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Chronique
Vers la
nationalisation du Prix Goncourt
Philippe Randa
Philippe Randa
Mardi 17 novembre 2009
Généralement, l'attribution du Prix Goncourt est l'occasion de
polémiques sur la partialité des jurés, leurs intérêts
personnels n'échappant peut-être pas toujours à certaines
pressions éditoriales, ce que l’on comprend facilement aux vues
des conséquences financières qu’il offre.
Cette année, le choix de la lauréate a surtout suscité une
réaction politique. L’attribution du « prix littéraire le
plus prestigieux », selon les propres termes d’Éric Raoult,
député de Seine-Saint-Denis, à Marie NDiaye, l’a fortement
contrarié. Pas pour des raisons littéraires, il n’est même pas
dit qu’il ait lu son roman, ni les autres en compétition. Mais
parce que madame NDiaye n’apprécie guère le gouvernement de
notre pays et tout particulièrement son actuel Ministre de
l’Intérieur Brice Hortefeux et moins encore le président Nicolas
Sarkozy. La Belle affaire ! Il ne semble pourtant pas qu’elle
soit la seule dans ce cas, mais il est vrai que tout le monde
n’a pas choisi d’aller vivre à Berlin, en dénonçant une «
atmosphère de flicage, de vulgarité » et jugeant «
monstrueux », entre autres, l’actuel ministre de
l’Immigration, Éric Besson.
Éric Raoult juge ses propos « d’une rare violence », «
peu respectueux, voire insultants ». Sans doute ! Fort de
cette constatation, il se croit alors permis de sommer le
ministre de la culture Frédéric Mitterrand de « rappeler les
lauréats à (un) nécessaire devoir de réserve ». Rien de
moins.
Monsieur Raoult ignore sans doute que l’attribution du Prix
Goncourt est une affaire privée et non public. Les contribuables
français n’y sont pas de leur poche et le choix que font les
jurés, discutable ou non, ne les concernent qu’eux, leurs
conscience, voire ceux qui décideront ou non de lire l’œuvre
ainsi honorée.
De plus, les propos de madame Ndiaye ayant été tenus le 30 août
dernier, alors qu’elle n’était pas encore primée, monsieur
Raoult entend donc ni plus ni moins que l’obtention d’un prix
littéraire soit soumis à quelques enquêtes préalables de probité
politique.
Il y a un précédent célèbre. En 1953, l’écrivain Saint-Loup
était promis à un tel honneur pour son roman La Nuit
commence au Cap Horn. Son identité fut toutefois révélée au
dernier moment par Le Figaro Littéraire : il n’était
autre que l’écrivain Marc Augier, inscrit par ordre alphabétique
en tête de la liste des écrivains épurés à la fin de la Seconde
Guerre mondiale. Exilé en Amérique du sud, il venait de rentrer
en France peu de temps auparavant. Toutefois, parmi les jurés,
seule Colette ne rétractera pas son vote suite à la polémique.
Si tant est, toujours selon les termes employés par monsieur
Raoult que « le message délivré par les lauréats se doit de
respecter la cohésion nationale et l’image de notre pays »,
il serait surtout préférable qu’il lui soit rappelé à lui, élu
de la République française, et non à Marie NDiaye, élue de la
simple République des Lettres, le « nécessaire devoir de
réserve qui va dans le sens d’une plus grande exemplarité et
responsabilité. »
À nouveau selon ses propres termes.
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