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Analyse
Pendant
que les résistants meurent, les collabos prospèrent
Pierre-yves Salingue
Le 11 septembre 2007
Akram Abu Sba’
est mort le 05 septembre à Jénine « dans un affrontement inter palestinien »
nous apprennent les communiqués de presse.
Une déclaration de l’ISM confirme qu’il a été tué « alors
qu’il faisait son devoir et qu’il essayait de faire baisser
les tensions entre des membres des services de sécurité et des
membres du Jihad islamique » (1)
Au-delà de celles et ceux qui l’avaient rencontré au camp de Jénine,
témoin infatigable de la lutte menée par les réfugiés du camp
contre les incursions quasi quotidiennes de l’armée israélienne
et défenseur acharné des droits des résistants emprisonnés
dans les geôles israéliennes, Akram était connu pour son
apparition dans le film de Bakri, « Jénine Jénine ».
Je l’ai rencontré pour
la première fois en juillet 2006, chez lui, au camp de Jénine.
Il se remettait d’une blessure dont il avait été victime lors
d’une récente attaque israélienne. Ce jour là l’armée israélienne
avait effectué une opération visant apparemment à atteindre
Zacharia Zubeidi, un dirigeant charismatique des brigades des
martyrs Al Aksa à Jénine
Une fois de plus, et assez miraculeusement, Zubeidi en avait réchappé
et Akram était intarissable sur la capacité tout à fait
extraordinaire de Zubeidi à survivre à toutes les tentatives
d’assassinat israéliennes.
Nous avons enregistré cet entretien et Akram est l’un des témoins
importants du film Samidoun, où il s’exprime notamment sur la
question des prisonniers palestiniens.
Akram était membre de l’ISM et je peux comprendre que ses
camarades aient fait le choix de rester évasifs sur les
circonstances qui ont entouré sa mort.
Mais je crois que le soutien à la lutte du Peuple palestinien et
la défense de la mémoire de tous ceux qui ont été directement
ou indirectement victimes de l’occupation coloniale sioniste de
la Palestine nous imposent un devoir de vérité et de clarté, au
service de la poursuite de la lutte et de la solidarité avec
cette lutte.
Peu de temps avant sa mort Akram a été directement impliqué
dans une affaire qui a suscité beaucoup de réactions en
Palestine mais assez peu de commentaires ici.
Le 27 août, un officier israélien en uniforme s’est introduit
avec son véhicule privé dans les rues de Jénine.
Il a été repéré et un groupe du Jihad s’apprêtait à
l’emmener (l’enlever ?) quand des forces de sécurité
palestiniennes sont intervenues, l’ont pris en charge et l’ont
ensuite remis à l’armée israélienne après coordination. Des
dizaines de Palestiniens en colère ont alors brûlé la voiture
restée dans Jénine.
Akram a participé à ce « sauvetage » en sa qualité
d’officier de la garde présidentielle.
Dans ce contexte, l’incident dans lequel Akram a été tué
prend une autre dimension.
Des militants
abandonnés et trahis.
Sur le fond je
partage totalement l’appréciation suivant laquelle ce
comportement des forces de sécurité palestiniennes « fidèles
au Président Abbas » est de « la collaboration pure
et simple » (2)
Mais ce qui m’intéresse ici, c’est de tenter de répondre à
une question : Comment un militant comme Akram a-t-il pu en
arriver là ? Et au-delà, comment des militants honnêtes et
ayant participé sans ambiguïté à la résistance à
l’occupation en arrivent-ils à participer ou à cautionner de
telles actions et pour certains, parfois, à renoncer à la
lutte ?
Une réponse facile est évidemment de dire que toute situation
d’occupation durable d’un territoire par une force armée étrangère
génère non seulement la résistance d’une partie de la
population mais aussi la collaboration d’une autre partie.
Mais ce constat n’est guère opérationnel s’agissant de résistants
aguerris, militants politiques engagés de longue date et dont la
réalité de l’engagement passé dans la lutte est indiscutable.
La collaboration plonge ses racines dans l’accord politique signé
par la direction palestinienne avec l’Etat
d’Israël dit « accords d’Oslo ».
On trouve dans ces accords, passés avec la force occupante, un
engagement palestinien à renoncer à la résistance alors que
l’occupation coloniale se poursuit !
Abbas, qui a condamné les « attentats suicide » et
qui vient de prendre une série de décrets déclarant « illégale »
toute action de résistance, a signé en mai 1994 un accord qui précisait :
"…la partie palestinienne prendra toutes
les mesures nécessaires pour empêcher tout acte d’hostilité
à l’encontre des implantations, des infrastructures les
desservant et de la zone d’installation militaire…"
On ne dira jamais trop l’incroyable capitulation de
la direction palestinienne, de Arafat et d’Abbas en particulier,
consistant à accepter une « autonomie provisoire » en
échange d’un engagement à protéger les forces occupantes et
les colonies israéliennes.
Le peuple palestinien en général et les militants qui on renoué
avec différentes formes de résistance armée, notamment après
octobre 2000, paient le prix de cette capitulation et de cette
tromperie, victimes du piège de l’autonomie qui devait mener à
l’état indépendant palestinien.
