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IRIS
L'échec du multilatéralisme de Copenhague
et la nécessité d'une organisation mondiale de l'environnement
Philippe Hugon
Philippe Hugon - Photo IRIS
Lundi 21 décembre 2009
« Quand
la case brule, il faut arrêter les palabres »
(proverbe Ashanti).
La conférence de Copenhague sur le climat s’est terminée le 19
décembre 2009 au matin. On avait parlé d’une conférence qui
sauverait la planète et de défi historique. Il s’agissait de la
plus grande conférence de l’histoire avec 192 Etats et 110 chefs
d’Etat et de gouvernements présents. L’objectif à atteindre
était d’avoir un cadre contraignant visant, selon les
recommandations du GIEC, à limiter à +2° la température d’ici
2100 avec une réduction de gaz à effet de serre (GES) de 25 à
40% d’ici 2020 et de 50% d’ici 2050. L’ « accord
de Copenhague »
est un grave échec. La conférence s’est conclue par un accord
politique a minima
au statut juridique flou sans engagement clair. Le texte adopté
par 28 chefs d’Etat se donne un objectif de +2° d’ici à 2050
mais sans en préciser les moyens.
Chaque pays
déclarera ses engagements de réduction de GES tous les deux ans.
Un financement de 30 milliards $ est prévu entre 2010 et 2012 et
une enveloppe de 100 milliards $ en 2020 afin de réduire les
émissions de GES des pays en développement et favoriser leur
adaptation. Le mécanisme de lutte contre la déforestation a été
adopté (REDD-plus). Un accord contraignant et encore moins un
Traité n’ont pu être signés. Cet échec tient à l’ampleur des
conflits d’intérêts entre les Etats, au jeu bipolaire des
Etats-Unis et de la Chine, et aux impossibilités de mettre en
place un processus de production et financement de biens publics
mondiaux dans un cadre onusien, en l’absence de volonté forte
des principales puissances émettrices de CO2. Elle traduit les
changements de rapports de force et le rôle des Suds dans
un contexte à la fois de crise mondiale et de montée en
puissance des émergents.
1/ Les conflits d’intérêts et la
priorité de la Realpolitik
Les oppositions d’intérêts entre les grands acteurs étaient
considérables notamment entre le Nord développé, le Sud pauvre
et les émergents, mais également au sein de chacun de ces
groupes.
A l’intérieur des pays développés, les positions divergeaient
fortement. Les Etats-Unis (+ 20% d’émissions de GES), qui n’ont
pas ratifié le protocole de Kyoto, ont certes depuis la
présidence d’Obama reconnu l’existence des changements
climatiques et les effets négatifs des GES. Ils se sont engagés
à réduire de 17% environ d’ici 2020 par rapport à 2005 et de 4%
par rapport à 1990 leurs émissions de GES (alors qu’ils les ont
augmentées de 20% entre 1990 et 2008). L’opinion américaine a
légèrement évolué. Mais les Etats-Unis croient aux solutions
techniques, demeurent réticents vis-à-vis des contraintes
multilatérales et voulaient que les pays émergents à commencer
par la Chine premier émetteur de CO2 s’engagent fortement avec
vérification des engagements. Ils souhaitaient que le fonds de
l’ordre de 100 milliards $ soit adossé à la Banque mondiale. Le
timing des débats politiques aux Etats-Unis n’était pas
en phase avec le calendrier de Copenhague. Le débat au Sénat se
heurte aux lobbies agricoles et aux « libres échangistes »
craignant les normes, les taxes et la concurrence déloyale.
L’UE, dont les Etats membres ont signé le protocole de Kyoto,
s’est engagée à baisser les émissions de GES de 20% (par rapport
à 1990) d’ici 2020 et 30% si les autres grandes puissances s’y
engagent. Elle a proposé d’allouer 7,2 milliards d’euros sur 3
ans à l’Afrique et a envisagé un financement annuel de 100
milliards d’euros d’ici 2020. Elle s’est présentée comme
vertueuse mais a peu pesé dans le processus. La France a joué un
rôle visible par rapport à la Suède présidente discrète de l’UE
mais ce volontarisme cherchant à trouver des alliances avec
l’Afrique et le Brésil l’a fait accuser de ne pas jouer
collectif. Les pays de l’annexe 1 qui avaient ratifié le
protocole de Kyoto ne représentent aujourd’hui que 30 % des
émissions de GES.
Le Sud regroupé dans le G 77 sous la présidence du Soudan a
montré, au-delà des divergences d’intérêts considérables entre
les émergents, les immergeables et les pauvres, une certaine
unité, fondée sur l’absence de responsabilité historique. Les
pays du Sud ne sont pas membres de l’annexe 1 du protocole de
Kyoto. En revanche, il y a opposition croissante entre les
émergents grands émetteurs de GES et les pays pauvres et
vulnérables subissant le plus les conséquences des changements
climatiques.
