Droit au retour
Pas
de « solution juste » sans le droit au retour des réfugiés
palestiniens
Pierre-Yves Salingue
22 février 2008
« La force d’Israël, le
soutien des USA, la faiblesse des Palestiniens et la complicité
arabe, tels sont les ingrédients d’une solution imposée du
« problème des réfugiés », basée non sur leurs
droits mais sur leur disparition…l’élimination des réfugiés
palestiniens est indispensable pour qu’un nouveau Moyen Orient
pacifié prenne sa place dans l’économie mondialisée. »
[1]
Ecrites il y a 10 ans, ces lignes
sont hélas toujours d’actualité.
Profitant du désarroi issu de
l’effondrement des illusions nées des accords d’Oslo, tous
les gouvernements israéliens ont poursuivi la destruction de la
société palestinienne engagée dès 1948, avant même la
proclamation de l’Etat d’Israël et la guerre israélo-arabe
qui l’a suivie.
Ceci fut fait avec le soutien total
des gouvernements des Etats Unis et avec la complicité active des
gouvernements européens et des institutions internationales (FMI
et ONU notamment).
Pourtant, malgré les formidables
moyens déployés pour permettre à Israël d’en finir avec
l’existence du Peuple palestinien, il subsiste un obstacle
majeur à la réalisation de ce plan.
Cet obstacle tient en un mot :
(les) REFUGIES.
La raison en est que, par delà
leur nombre (ils sont 6 millions, près des 2/3 du Peuple
palestinien) les réfugiés palestiniens sont, par leur seule
existence, la preuve historique de l’injustice commise par l’ONU
en novembre 1947 et celle de la nature coloniale irréfutable d’un
Etat d’Israël né, non d’une prétendue lutte de libération
nationale, mais d’une opération programmée de nettoyage
ethnique.
Les réfugiés palestiniens sont devenus
« un problème » qu’il convient de résoudre, par tous
les moyens et quel que soit le prix à payer.
Les réfugiés palestiniens, quand ils
revendiquent leur droit au retour sur les terres et dans les maisons
dont ils ont été chassés par la violence des groupes terroristes
sionistes en 1948 puis en 1967, sont la marque identitaire du conflit
israélo-arabe, la preuve vivante de l’illégitimité de cet état
colonial imposé par la force au cœur d’une région arabe convoitée
par l’Impérialisme pour ses richesses et à cause de sa position
stratégique.
Pour supprimer cette marque
identitaire, il faut dissoudre l’existence même des réfugiés
palestiniens et, à défaut de pouvoir les faire disparaître, les
réduire à une question
humanitaire.
Mais voilà…Les réfugiés palestiniens
ne se sont pas transformés en une simple addition de mendiants dispersés
et voués à être absorbés et digérés au sein des communautés
nationales des Etats qui ont
été contraints de les « accueillir ».
Dans leur immense majorité ils ont
refusé d’oublier, ils ont refusé d’être dépossédés de leur
histoire, ils ont collectivement maintenu leur volonté de survivre
et de vivre, ils ont gardé une colère intacte et ils ont refusé
d’abdiquer leurs droits.
Le retour des réfugiés est la substance
de la cause palestinienne.
Longtemps reléguée à une place secondaire
par la direction de l’OLP, principalement préoccupée de se voir
reconnaître l’exclusivité de la représentation du Peuple palestinien
en vue du marchandage visant
la création d’un mini Etat, la question politique des droits
des réfugiés est revenue en force aux lendemains des accords
d’Oslo.
En concentrant l’attention sur la
création de territoires autonomes confiés à une Autorité
palestinienne, Oslo a été une tentative supplémentaire de liquider
« la question des réfugiés ».Le règlement de la question
du retour des réfugiés était différé à des « négociations
finales » dont on espérait qu’elles se perdraient dans les
sables de la négociation des accords intérimaires.
En faisant de la construction de
« l’Etat palestinien indépendant »
son objectif prioritaire, la direction de l’OLP marginalisait
la cause des réfugiés, qui était pourtant la raison d’être du
mouvement de libération de la Palestine.