En fait de conquêtes de droits et de conditions de vie
meilleures, l’immense majorité de la population a trouvé plus
de répression, plus de colonisations détruisant les terres,
moins d’emplois (sauf à devenir fonctionnaire, dépendant de
l’Autorité et affilié à la faction politique et/ou au clan
qui contrôlait l’accès à ces emploi « privilégiés »),
plus de corruption etc.
L’échec programmé de la « deuxième Intifada », inévitable
dès lors que les dirigeants de l’Autorité et de tous les
partis palestiniens ont renoncé à construire une mobilisation
populaire sur la base d’une remise en cause explicite des accords d’Oslo, a laissé les
militants de la lutte armée de plus en plus isolés et exposés
à la répression féroce de l’armée d’occupation.
En Cisjordanie notamment, de par l’omniprésence de l’armée
à proximité des zones habitées et le quadrillage policier de
tous les axes de circulation, toute action de résistance exposait
ses auteurs à la mort ou à l’arrestation et leur faisait
endosser la responsabilité de mesures répressives exercées à
l’encontre de leurs proches : destruction des maisons
familiales, arrestations de pères et frères, mises en danger de
quiconque se proposait de les cacher ou de les héberger etc.
Dans un entretien accordé en juillet 2007 et qui suivait de peu
l’annonce de son ralliement à l’accord signé par Abbas avec
Olmert qui acceptait d’amnistier ( !) 178 combattants
recherchés par les Israéliens à condition que ceux-ci renoncent
à la lutte armée contre Israël et intègrent les forces régulières
sous l’autorité d’Abbas, Zaccharia Zubeidi déclarait
« pour l’instant ce que j’espère le plus
c’est de réussir au moins dans mon travail ou ma carrière »
(3)
Peu de temps après il expliquait qu’il était las et
qu’il souhaitait tout simplement pouvoir vivre, étudier etc.
On imagine ici difficilement ce que signifie vivre pourchassé,
sachant qu’on figure sur une liste de militants recherchés,
avec pour seule perspective la mort ou l’emprisonnement…
Surtout quand la conviction de servir les intérêts de son peuple
et de bénéficier de sa pleine sympathie se heurte aux hésitations
bien légitimes d’une population qui entend ses propres
dirigeants condamner les
attaques contre l’armée israélienne !
En juillet Abbas a multiplié les déclarations condamnant les
actes de résistance, il a signé un décret déclarant illégales
les actions des groupes armés et Fayyad a présenté un programme
de gouvernement qui ne mentionnait même pas le droit de résister
à l’occupation coloniale.
Pour celles et ceux qui ont vu ou verront le film Samidoun, je
veux dire ici que les militants des brigades des martyrs al Aqsa
partent dormir à la Muqata de Naplouse, non seulement parce
qu’ils ne veulent plus mettre en danger les gens qui les hébergent
(ce que dit le commentaire), mais aussi parce que de moins en
moins d’habitants le leur proposent …
On était alors en juillet 2006 et ce processus de désagrégation
politique s’est approfondi et a désormais gagné les dernières
zones de résistance qui tenaient encore en Cisjordanie, notamment
à Naplouse et à Jénine.
Une victoire électorale
illusoire.
En votant
majoritairement pour le Hamas en janvier 2006, la population de
Cisjordanie et de Gaza a
fait une nouvelle tentative de sortir du piège d’Oslo, une
« intifada électorale » vouée hélas à un échec
similaire à celui du soulèvement de 2000, dès lors que l’élection
d’une majorité différente ne pouvait pas prétendre inverser
la logique infernale d’un dispositif qui livre les Palestiniens
pieds et poings liés à l’occupant et accroît sa dépendance
à l’égard de la manne financière de l’impérialisme
La prétention du Hamas à faire jouer en faveur de la population
« un appareil d’état sans état » (4)
dont la mission est de favoriser la liquidation de la cause
nationale palestinienne, a fait long feu face à la réalité du
blocus imposé par les puissances occidentales bien décidées à
infliger une leçon à ces Palestiniens qui refusaient
d’abdiquer et tentaient de détourner un processus électoral
destiné à normaliser la situation d’occupation coloniale.
A son tour, tout en maintenant son refus des compromissions et son
refus d’abandonner les revendications nationales, le Hamas n’a
pu que prendre ses distances à l’égard des actions de résistance
menées par d’autres forces politiques et par des groupes assez
peu contrôlés par le niveau politique.
La vie quotidienne de la population a continué de se dégrader,
à ses yeux les clivages politiques sont apparus n’être que des
batailles pour le pouvoir et pour le contrôle de l’argent venu
de l’extérieur.
Cet échec inévitable a suscité une nouvelle vague de
frustration dans la population palestinienne qui s’est ajoutée
à la désastreuse expérience de la déliquescence de l’OLP et
notamment de la corruption du Fatah au cours des années Oslo.
Si on ajoute à ce tableau déjà sombre la faillite totale de la
gauche palestinienne à proposer la refondation d’un projet
politique de combat unifiant, collectivement discuté au sein de
l’ensemble du Peuple palestinien, on a tous les éléments
permettant de comprendre que de nombreuses hésitations et dérives
individuelles sont avant tout le résultat des trahisons ou des
faillites collectives des différents courants politiques
palestiniens.
