Corse
« Nuit bleue » :
les « bonnes raisons » des clandestins
Pierre Corsi
Vendredi 18 mai
2012
Une « nuit
bleue » pour rien. Oui si l’on adopte la
façon de voir continentale. Non si l’on
retient la vision qui pourrait être
celle des commanditaires et si on tire
quelques hypothèses.
Une quinzaine d’attentats. Peut-être
un peu plus. Les cibles ? Pour la
plupart des résidences secondaires
appartenant à des continentaux ou des
étrangers. Les dégâts ? Entre peu
importants et moyens. Donc, a priori,
rien de très surprenant ou
spectaculaire. Si l‘on s’en tient aux
faits bruts, la dernière « nuit bleue »
n’avait rien d’un grand millésime, ne
faisait pas dans l’originalité et a
causé des dommages somme toute limités.
A vrai dire, si elle n’était pas
intervenue quelques jours après le
second tour du scrutin présidentiel et
après la défaite du président sortant,
elle serait presque passée inaperçue.
Ce qui a d’ailleurs été quasiment le
cas de l’autre côté de la mer. Il faut
dire que, depuis plusieurs années, les
violences insulaires – qu’elles soient
politiques ou criminelles –
n’intéressent plus beaucoup les
continentaux. Peu leur importent les
accès de colère des clandestins et les
méfaits des truands insulaires, ils ont
bien d’autres chats à fouetter. La crise
économique et les désordres sociétaux
qui les accablent, monopolisent leur
attention. La Corse et les Corses, ils
s’en fichent comme de leur première
couche-culotte et beaucoup accorderaient
très volontiers « son indépendance » à
cette île « qui coûte cher ». Que les
attentats soient revendiqués ou non, que
le texte les expliquant soit « dur » ou
« modéré », « pro IFF » ou « anti
spéculation », « avertissement au
nouveau président » ou « appel solennel
à négocier », n’empêchera pas Montargis
ou Villefranche de Rouergue de dormir.
Cela ne troublera d’ailleurs pas
davantage le sommeil des responsables
politiques et des dirigeants.
Il y a belle lurette qu’une « nuit
bleue » ou une revendication ne tire
plus du lit les responsables de haut
niveau. Ils en sont avertis le matin,
entre le jus d’orange et le café-crème,
et passent immédiatement à autre chose.
Quant aux politiciens qui, hier,
auraient dénoncé le « terrorisme corse
», ils jugent plus porteurs de monter en
épingle les incendies de voitures devant
les barres d’immeubles par des «
populations dangereuses » ou les
agressions de vieilles dames par des
adolescents aux patronymes exotiques. La
réalité est que la Corse n’est plus
considérée comme un dossier sensible. On
a d’ailleurs pu le vérifier lors de la
campagne présidentielle qui vient de
s’achever. Les candidats venus dans
l’île semblaient davantage sacrifier à
un passage obligé, que chercher à
séduire ou convaincre. D’ailleurs, leur
catalogue de propositions était
particulièrement « light ». Les
observateurs les plus indulgents ou les
plus attentifs n’auront retenus que les
« 900 millions d’euros » promis par
Nicolas Sarkozy et « la ratification de
la Charte européenne des langues
régionales » dont François Hollande a
assuré qu’elle se ferait.
Un bellicisme
mesuré
Alors, une « nuit bleue » pour rien ?
Oui si l’on adopte la façon de voir
continentale. Non si l’on retient la
vision qui pourrait être celle des
commanditaires et si on tire quelques
hypothèses. Les clandestins concernés
ont pu vouloir se rappeler au bon
souvenir de l’Etat et faire savoir au
nouveau pouvoir parisien qu’ils
restaient en mesure d’agir à une échelle
convenable. On peut aussi considérer, au
vu des dégâts relativement peu
importants, que la nature belliqueuse du
message a été volontairement réduite
pour indiquer que l’heure était à la
volonté de dialoguer et qu’un « poseur
de bombes » pouvait très vite se muer en
« interlocuteur valable ».
Mais le ciblage, des résidences
secondaires sur le littoral et dans
l’intérieur, peut aussi suggérer deux
autres préoccupations : contenir la
spéculation immobilière, ne pas céder à
l’économie résidentielle. Ce qui
inciterait à déduire qu’il a été suggéré
à la gauche parisienne de ne pas revenir
sur les lois Littoral et Montagne et
d’encourager la gauche territoriale à
produire un PADDUC exempt de laxisme. On
peut aussi envisager que les auteurs des
attentats aient agi selon des
considérations relevant de rapports de
force au sein de la mouvance
nationaliste. En effet, les
indépendantistes étant candidats aux
élections législatives, il est possible
que la « nuit bleue » ait eu pour
objectif de mobiliser les militants et
les sympathisants de ce camp, dont
chacun sait qu’ils sont des soutiens
inconditionnels des clandestins et de
leurs actions. En effet, sur fond
d’attentats contre des résidences
secondaires, les messages de candidats
dénonçant la spéculation immobilière ne
peuvent qu’être plus audibles.
Enfin, il n’est pas inconcevable
qu’un message aussi explosif
qu’explicite ait été adressé aux
autonomistes qui se laissent volontiers
qualifier de « modérés ». Alors que
Gilles Simeoni et Jean-Christophe
Angelini, tous deux candidats aux
élections législatives, envisagent de
bien figurer et peut-être de gagner, il
leur aurait été rappelé que leur
positionnement politique ne fait pas
l’unanimité dans la sphère nationaliste
et reste fragile. Ainsi, les clandestins
auraient signifié aux deux leaders de
Femu a Corsica leur mécontentement
qu’ils aient refusé l’union entre les
forces patriotiques proposée par les
indépendantistes. Ils leur auraient
également indiqué que toute
compromission électoraliste, donnerait
lieu à des actions « musclées »
susceptibles de leur aliéner des
suffrages. Vous l’avez compris, les «
bonnes raisons » ne manqueront pas aux
rédacteurs du communiqué de
revendication…
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