Réduire le conflit à un problème
de partage de territoires entre Israéliens et Palestiniens, c’est
d’une part reconnaître la légitimité de l’existence de l’Etat
colonial et d’autre part mettre un terme définitif à l’ambition
de « libération nationale », remplacée par une
« processus de paix » où les deux parties « négocient ».
En outre, dès lors que le conflit est
réduit à une querelle frontalière, le problème des réfugiés
semble plus aisé à résoudre : ceux qui le voudront pourront
« revenir dans l’Etat de Palestine » !
Avec le recul de 15 ans, on doit constater
que ce calcul cynique a failli aboutir.
Mais la manœuvre a fait long feu et
la voracité des dirigeants sionistes, fidèles aux ambitions initiales
de la conquête de toute la Palestine, a mis à mal le dispositif
initialement concocté par l’Impérialisme avec la complicité de
la direction palestinienne, d’abord à Madrid
puis à Oslo et Washington.
L’analyse du comportement de l’Etat
sioniste, tant avant que pendant la deuxième Intifada et tant dans
les territoires occupés en 1967 que dans les territoires
occupés en 1948, a convaincu
de nombreux militants palestiniens de la nécessité de rompre
avec une politique de renoncement aux droits fondamentaux, de la futilité
des négociations avec un ennemi bien décidé à mener à son terme
l’entreprise de nettoyage ethnique commencée en 1948 et, en dépit
de sa fragmentation due à sa dispersion géographique, de l’unité
du combat du Peuple palestinien
pour ses droits nationaux.
L’effacement
des illusions d’Oslo a suscité un profond mouvement de réflexion
chez les réfugiés palestiniens.
Des initiatives populaires se sont développées
depuis les camps de réfugiés, dans la diaspora palestinienne et
chez les Palestiniens résidant en Israël, visant à remettre la
question des réfugiés
et de leur retour à la première place de l’agenda palestinien,
considérant qu’aucune paix n’était possible sans l’application
du droit au retour et donc sans la réaffirmation d’un projet de
libération nationale.
L’affirmation de l’exigence du droit
au retour est devenue le point de convergence des luttes des Palestiniens
pour leurs droits.
Le retour n’est plus « seulement »
une revendication, c’est devenu un projet politique qui structure
la reconstruction de l’ensemble d’une démarche collective de
résistance au nettoyage ethnique et d’opposition à la volonté
sioniste de faire reconnaître par les Palestiniens eux-mêmes la
légitimité d’un « Etat juif » et de les faire ainsi
renoncer à leur droit à la résistance.
Le droit au retour des réfugiés,
un droit reconnu par le droit international.
Le droit au retour dans leur pays des
réfugiés et des populations déplacées est un droit clairement
reconnu par le droit international.
L’article 13 de la Déclaration universelle
des droits de l’homme (1948) affirme le droit de chaque individu
de « quitter tout pays, y compris le sien, et d’y revenir ».
Suivant l’article 12 de la Convention
internationale des droits civils et politiques (1966, ratifié par
Israël en 1991 !) « Aucun individu ne peut être arbitrairement
privé du droit d’entrer dans son propre pays ».
La résolution 194 des Nations
Unies, adoptée le 11 décembre 1948, affirme « qu’il y a
lieu de permettre aux réfugiés qui le désirent de rentrer dans
leurs foyers le plus tôt possible… »
L’actualité et la validité de cette
résolution ont été réaffirmées plus de 130 fois depuis !
La résolution 3236, votée en 1974,
réaffirme « le droit inaliénable des Palestiniens de retourner
à leurs foyers et leurs propriétés, d’où ils avaient été déplacés
et déracinés »
Ce droit fondamental a été maintes
fois affirmé pour des peuples déplacés autres que les
Palestiniens. La plupart des accords de paix internationalement soutenus
dans les 25 dernières années ont exigé le retour des déplacés
et réfugiés notamment au Guatemala, au Salvador, au Rwanda, en Géorgie,
en Tchétchénie, en Croatie, en Bosnie, au Kosovo, en Namibie, à
Chypre et au Timor oriental. [2]
Le respect du choix individuel des réfugiés
quant à la mise en application de leur droit a été le principe
directeur de ces accords. Ce droit a été affirmé et son exercice
n’a pas été conditionné
à des négociations postérieures et à la volonté des Etats contrôlant
des territoires occupés à l’occasion d’un conflit.
