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Enquête primée par « Projet Censuré »
Plus d'un million d'Irakiens tués sous l'occupation US
Mardi 9 février 2010 Nous reproduisons ici la première des 25
enquêtes primées par « Projet
Censuré » en 2009. Il s’agit du travail de Michael Schwartz,
que nous avions diffusé en 2007, et que Joshua Holland, Luke
Baker, Maki al-Nazzal et Dahr Jamail ont poursuivi. Plusieurs
sources officielles permettent de valider les études des
sondeurs d’ORB et des démographes du « Lancet » et d’établir que
l’invasion anglo-saxonne et l’occupation de l’Irak ont causé la
mort de plus d’un million de civils. Cette information, qui a
été relayée par les médias dans les Etats dont les gouvernement
s’opposaient à la guerre, a été ignorée par les médias des Etats
soutenant l’opération anglo-saxonne. Une fois de plus, il
apparaît que les consortium médiatiques s’alignent sur les
intérêts dominants du pays où ils se trouvent.
Cet article fait suite à « Qu’est-ce
que le "Projet censuré" ? », par Ernesto Carmona.
SynthèsePlus de 1,2 million d’Irakiens ont succombé à une mort
violente depuis l’invasion du pays en 2003, d’après une étude du
prestigieux institut britannique de sondage Opinion Research
Business (ORB). Ces chiffres suggèrent que les décès provoquées
par l’invasion et l’occupation de l’Irak rivalisent en nombre
avec les massacres massifs du XXe siècle —le nombre de personnes
tuées en Irak dépasse les 800 000 à 900 000 victimes du génocide
du Rwanda, en 1994, et se rapproche d’ores déjà du chiffre de
1,7 million de disparus dans les tristement célèbres « camps de
la mort » des Khmers rouges, dans les années 70 du siècle
dernier—.
L’enquête de l’ORB a couvert quinze des dix-huit provinces de
l’Irak. Parmi les zones non couvertes figuraient les deux
régions les plus instables du pays —Kerbala et Anbar—, ainsi que
la province d’Arbil, dans le Nord, où l’institut s’est vu
notifier une interdiction de travail par les autorités locales.
Il ressort des entrevues face à face avec 2 414 adultes que plus
d’une personne sur cinq avait eu un mort dans son foyer à cause
du conflit.
Les auteurs, Joshua Holland et Michael Schwartz, ont constaté
que la version officielle, selon laquelle la violence contre les
Irakiens serait essentiellement exercée par les propres Irakiens
et non pas par les troupes états-uniennes, est mal acceptée.
Dans leur reportage d’octobre 2006, les enquêteurs de la revue
The Lancet ont interrogé des Irakiens sur la façon dont
avaient péri leurs proches et 56 % ont imputé ces décès à
l’action des forces des Etats-Unis et de leurs alliés.
Schwartz a fait remarquer que si une partie proportionnelle de
la moitié du reste des morts irakiennes non attribuée a été
provoquée par les forces des USA, le résultat final serait que
près de 80% de l’ensemble de ces morts ont été causées
directement par les Etats-Unis.
Même en prenant les estimations les plus basses confirmées à
la fin de 2006, il se trouve que les forces des USA sont
responsables de la mort de 5 000 Irakiens en moyenne par mois
depuis le début de l’occupation. Cependant, le taux des victimes
mortelles en 2006 a été deux fois plus élevé que la moyenne, ce
qui veut dire que la moyenne des morts provoquées par les
troupes US cette année a dépassé les 10 000 par mois, soit plus
de 300 par jour. Avec la vague de violence amorcée en 2007, le
chiffre actuel est probablement beaucoup plus élevé.
Schwartz a précisé que la logique de cette boucherie réside
dans les statistiques émises par les militaires US, et
divulguées par la Brookings Institution : pendant les quatre
premières années d’occupation militaire, chaque jour plus de
mille patrouilles ont été dépêchées dans les quartiers hostiles,
avec l’ordre de capturer ou de tuer des « insurgés » et des
« terroristes ». (Depuis février 2007, le nombre de ces
patrouilles s’est élevé à près de 5 000 par jour, si l’on compte
les forces irakiennes encadrées par les forces US). En moyenne,
chaque patrouille procède à une trentaine de descentes musclées
dans les maisons irakiennes, avec pour mission d’interroger, de
capturer ou de tuer des suspects. Dans ce contexte, n’importe
quel homme en âge de combattre est non seulement tenu pour
suspect, mais pour un adversaire représentant un danger mortel.
On recommande donc aux soldats US de ne pas courir de risques.
Selon les statistiques militaires des USA, également rendues
publiques par la Brookings Institution, ces patrouilles donnent
actuellement lieu à environ 3 000 fusillades par mois, ou un peu
moins de 100 par jour en moyenne (sans compter les 25 autres
provoquées par les alliés irakiens). Des milliers de rondes et
de patrouilles ont entraîné la mort de milliers d’Irakiens
innocents, ainsi que de nombreuses arrestations d’une brutalité
extrême.