S’agissant de combattants armés, des questions lancinantes
ont peu à peu émergé chez la plupart de ces militants jeunes et
sincères : Pourquoi continuer à risquer la prison ou la vie
si tous ces sacrifices ne mènent à rien ? Pourquoi mettre
ma famille et mes proches en danger par mes actions de résistance
si celles-ci sont désormais systématiquement condamnées par les
dirigeants politiques ?
Pourquoi devrais-je être en permanence une cible menacée
ou même un clandestin incapable de nourrir sa famille quand je
vois mes anciens amis
reconvertis en « professionnels » d’ONG régulièrement
payés et d’autres amasser en peu de temps quelques jolies
sommes à l’occasion de campagnes électorales en faveur de tel
ou tel dirigeant ? Pourquoi
ne pas accepter de devenir un membre des forces de sécurité
« régulières » si ça me permet de survivre ?
Et plus généralement pourquoi combattre, quand mes représentants
adoubés par les puissances occidentales et soutenus par les
institutions internationales déclarent qu’aujourd’hui,
« résister, c’est d’abord
négocier » ? Déjà en 2005 on pouvait, dans un spot
tournant sur les télés israéliennes, voir Erekat déclarant aux
spectateurs israéliens « aidez-nous à vaincre les
extrémistes palestiniens » !
Suite à l’éviction, par le Hamas, des milices du Fatah liées
à Dahlan, Abbas a réaffirmé son
engagement, auprès d’Israël et des pays impérialistes,
à mettre tous les moyens en son pouvoir pour neutraliser toute résistance
en Cisjordanie. La principale conséquence de cet engagement suivi
d’effets est le renforcement de la contradiction, pour de
nombreux militants du Fatah, entre la fidélité à la direction
historique de l’OLP et la poursuite du combat contre
l’occupation.
C’est ainsi que des militants authentiques se retrouvent à
participer ou à cautionner des agissements qui participent de
l’affaiblissement de la lutte du peuple palestinien et
renforcent les divisions entre ceux qui ont combattu ensemble
l’ennemi israélien.
Pas de
connivence avec les liquidateurs de la cause palestinienne !
Cette semaine, en
France et dans d’autres pays européens, des organisations
politiques qui se disent solidaires des revendications du Peuple
palestinien et des associations du mouvement de solidarité vont
rencontrer Abdallah
Al Frangi, responsable des relations extérieures du Fatah.
Au-delà de la trajectoire assez controversée de l’intéressé
qui fait partie de ceux qui ont opportunément quitté la bande de
Gaza avant « les évènements de l’été »,
il est clair que Al Frangi est envoyé en Europe par Abbas pour
redorer le blason du Fatah et légitimer l’ensemble des mesures
anti-démocratiques du gouvernement de Fayyad.
Rencontrer cet individu, même pour simplement « échanger
avec lui », c’est ni plus ni moins
légitimer le coup d’état rampant de Abbas et de la
direction du Fatah : une direction de plus en plus sous la
coupe du courant des collaborateurs, à l’image de Dahlan ou de
Al Frangi.
Cette semaine aussi, Kouchner est au Moyen-Orient. Son programme
ne prévoit pas d’aller à Gaza.
Abbas cautionne expressément ce boycott.
Dans le même temps, en France, des militants s’apprêtent à
rencontrer le représentant d’Abbas !
Les mouvements de solidarité avec les luttes des peuples pour
leur indépendance n’avaient pas pour habitude de rencontrer les
représentants des régimes fantoches, inféodés à l’occupant
et soumis aux plans de l’Impérialisme.
Ceux qui, comme Akram, sont morts ces derniers mois dans « des
affrontements inter palestiniens », ceux qui sont morts en
allant se faire exploser en Israël ou près des colonies, ceux
qui par milliers croupissent dans les prisons israéliennes
pendant qu’Abbas, Fayyad, Abed Rabbo et Erekat trinquent avec
Olmert et autres assassins du Peuple palestinien , ceux qui hésitent
à rendre les armes et ceux qui refusent encore, tous ceux là
sont les victimes de la soumission de la clique capitularde d’Oslo,
dont la corruption et le clientélisme ont défiguré la lutte de
libération et détruit la perspective et la volonté de combat
collectif.
A tout le moins, l’affirmation d’une solidarité réelle avec
le combat palestinien exige de se tenir à distance des représentants
de cette maffia.
(1)
Article consultable à http://www.ism-france.org/news/article.php?id=7409&type=temoignage&lesujet=
Victimes%20ISM
(2)
Article de Julien Salingue consultable à http://www.aloufok.net/article.php3?id_article=4130
(3)
Article consultable à
http://www.ism-france.org/archives/article.php?id=7112&fil=%&lesujet=%&lauteur=%&lelieu=%&
debut=2007&fin=2007&debutMois=07&finMois=07&leMois=Juillet
Voir
article Julien Salingue http://www.aloufok.net/article.php3?id_article=4130
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