Dire que le droit au retour est
« un droit inaliénable », c’est dire que ce droit appartient
en propre à chaque personne réfugiée.
User ou ne pas en user
appartient à chaque bénéficiaire
de ce droit.
S’agissant des réfugiés
palestiniens, qui forment le groupe de réfugiés le plus ancien et
le plus nombreux dans le monde,
ce droit est un droit collectif inséparable des droits
nationaux. Il s’inscrit pleinement dans le cadre des revendications
nationales constantes du Peuple palestinien et il ne se substitue
ni ne s’oppose au droit à son autodétermination.
L’immense majorité des Palestiniens
refuse de faire du retour des réfugiés un élément d’une négociation
« Lorsque les négociations israélo-palestiniennes
sur le statut final reprendront, la question des réfugiés palestiniens
en sera probablement l’une des principales pierres
d’achoppement. Depuis la guerre de 1948, la situation des réfugiés
et leur revendication d'une reconnaissance du droit au retour ont
occupé une place centrale dans la lutte palestinienne.
Les Palestiniens préviennent qu’une
communauté de réfugiés en colère dont les principales revendications
resteraient insatisfaites ferait obstacle à tout accord de paix.
L’Organisation de Libération de la
Palestine (OLP) n’a d’ailleurs jamais renié son engagement formel
en faveur du droit au retour…Quand bien même certains officiels
ont proposé de manière informelle des solutions à la question des
réfugiés compatibles avec l’existence d’un Etat palestinien
arabe au côté d’un Etat juif israélien …la direction palestinienne
a réagi de façon ambivalente : tour à tour muette sur la question
et rappelant son engagement pro forma à l’égard du droit au
retour.
Désormais elle doit affronter le regain
d’activisme qu’Oslo et plus récemment
les initiatives informelles de Genève et de People’s Voices
ont réanimé sur la question des réfugiés. » [3]
Les
violentes réactions venues des camps contre l’initiative
de Genève fin 2003 ont laissé sans voix les naïfs qui s’étaient
extasiés devant cette nouvelle initiative de paix généreusement
sponsorisée en Europe.
Mais les soutiens enthousiastes
d’Abed Rabbo et de Yossi Beilin auraient du lire plus
attentivement le rapport d’une commission d’enquête
parlementaire britannique publié au terme d’une visite des
camps de réfugiés de Syrie, du Liban, de Jordanie, de
Cisjordanie et de Gaza (septembre 2000) :
« Partout où nous sommes
passés, les réfugiés affirment que le droit au retour
s’applique à tous les réfugiés, quelle que soit leur
situation matérielle ou financière actuelle et où qu’ils
demeurent aujourd’hui »
Survenu trois ans après la mise en
scène de Genève, un autre événement nous montre l’extrême
difficulté rencontrée par les responsables palestiniens qui
tentent de composer avec la question du droit au retour.
On se souvient du texte dit « Document
des prisonniers » qui fut largement présenté en 2006 comme
la base possible d’un accord politique entre les différentes
factions palestiniennes après la victoire électorale du Hamas et
avant les évènements de Gaza.
Dans la
1ère version diffusée le 11 mai 2006 on
trouvait dès le point 1 la réaffirmation de l’exigence
de « garantir le droit au retour des réfugiés ».
Dans la version publiée le 28 juin
2006 cette formule très « pro forma » est remplacée
par la suivante : « garantir le droit au retour des réfugiés
dans leurs maisons et leurs propriétés dont ils ont été expulsés »
[4]
Entre ces deux versions il y a toute
la distance qui sépare l’affirmation formelle d’un droit, qui
peut facilement être vidé
de sa substance, de la position qui affirme avec force que la
reconnaissance du droit emporte l’adhésion à sa légitimité
incontestable et à sa mise en œuvre pratique et non négociable.