Les réfugiés : une crise ignorée
Les tentatives des Irakiens pour échapper à la violence sont
à l’origine d’une crise des réfugiés qui a pris d’énormes
proportions. D’après des rapports émis en 2007 par le Haut
commissaire des Nations unies pour les réfugiés (ACNUR) et
l’Organisation internationale pour la migration (OIM), prés de 5
millions d’Irakiens ont été déplacés par la violence, la plupart
ayant fui le pays à partir de 2003. Plus de 2,4 millions ont
abandonné leur maison pour aller chercher abri dans des zones
plus sûres à l’intérieur du pays, 1,5 million se sont réfugiés
en Syrie, et plus d’un million ont gagné la Jordanie, l’Iran, le
Liban, la Turquie et les pays du Golfe persique.
Les déplacés en Irak, dont le nombre augmente en moyenne de
près de 100 000 par mois, n’ont aucun statut juridique et aucune
possibilité d’emploi dans la plupart des provinces et Etats où
ils se sont réfugiés, et leur situation est de plus en plus
désespérée. Cependant, les Irakiens qui continuent de quitter
leur foyer sont plus nombreux que ceux qui sont retournés chez
eux, en dépit des versions officielles indiquant le contraire.
Des milliers de déplacés estiment que la sécurité est aussi
mauvaise qu’avant et que le retour signifie la mort. Et la
plupart de ceux qui reviennent ne tardent pas à repartir.
Les journalistes Maki al-Nazzal et Dahr Jamail ont interviewé
un ingénieur irakien qui travaille actuellement dans un
restaurant à Damas, en Syrie : « Retourner en Irak ? Il n’y a
plus d’Irak où retourner, cher ami, L’Irak n’existe plus que
dans nos rêves et nos souvenirs ! »
Une autre personne interrogée a déclaré aux auteurs : « Les
militaires états-uniens affirment qu’à présent Fallujah est
sûre, alors que 800 hommes sont retenus là-bas dans les pires
conditions… Au moins 750 des 800 hommes détenus ne sont pas des
combattants de la Résistance, mais des gens qui refusent de
collaborer avec les forces d’occupation et leurs auxiliaires
fantoches ».
Un autre réfugié de Bagdad a déclaré : « Je suis retourné
dans mon foyer avec ma famille en janvier. Dès la première nuit
qui a suivi notre arrivée les Etats-uniens ont investi notre
maison et nous ont maintenu tous dans une seule chambre alors
que leurs francs-tireurs montaient sur le toit pour tirer sur
les gens. Nous avons décidé de revenir ici [à Damas] le
lendemain matin après avoir passé une nuit d’horreur que nous ne
sommes pas prêts d’oublier. »
Mise à jour de Michael Schwartz
Les statistiques de mortalité citées dans « L’occupation
US de l’Irak tue-t-elle 10 000 civils par mois ou beaucoup plus
encore ? » sont basées sur une enquête sur les décès causés
par la guerre en Irak, publiée dans un autre article plausible
pour Projet censuré. L’article original, paru dans The Lancet
en 2006, a reçu une couverture dédaigneuse des médias avant de
disparaître purement et simplement de la vue des lecteurs,
tandis que les grands médias recommençaient à divulguer des
estimations partiales qui situaient le nombre d’Irakiens morts à
un dixième des calculs de The Lancet. Le blocus de
l’information exercé par les consortium médiatiques s’est
également étendu à mon article, et n’a pas diminué le moins du
monde, même si l’article de The Lancet a résisté
plusieurs vagues de critiques, tandis que d’autres études
confirment ou mettent à jour son contenu.
Début 2008, la meilleur estimation, basée sur des
extrapolations et des reproductions de l’étude de The Lancet,
a révélé que 1,2 millions d’Irakiens sont morts à cause de la
guerre. Pour autant que je sache, ce chiffre n’a été relevé dans
aucun média aux Etats-Unis.
Le blocus de l’information sur le nombre de victimes a été
accompagné d’une autre forme de censure sur une autre preuve
capitale contenue dans mon article : la stratégie militaire de
l’administration Bush en Irak a provoqué chaque jour de vastes
destructions matérielles et une mortalité élevée. Les modes de
recrutement exigent que les quelque mille patrouilles US
ripostent chaque jour à tout acte hostile avec une écrasante
puissance de feu —armes de faible calibre, artillerie et
opérations aériennes laissent derrière elles un cortège de
souffrance et provoquent de nombreuses pertes parmi la
population civile—. Mais les principaux médias ont refusé de
couvrir ce délit de mutilation, même après les réunions de
l’organisation « Soldats de l’hiver », de mars 2003, pendant
lesquelles plus d’une centaine de vétérans de la guerre en Irak
ont reconnu avoir participé à ce qu’ils ont appelé « des
situations génératrices d’atrocités »
L’efficacité du blocus de l’information exercé par les médias
a été confirmée par une enquête réalisée par l’Associated Press
en février 2007, auprès d’un échantillon représentatif de
résidents états-uniens, auxquels on a demandé s’ils avaient une
idée du nombre d’Irakiens tués dans la guerre. La moyenne des
personnes interrogées a estimé qu’ils étaient moins de 10 000,
soit 2% du total réel pour l’époque. Cette ignorance grossière
et générale, de même que le déroulement de la guerre en Irak n’a
reçu aucune couverture médiatique, même pas de la par de
l’Associated Press, qui a commandé l’enquête.
