décidés par le gouvernement israélien. Aucun procès international pour des journalistes et des
magistrats abattus ou disparus alors qu'il procédaient à des
enquêtes impliquant des décideurs politiques.
Depuis sa mise en place, ce « tribunal spécial pour le
Liban » (TSL), s'est surtout caractérisé par les démissions
successives de plusieurs de ses cadres et par l'obligation
devant laquelle il s'est trouvé de se déjuger en libérant des
officiers libanais incarcérés en dépit d'un dossier dont il a
finalement fallu reconnaître qu'il était vide. La piste syrienne
fut, depuis lors, abandonnée. En 2009, l'ONU renonçait à
compléter les effectifs du tribunal, « faute d'accusés ».
Mais depuis quelques mois, des informations distillées
hors du Liban, laissent entendre que ce ne serait plus la Syrie,
mais un autre acteur de « l'empire du mal », le Hezbollah, qui
serait impliqué dans l'attentat. Le Hezbollah, c'est tout à la
fois un courant religieux libanais (le chiisme), un parti
politique libanais et une composante militaire de la
« résistance libanaise ». Une organisation considérée comme
terroriste par les USA et Israël. La question n'est pas de
savoir si on aime ou si on n'aime pas un mouvement comme
celui-là. Rien ne rend proche d'un tel mouvement l'athée et
l'objecteur de conscience que je suis. Mais l'observateur de la
vie politique libanaise ne peut ignorer que le Hezbollah, que
cela plaise ou non, est une partie intégrante de la société
libanaise. Outre le fait qu'il exerce une influence décisive sur
l'essentiel du Sud-Liban et sur une partie de Beyrouth, il
compte des élus au Parlement et jusqu'hier des ministres dans le
gouvernement d'union nationale. Et surtout, aux yeux d'un grand
nombre de Libanais, y compris des chrétiens comme Michel Aoun et
son Courant Patriotique Libre, il incarne la volonté de résister
à Israël. La capacité du Hezbollah à s'opposer, l'été 2006, à
une offensive de l'armée israélienne, performance militaire
unique dans l'histoire du conflit israélo-arabe, fait à la fois
sa force au Liban mais aussi sa faiblesse dans un camp
occidental aveuglément derrière l'Etat hébreux.
Alors que les autorités libanaises procèdent depuis une
bonne année au démantèlement d'un réseau d'espionnage israélien
dans le système libanais des télécommunications, on apprend que
le TSL, se basant sur des écoutes téléphoniques, se prépare à
inculper des membres du Hezbollah. Celui-ci a répondu en
affirmant détenir des preuves – qu'il n'a pas montrées jusqu'ici
– de l'implication d'Israël dans l'attentat de 2005 et de sa
capacité, via son réseau d'espions dans le système de
télécommunication libanais, à en attribuer la responsabilité au
mouvement chiite.
Cette mise en cause du Hezbollah, distillée depuis trois
mois à partir de sources étrangères, n'a plus cessé depuis lors
d'empoisonner la vie politique du Liban au point de paralyser
complètement son gouvernement. Au moment précis où Israël, avec
la collaboration de compagnies américaines, prétend détenir le
monopole de l'exploitation des très importants gisements de
pétrole et de gaz dans une partie de la Méditerranée qui relève
de la souveraineté du Liban. Au moment aussi où, en Israël,
l'échec de 2006 nourrit plus que jamais des idées de revanche.
Une médiation tentée par la Syrie et l'Arabie saoudite a
échoué. Il s'agissait d'éviter que les activités du TSL ne
mettent en péril la vie du gouvernement libanais et la fragile
paix qui règne entre les composantes de ce pays qui compte pas
moins de 22 groupes ethniques et 17 communautés confessionnelles
(4 musulmannes, 6 chrétiennes catholiques, 7 chrétiennes non
catholiques) et qui a connu une guerre civile extrêmement
meutrière de 1975 à 1989. Cette médiation vient d'échouer.
Le premier ministre Saad Hariri, fils du premier ministre
assassiné, en visite à Washington, a subi la pression des plus
inconditionnels alliés d'Israël, Nicolas Sarkozy et Hilary
Clinton, pour faire passer le fonctionnement du TSL avant toute
autre considération. Au prix de la survie de son gouvernement et
de la stabilité du Liban.
Quel est, dans la région, le pays qui va en
profiter ? Quid crimen prodest ?
Raoul Marc
Jennar, Consultant en relations internationales
Dernier livre : "Trente ans depuis Pol Pot" (L'Harmattan)
Article publié sur le
blog de
l'auteur et sur
Médiapart
Le dossier Liban
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