[5]
Cette différence représente un
enjeu majeur.
L’affirmation du droit au retour
signifie que les réfugiés qui le désirent pourront librement
rentrer chez eux, sans contrôle ni restriction et sans avoir à déléguer
à quiconque le soin de négocier des « modalités
d’application ». De telles négociations seraient
la négation de l’exercice du droit reconnu « en
principe » !
C’est la position de toutes les
coalitions palestiniennes pour le droit au retour, c’est le
contenu de tous les appels issus des rencontres de réfugiés
des dernières années.
C’est,
par exemple, l’affirmation sans aucune ambiguïté
du congrès d’Haïfa en mars 2004
« Le congrès affirme son
refus de tout projet qui liquide, contourne ou démantèle le
droit au retour, quelle que soit sa source Le congrès
affirme au monde entier qu’il n’y a pas de paix juste sans la
réalisation et l’application du droit au retour des réfugiés
palestiniens » [6]
C’est aussi le contenu d’un
appel daté du 28 novembre 2007 et signé par une centaine
d’organisations et de comités palestiniens actifs dans
l’ensemble des composantes de la communauté nationale
palestinienne (Palestiniens d’Israël, de Cisjordanie, de Gaza
et de l’exil) qui affirme :
« Le droit des réfugiés à
rentrer dans leur patrie et dans leurs propriétés, d'où ils ont
été expulsés, conformément à la résolution des Nations Unies
194. Ce droit est un droit fondamental qui n'est pas négociable
et ne peut donc être fondé sur un "accord sur une solution »
[7]
Variations sur le thème du
retour des réfugiés
Comme on vient de le montrer, le
droit au retour des réfugiés est à la fois
reconnu par le droit international, fermement revendiqué
par les Palestiniens, qu’ils soient ou non réfugiés, et
ceux-ci en ont fait la pierre angulaire de leur refus de
l’expulsion et de leur résistance au nettoyage ethnique.
Dès lors une question se pose :
pourquoi cette revendication n’est-elle pas inscrite au fronton
d’un mouvement de solidarité qui affirme pourtant son
engagement pour « l’application du droit pour mettre un
terme aux injustices qui frappent le Peuple palestinien de puis 60
ans » ?
Pourquoi n’est-elle pas portée
par ces responsables politiques, et notamment ces parlementaires
européens qui revendiquent leur engagement aux côtés des
Palestiniens confrontés à la colonisation et au mur en
Cisjordanie et au blocus de Gaza ?
En réalité, à l’image de la
direction de l’OLP, les dirigeants des associations, des ONG de
solidarité et les élus « amis des Palestiniens »
adoptent un comportement très ambivalent.
Nombreux sont ceux qui préfèreraient
ne pas en parler, mais il est quand même difficile d’ignorer
l’existence de 2/3 des populations dont on s’affirme « solidaire » !
Alors,
on en parle, comme d’un « problème à résoudre »,
toujours avec une prudente réserve et si possible
sous un angle humanitaire, voire même simplement
caritatif.
Au
surplus, la question
des réfugiés est toujours politiquement secondaire, la
revendication essentielle étant l’affirmation de la nécessité
d’un Etat palestinien indépendant, formule parfaitement formatée
qui vient opportunément se substituer à la double exigence de
droit à l’autodétermination de tout le Peuple palestinien et
de droit au retour des réfugiés.
A
l’image de la plateforme des ONG françaises, on mentionne
la question dans une charte en utilisant la formulation
« une juste solution, fondée sur la légalité
internationale, à la question des réfugiés » [8]
mais la plateforme n’a jamais développé la moindre
action de soutien au droit au retour. Cette revendication a
toujours été écartée de ses initiatives, campagnes, pétitions,
tracts, plaquettes etc. [9]
Et
quand la plateforme se positionne lors des élections de 2007, après
une prometteuse exigence de reconnaître le droit au retour et
l’application de la résolution 194, il est immédiatement
rajouté que « les modalités d’application de ce droit
devront être définies dans le cadre de futures négociations ».