L’organisation « Anciens combattants d’Irak contre la
guerre » a placé la brutalité de l’occupation au centre de
l’action de ses membres. Le massacre du peuple irakien est au
cœur de leurs revendications. Ils exigent le retrait immédiat et
total des troupes des Etats-Unis, tout comme l’organisation des
historiques réunions des « Soldats de l’hiver » à Baltimore.
Même si cet événement n’a été relayé par aucun des principaux
médias aux USA, le flux de l’information diffusée par Pacifica
Radio et le site Web de l’IVAW a enregistré un fort taux
d’audience —y compris parmi un grand nombre de soldats en
service actif—, avec les descriptions des atrocités commises par
la machine de guerre US. Un nombre croissant de sites
indépendants offre à présent une couverture régulière sur cet
aspect de la guerre, dont Democracy Now, Tom Dispatch, Dahr
Jamail’s Mideast Dispatches, Informed Comment, Antiwar.com, et
ZNet.
Mise à jour de Maki Al-Nazzal et Dahr Jamail
La nomination des généraux de l’US Army David Petraeus, à la
direction du CentCom et Raymond Odierno, en tant qu’adjoint de
Petraeus à la tête de la Force multinationale en Irak, a soulevé
le courroux des Irakiens vivant en Syrie et en Cisjordanie. Ces
deux généraux, qui ont convaincu les Etats-Unis et la communauté
internationale d’une soi-disant « amélioration en Irak », ne
semblent par contre pas avoir réussi à convaincre les réfugiés
irakiens qu’il y a eu « du mieux » dans leur pays.
« Tout comme l’administration Bush a décoré Paul Bremer (le
patron de l’Autorité provisoire de la coalition), d’autres ont
été récompensés pour avoir participé à la destruction de
l’Irak », se plaignait Muhammad Shamil, un journaliste irakien
qui a fui vers la Syrie en 2006. Ce qu’ils appellent violence
s’est concentré d’abord dans certaines zones de l’Irak, mais à
présent le phénomène a été étendu à tout le pays par les héros
de guerre des Etats-Unis. « Ceux qu’ils tuent, expulsent ou
capturent se comptent par milliers, depuis Basra (dans le sud)
jusqu’à Mossoul (dans le nord) ».
L’espoir d’un retour se fait de plus en plus mince dans
l’esprit des réfugiés irakiens. Depuis la parution de cet
article, en mars 2008, la crise des réfugiés s’est encore
aggravée. La situation s’aggrave du fait que la plupart de ces
gens n’ont plus aucune intention de retourner chez eux et
préfèrent s’établir ailleurs.
« J’ai décidé de ne plus rêver de rentrer au pays, et
d’essayer de construire un nouveau foyer n’importe où dans le
monde », a déclaré Maha Numan, 32 ans, réfugié en Syrie. « Voici
trois ans que je suis réfugié et que je caresse le rêve de
retourner là-bas, mais j’ai décidé de ne plus y rêver. J’ai
perdu la foi dans tous les dirigeants du monde après les vagues
de violence à Basra, Al-Sadr et aujourd’hui Mossoul. Cette
situation ne semble plus avoir de fin, et je dois trouver un
refuge sûr pour ma famille ».
« La majorité des Irakiens en Syrie sont plus au courant des
nouvelles de leur pays que la plupart des journalistes. Dans
n’importe quel cybercafé de Damas, chacun appelle sa ville ou
son village natal et fait part aux autres réfugiés irakiens des
nouvelles du jour. Les informations sur la violence qui sévit
dans une grande partie de l’Irak les renforcent dans leur
conviction de rester à l’étranger.
« Aujourd’hui il y a eu quatre explosions à Fallujah ! »,
s’est exclamé Salam Adel, qui a travaillé comme traducteur pour
les troupes US à Fallujah en 2005. « Et ils disent qu’on peut
rentrer, que la situation est sûre ! Rentrer pour quoi faire ?
Pour se faire tuer par les mines ou les voitures piégées ? »
Pour l’administration Bush, il a été important, du point de
vue politique, de faire croire que la situation s’améliore en
Irak. Ce genre d’information a été relayé avec la complicité des
médias corporatifs. Cependant, 1,5 million d’Irakiens vivant en
Syrie et plus de 750 000 en Jordanie ne partagent pas cet avis.
Autrement, ils seraient déjà rentrés chez eux.
(A suivre…)
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