RIA Novosti
Plan
Bush: le Pakistan face à un dilemme
Piotr Gontcharov
Photo RIA Novosti
26 septembre 2008 L'attentat qui a visé l'hôtel Marriott, un
des établissements les plus huppés d'Islamabad, a fait l'effet
d'un petit "11 septembre" au Pakistan. Est-il possible de
combattre l'extrémisme islamique dans des pays où le terrain est
plus que favorable aux écoles, tendances et organisations
islamiques (islamistes) de tout genre, y compris aux plus
extrémistes (selon les normes européennes)? Telle est,
assurément, la question qui revient à l'ordre du jour.
L'attentat ayant été officiellement revendiqué par Al-Qaïda,
c'est donc un nouveau défi qui est lancé à l'Etat. Le Pakistan
saura-t-il le relever sans recourir à une méthode éprouvée qui
consiste à "transférer" le pouvoir civil entre les mains des
généraux? Tout dépend, manifestement, si le nouveau président
pakistanais Asif Ali Zardari, le gouvernement pakistanais,
opposition comprise, et les généraux pakistanais en la personne
d'Ashfak Pervez Kayani, chef de l'état-major de l'Armée de terre
(et commandant en chef de l'armée de fait), réussissent à
s'entendre sur une stratégie commune concernant ces questions.
Le président et l'armée sont encore loin de partager les
mêmes positions. La raison est évidente et réside dans la
"nouvelle stratégie" de George W. Bush, que les Etats-Unis, en
qualité de principal idéologue de la campagne antiterroriste en
Afghanistan, sont déterminés à étendre au Pakistan. L'idée est
que les principaux efforts dans la guerre contre le terrorisme
doivent porter non plus sur l'Irak mais sur l'Afghanistan et que
la lutte antiterroriste dans cette région doit être menée de
part et d'autre de la frontière entre le Pakistan et
l'Afghanistan.
Cette "nouvelle stratégie" (ou "nouvelle étape") suppose deux
choses. Premièrement, accroître la puissance de l'armée et
intensifier les raids dans les zones supposées abriter les bases
de repli des talibans. Deuxièmement, élargir la zone
géographique des opérations que les forces de la coalition
antiterroriste (essentiellement les forces spéciales
américaines) mènent, depuis l'Afghanistan, sur le territoire
pakistanais, en premier lieu au territoire des deux zones
tribales sous administration fédérale, le Waziristan Nord et le
Waziristan Sud.
George W. Bush aurait déjà en secret autorisé ces raids, sans
l'approbation préalable d'Islamabad. Comme il fallait s'y
attendre les généraux se sont fermement opposés à un tel "plan".
Asif Ali Zardari garde pour l'instant le silence mais donne
l'impression de se positionner en faveur de ce plan.
L'argumentation du Pentagone est plutôt convaincante. Aux
dires de l'amiral Mike Mullen, chef d'état-major interarmes des
Etats-Unis, la nouvelle stratégie militaire, en englobant les
deux côtés de la frontière, "prive l'ennemi de la possibilité
d'utiliser ses bases de l'autre côté de la frontière, au
Pakistan".
Selon l'amiral, les talibans d'Afghanistan et du Pakistan
mènent conjointement des raids "des deux côtés de la frontière".
De plus, en franchissant sans entraves la frontière, ils
échappent de fait à ceux qui les poursuivent en territoire
afghan pour trouver refuge sur le sol pakistanais. Tant que les
Etats-Unis n'auront pas la possibilité de mener des opérations
visant à détruire les bases des insurgés sur le territoire
pakistanais, toute la campagne antiterroriste menée en
Afghanistan demeurera plus qu'aléatoire. Il faut, pour qu'elle
soit efficace, obtenir une compréhension totale de la part
d'Islamabad, ce qui n'est malheureusement toujours pas le cas.
Que peut-on dire de la "nouvelle stratégie" de George W.
Bush? C'est, globalement, une mesure obligatoire qui est
particulièrement en phase avec la réalité et la seule juste. Il
n'existe pas d'autre solution au problème afghan. Il est
incontestable que les zones frontalières afghane et pakistanaise
sont comme des vases communicants. Cela a toujours été le cas et
c'est encore vrai aujourd'hui: c'est une réalité qui a toujours
servi et qui continue de servir. Les moudjahiddines en ont
profité autrefois, du temps du "djihad" et de la présence
soviétique en Afghanistan, aujourd'hui c'est au tour des
talibans d'en profiter.
Mais, autrefois, le Pakistan était impliqué dans la guerre
contre la présence soviétique en Afghanistan. De façon la plus
active qui soit, d'ailleurs. Alors qu'aujourd'hui, le Pakistan
est l'un des principaux alliés des Etats-Unis dans la guerre
contre le terrorisme. Il semblerait qu'Islamabad ait toutes les
cartes en mains mais sa réaction vis-à-vis du plan américain
manque visiblement d'enthousiasme pour l'instant. Il y a des
raisons à cela, qui concernent notamment les relations
bilatérales avec Kaboul. Les relations entre Pervez Musharraf et
Hamid Karzaï étaient pour le moins tendues ces derniers temps.
Mais la raison essentielle est ailleurs. Quelles seront les
réactions à l'arrivée des forces spéciales américaines dans la
"zone des tribus pachtounes"? Compte tenu de sa spécificité? Car
le fait qu'elle ait le statut "d'administration fédérale" ne
doit rien au hasard.
Le plan Bush comprend un détail important. Lors de son
allocution au Congrès, le président américain a exposé des
arguments convaincants en faveur du plan de Mike Mullen. Le
Congrès a compris son raisonnement et voté le projet qui accorde
au Pakistan une aide de 15 milliards de dollars (en deux
versements de 7,5 milliards chacun sur cinq ans).
Cet argent est destiné non pas à l'armée mais à l'aménagement
de la "zone tribale" dont les talibans et les combattants
d'Al-Qaïda ont fait leur sanctuaire d'après les Etats-Unis. Il
servira à construire des routes, des écoles, des hôpitaux, à
résoudre les problèmes sociaux, etc. Autrement dit, à financer
des objectifs sur lesquels n'ont jamais cessé d'insister les
chefs des tribus, dont l'opinion a toujours compté pour
Islamabad.
Lorsque George W. Bush a félicité Asif Zardari pour son
élection à la présidence, il n'a pas manqué de lui rappeler que
la nouvelle direction du Pakistan "endossait la responsabilité
du démantèlement des bases terroristes dans la zone tribale". En
d'autres termes, il a instamment recommandé à Islamabad
d'approuver le plan du Pentagone relatif aux opérations des
forces spéciales américaines sur le territoire pakistanais.
Quelle sera la réponse de l'armée pakistanaise?
Il faut reconnaître que le Pakistan a sensiblement intensifié
ses actions dans le cadre de "la lutte antiterroriste", dans le
secteur du Waziristan Nord et du Waziristan Sud justement.
L'armée pakistanaise y a mené des opérations visant à éliminer
les insurgés appartenant aux réseaux fondamentalistes. Il est
encore difficile de dire s'il s'agit d'une "intensification"
dans le cadre de la "nouvelle étape" de la lutte antiterroriste
et des relations d'alliance avec les Etats-Unis ou s'il s'agit
d'une alternative qu'Islamabad propose au plan Bush.
Les opinions exprimées dans cet article sont laissées à la
stricte responsabilité de l'auteur.
© 2008 RIA
Novosti
Publié le 28 septembre 2008
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