Plus
loin, après avoir affirmé « la reconnaissance du droit au
retour est l’une des clés de la résolution du conflit »,
il est écrit : « la reconnaissance du droit au retour
et les modalités de son application sont parmi les conditions
premières pour poser les bases d’un règlement final du conflit »
Ces
formulations sont rigoureusement à l’opposé de celles des réfugiés
palestiniens, qui ont bien compris que soumettre l’application
pratique du droit au retour à des négociations, et donc au bon
vouloir des Israéliens, c’est y renoncer en pratique.
Mais, à défaut d’être en accord
avec les réfugiés, ces formulations peuvent se revendiquer des
propos d’Elias Sanbar qui affirme que « tout est dans
l’ordre des séquences » : d’abord les Israéliens
doivent reconnaître l’injustice commise à notre égard et
notre droit au retour et après on discutera de l’application et
« évidemment ce ne sera pas 100%, parce que ça
n’est jamais à 100% ». [10]
En fait, pour Sanbar, si le droit
n’est pas négociable, l’application l’est et il suffit de
tenir bon sur « le droit » pour pouvoir en négocier
l’application un jour.
De telles positions trouvent évidemment
des échos très favorables du côté des militants israéliens
pacifistes, probablement partisans sincères d’un règlement négocié
du conflit par la mise en place d’un Etat palestinien qui
devrait permettre de clore définitivement la question des réfugiés.
Complément idéal de Sanbar,
Uri Avnery explique que le problème est « du côté
des Israéliens », car ceux-ci témoignent d’un « manque
de compréhension abyssal » des Palestiniens. [11]
« Le droit au retour représente
le cœur même de la fierté palestinienne. Il est ancré dans le
souvenir de la Nakba…et ignorer ce fait historique rend
impossible la compréhension de la lutte des Palestiniens »
Il propose donc « d’aborder
courageusement cette question », sous ses deux aspects,
d’abord « l’idéologique » puis « le
pratique »
Quand Israël aura reconnu ses
responsabilités historiques dans les malheurs des Palestiniens
(ses responsabilités mais pas sa culpabilité, car « les
buts sionistes étaient directement destinés à une libération
nationale et au sauvetage de millions de victimes de la tragédie
juive en Europe ») alors on pourra traiter la question du
droit au retour qui est « un droit fondamental qui ne peut
être nié à notre époque »
En fait « la solution du problème
des réfugiés coïncidera avec l’établissement de l’Etat de
Palestine ».
Le principe « deux états pour
deux peuples »
est la base du compromis historique martèle Avnery et il
s’impose à la règle du libre choix.
« Il
est clair que le retour de millions de réfugiés palestiniens
dans l’état d’Israël changerait complètement le caractère
de l’Etat contrairement aux intentions de ses fondateurs et de
la plupart de ses citoyens… »
Uri Avnery et l’organisation
qu’il dirige, Gush Shalom, conviennent que cette solution
« n’est pas vraiment juste ».Mais, ajoutent-ils,
« elle présente l’avantage de pouvoir être adoptée par
une majorité d’Israéliens et par une majorité de Palestiniens » !
On retrouve cette approche assez
cynique chez de
nombreux autres « promoteurs de la paix ».
C’est le cas au Parlement européen,
si souvent appelé à la rescousse par ceux qui prétendent que la
voix de l’Europe dans le conflit est quand même plus
progressiste et équilibrée que celle des Etats Unis …
Dans une résolution votée en
octobre 2003, le
Parlement “ demande
aux autorités palestiniennes d'affronter avec réalisme la délicate
question du droit au retour des réfugiés, qui touche
actuellement non moins de quatre millions et demi de personnes, de
façon à pouvoir convenir entre les parties d'une solution juste
et équilibrée qui tienne compte du fait que tous les réfugiés
palestiniens ne pourront pas retourner vers leurs lieux d'origine
et qu'il faut également prendre en considération
les préoccupations démographiques d'Israël ” [12]
Ce texte ignoble, qui dans un même
paragraphe, liquide les exigences du respect de la légalité
internationale et entérine la conception d’un état
ethniquement pur, a
recueilli le soutien de tous les parlementaires européens qui
s’autoproclamaient à l’époque « amis des Palestiniens »,
y compris les membres de la Gauche Unitaire Européenne. [13]
Depuis, Luisa Morgantini, figure de
proue des parlementaires européens toujours « amis des
Palestiniens », a largement confirmé que cette position
n’était pas une « concession tactique pour faire passer
une résolution dans une enceinte majoritairement
hostile aux Palestiniens » [14]
Dans un article publié sous sa
seule signature en avril 2007, elle écrit « …le mieux
serait d’entériner le retour des réfugiés sur leurs propres
terres : les territoires palestiniens occupés » [15]
Le droit au retour des réfugiés
palestiniens est le moment de vérité de toute solidarité.
Pour en revenir à la citation qui
ouvre ce texte, on doit hélas constater qu’un cinquième ingrédient
est venu se rajouter aux quatre précédemment nommés par
Rosemary Sayigh.
Dans le sillage d’Oslo, on a vu naître
beaucoup d’initiatives visant à « promouvoir le dialogue
entre les partenaires israéliens et palestiniens oeuvrant pour la
paix », affirmant un
engagement « en faveur d’une paix juste et durable pour
les deux peuples » et allant même parfois jusqu’à
apporter leur « soutien aux droits légitimes du
peuple palestinien ».
Noble ambition en vérité, à ceci
près qu’un bon nombre de ces initiatives, des coalitions qui
les portent et des organisations qui les soutiennent
se sont autorisées à reformuler « les droits légitimes
des Palestiniens », contribuant ainsi à leur imposer une
solution qu’ils n’ont pas choisie !
On peut en effet constater que
« le droit au retour des réfugiés dans leurs foyers et
leurs propriétés » est décliné de manière diverse mais
rarement dans sa forme originale revendiquée par les réfugiés.
On passe de la « juste
solution, fondée sur la légalité internationale, à la question
des réfugiés » [8], au
« soutien au principe du droit au retour et à
indemnisation dont les modalités doivent être négociées entre
les parties »de la LDH [16] et on aboutit
aujourd’hui à
la pitoyable et tragique formule de l’appel récent de la
plateforme des ONG «
une solution juste du problème des réfugiés fondée sur la
reconnaissance du tort qu’ils ont subi et des droits qui en découlent ».[17]
Quelques larmes et un chèque pour
oublier et pour se soumettre !
Quand on sait que le Mouvement de la
Paix, membre influent de la plate forme et signataire de l’appel
pré cité, est aussi membre fondateur du collectif « 2
peuples 2 états » qui reconnaît que « l’Etat
d’Israël est l’état du peuple juif » et qui demande
« une résolution digne et réaliste de la question des réfugiés
palestiniens conditionnée au respect de la souveraineté israélienne »…on
a des raisons d’être inquiets sur le sens exact qu’il
convient de prêter à la formulation employée dans l’appel de
la plateforme.
On a aussi des raisons d’être
surpris par l’emploi d’une formulation en recul sur celle
adoptée par « le Collectif National » en
novembre 2007. Une déclaration mentionnait l’exigence de
l’application du droit international, dont le droit au retour
des réfugiés. [18]
C’était un progrès
puisque les bases constitutives du « Collectif
national » ne comprenaient pas la revendication du Droit au
retour. [19]
Le refus de défendre le droit au
retour des réfugiés serait-il l’explication de la primauté
subitement accordée à la plate-forme des ONG pour
l’organisation du rassemblement du 17 mai, sur la base d’un
appel qui nie le droit au retour des réfugiés, qui ne dit pas un
mot de l’oppression, des discriminations
et des menaces subies par les Palestiniens résidant en
Israël et qui réduit l’action à un « appel » au
gouvernement français ? [20]
Les militants du mouvement de
solidarité ne s’interrogent-ils pas sur les raisons de ce
changement simultané à l’abandon de la revendication du droit
au retour ?
Les organisations politiques et les
comités de solidarité avec la Palestine vont-ils accepter de se
rallier à un tel appel après sa publication ?
Combien de temps les militants de la
solidarité resteront-ils aveugles aux changements survenus sur le terrain et sourds aux appels
des militants palestiniens qui luttent pour sortir de la situation
catastrophique où les ont menés leurs dirigeants avec Oslo ?
Ces
militants palestiniens ont affirmé de plus en plus clairement
que, face à la stratégie sioniste et impérialiste de
fragmentation forcée du Peuple palestinien, il fallait renforcer
la lutte globale des Palestiniens pour leur libération,
pour fédérer et structurer les combats que
chacun menait dans son contexte : contre
l’occupation en Cisjordanie et à Gaza, pour le retour de ceux
en exil et pour défendre l’existence même des Palestiniens résidant
sur les terres de 1948.
Mais tandis que de plus en plus de
Palestiniens prenaient en compte la réalité de la colonisation
sioniste à outrance des terres palestiniennes occupées après
juin 1967, le renforcement du système de discrimination raciale
à l’égard des Palestiniens d’Israël et affirmaient en conséquence
la nécessité d’en revenir aux constantes de la lutte
nationale et notamment le droit au retour des réfugiés, la
majorité des forces « solidaires » du Peuple
palestinien s’est désespérément accrochée aux lambeaux de
l’illusion d’un « Etat palestinien indépendant » en
évitant de poser la question des Palestiniens de 48,
la question du retour des réfugiés et de reconnaître
enfin que la question qui nous est posée est celle de nous déterminer
clairement en soutien à une lutte de libération nationale.
C’est ainsi que le mouvement de
solidarité a ignoré l’appel BDS des 170 ONG palestiniennes
[21]
Pourtant ces militants palestiniens
nous interpellent de plus en plus explicitement sur la nécessité
de clarifier les bases de notre solidarité.
Ils écrivent :
« Même si le récent « Appel
de la société civile » publié par des associations
suisses, en solidarité avec la Palestine, fait sienne la
philosophie des pressions, il ignore des dimensions fondamentales
de l’oppression israélienne, et en particulier son déni
persistant des droits des réfugiés palestiniens et sa
discrimination raciale à l’encontre de ses propres citoyens
palestiniens » [22]
« Nous
affirmons l’unité du Peuple palestinien et l’unité de sa
cause nationale et nous exigeons que tout accord touchant à des
questions affectant le destin national reflète la volonté générale
de tous les Palestiniens et représente l’ensemble de ce peuple,
qu’il vive sur ses terres -Cisjordanie et Bande de Gaza-, sur
celles de 1948, qu’il soit réfugié ou dans la diaspora. »
[23]
« A
ce titre, nous insistons sur l’adoption des stratégies et
dispositifs suivants :
Développer les
partenariats avec les mouvements de solidarité et étendre leur
champ d’action afin d’inclure tout le peuple palestinien, où
qu’il se trouve » [23]
Ils écrivent encore :
« Par
conséquent, nous considérons que toute reconnaissance de cette
nature (la reconnaissance d’Israël en tant qu’Etat juif) équivaut
à une concession du droit au retour, ce qui conforterait l'exil
et la dépossession de notre peuple et mettrait fin à notre
cause. Quiconque envisage de prendre cette voie portera la
responsabilité historique qui en résultera. » [24]
Qui, 60 ans après
les évènements de la Naqba de 1948, est d’accord pour
abandonner l’exigence du droit au retour et partager
ainsi la responsabilité historique d’une autre Naqba ?
[1]
Dis/Solving
the "Refugee Problem»
Rosemary
Sayigh
Disponible à : http://www.merip.org/mer/mer207/dissolv.html
[2] Les accords de
Dayton (1995) ont mis fin à la nouvelle « guerre des
Balkans » et au
nettoyage ethnique provoqués par l’éclatement de la
Yougoslavie. Ils ont été présentés comme l’expression de la
volonté de la
communauté internationale d’imposer le respect du droit au
retour des réfugiés. On estime à 2,5 millions le nombre de réfugiés
rentrés chez eux dans
les 10 ans qui ont suivi la signature des accords.
[3] International
Crisis Group Rapport Moyen-Orient N°22
5 février 2004
[4] textes des deux versions (en Anglais) sur le site http://www.jmcc.org/documents/docs.html
[5] Est-ce un hasard si la seule version traduite et diffusée
en France est celle du 11 mai ? Un résumé de la première
version a été mis en ligne par l’AFPS le 06/06/2006.Présentée
comme « la version intégrale » le document du 11 mai
a été publié dans Pour la Palestine n° 50 et mis en ligne le
19/10/2006, bien après la publication de la version du 26 juin…
Une lecture attentive permettra de constater quelques autres différences
entre les deux textes…Consultable à
http://www.france-palestine.org/article4843.html
[6] Consultable à http://www.ism-france.org/archives/article.php?id=927&fil=%25&lesujet=%25&lauteur=%25&
lelieu=%25&debut=2004&fin=2004&debutMois=03&finMois=03&leMois=Mars
[7]
http://www.ism-france.org/news/article.php?id=7891&type=analyse&lesujet=Boycott
[8] http://www.plateforme-palestine.org/article.php3?id_article=5
[9] On constatera en revanche que la plate forme n’est pas
avare de textes et d’outils dès lors qu’il s’agit du Mur et
de dénoncer les « 40 ans d’occupation »
[10] http://www.france-palestine.org/article1877.html
[11] Uri Avnery. Le droit au retour. Version en anglais sur le
site de Gush Shalom. Publié sur le site de Solidarité Palestine
(aujourd’hui disparu) en janvier 2001.Traduction Olivier Roy.
Nouvelle traduction dans « Chroniques d’un pacifiste israélien
pendant l’Intifada ».Publié par « les cahiers de
confluences » en 2002.
[12 Voir
http://www.enfantsdepalestine.org/ar,89
[13] Résolution adoptée par 343 pour, 19 contre et 57
abstentions.
[14] C’est la substance des réponses à mes critiques de
Yasmine Boudjenah et Roseline Vachetta pour justifier leurs votes
favorables.
[15] En attendant d’être tués Il manifesto 06 avril 2007.
En ligne à http://www.ism-france.org/news/article.php?id=6637&type=analyse&lesujet=R%C3%A9fugi%C3%A9s
[16] http://pagesperso-orange.fr/felina/doc/israelpalest/resolution2003.htm
[17] http://www.protection-palestine.org/IMG/pdf/Appel_a_personnalites.pdf
[18] http://www.france-palestine.org/article7595.html
[19] Le Collectif appelait aussi à des sanctions économiques
contre Israël et à l’arrêt de la coopération militaire de la
France avec Israël. Ces aspects, pourtant formulés de façon très
prudente, sont totalement absents de l’appel de la Plate Forme.
[20] Faut-il y voir le seul résultat de l’influence de la
LDH et du Mouvement de la Paix, dont les signatures ne figurent
pas au bas de l’appel du Collectif mais qui soutiennent
l’appel de la Plateforme ?
Bernard Ravenel, président de l’AFPS et aussi président
de la plate-forme des ONG, a probablement une réponse.
[21] http://www.ism-france.org/news/article.php?id=3191&type=communique&lesujet=Boycott
[22] Lettre ouverte du PACBI à la Conférence de l’ECCP (Genève,
25 – 29 mai 2006) http://www.ism-france.org/news/article.php?id=4843&type=analyse&lesujet=Boycott
[23] http://www.ism-france.org/news/article.php?id=7698&type=communique&lesujet=R%C3%A9sistances
Ce texte mentionne la présence de la Plateforme des ONG françaises
pour la Palestine dans la liste des ONG participantes et
partenaires. Il comporte la mention explicite du Droit au retour.
Il s’agit donc soit d’une erreur soit d’une preuve de
duplicité. Là aussi le Président de la plate-forme peut sans
doute répondre.
[24] http://www.ism-france.org/news/article.php?id=7891&type=analyse&lesujet=Boycott
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