Les pays émergents, regroupés au sein du BASIC (Brésil,
Afrique du sud, Soudan, Inde, Chine), qui émettent 40 % des GES
et qui deviendront de plus en plus les gros émetteurs de GES de
la planète n’ont pas voulu brider leur croissance et signer des
accords contraignants et accompagnés de sanction. La Chine est
devenue le premier émetteur de CO2 (6,2 milliards T CO2) mais
considère qu’elle n’a pas de responsabilité historique
(estimation de 7% d’émission de GES depuis la révolution
industrielle contre 77% pour les pays industriels). Elle
continuera, au-delà des déclarations en faveur de la croissance
verte, de construire une centrale thermique par semaine à base
de charbon. Sa déclaration de réduire de 40 à 45% d’ici 2020 par
rapport à 2005 l’intensité en carbone d’un point de PIB conduit
à augmenter de 50% ses émissions de GES du fait de sa croissance
prévisible du PIB de l’ordre de 7% par an. La Chine refuse les
mécanismes de vérification des émissions (MRV) considérées comme
une ingérence extérieure. L’Inde demeure encore plus réticente
malgré quelques déclarations vis-à-vis de contraintes fortes
bridant sa croissance et considère qu’elle est peu émettrice de
CO2 (1,2 T par habitant). Les pays pétroliers à commencer par
l’Arabie Saoudite ont nié les liens entre GES et climat.
Les pays pauvres et vulnérables notamment l’Afrique et les Etats
insulaires – 43 petits Etats insulaires AOSIS, faibles émetteurs
de GES (4% pour l’Afrique) – voulaient des compensations
financières à la hauteur des coûts d’adaptation liés aux
changements climatiques. Les deux principaux dossiers
concernaient la lutte contre la déforestation (20% des émissions
de CO2) et l’adaptation aux changements climatiques.
2/ Un cadre de négociation
inadapté pour un bien commun mondial
La réussite relative du protocole de Kyoto tenait à une
conjonction astrale unique et au fait que les premiers pollueurs
de l’époque ne s’étaient pas engagés et que les futurs grands
émetteurs étaient exclus des contraintes et bénéficiaient des
MDP (mécanismes de développement propre). Cette conjonction ne
s’est pas reproduite dans le climat maussade de Copenhague.
La Conférence s’est déroulée par commission d’experts puis
réunion des ministres de l’Environnement et enfin par réunion de
120 chefs d’Etat et de gouvernement. Les sherpas n’ont pas été
capables de rédiger un texte prêt à être négocié et adopté par
les politiques. Il y a eu des moments de psychodrames avec le
départ momentané des 53 Etats africains le 14 décembre, la
démission de la présidente danoise le 16 décembre ou la
diffusion de textes confidentiels. L’accord politique obtenu au
final entre les 28 Etats n’a pas été adopté par tous les autres
pays. Le brouillon du texte danois prévoyait un pic d’émission
de GES en 2020 pour atteindre l’objectif de +2° d’ici la fin du
siècle. Le BASIC (Brésil, Afrique du Sud, Soudan, Inde, Chine)
s’est constitué comme groupe leader des pays émergents et du
G77. Il demandait la prolongation du protocole de Kyoto. Il a
rappelé la responsabilité historique des pays du Nord, refusé
les taxes carbone aux frontières perçues comme des mesures
protectionnistes, demandé des financements publics pour les
adaptations nécessaires et les transferts des technologies. Le
compromis du maltais prévoyait une baisse de 25 à 40% d’ici 2020
et de 50 à 90% d’ici 2050 pour les pays développés (du Nord) et
une substantielle déviation de -15 à -30% d’émission de GES pour
les pays du Sud. Le Brésil a joué un rôle de pont en participant
au texte du BASIC mais également en négociant avec la France et
les pays africains.
Il parait évident que le cadre onusien – un Etat une voix –
n’est pas adéquat pour traiter de la question des biens publics
mondiaux renvoyant à des choix de développement voire
civilisationnels. Le monde n’est pas encore multipolaire mais le
monde occidental à commencer par la puissance américaine ne peut
plus imposer sa voix. La montée des émergents a fait éclater
au-delà du discours le Sud et le G77. Le G2 a montré sa
puissance. Les dossiers étaient trop nombreux et trop
conflictuels pour conduire à des accords sur la responsabilité
commune mais différenciée des pays, sur le partage du fardeau,
sur l’atténuation et l’adaptation, sur le prolongement ou non du
protocole de Kyoto, sur le montant et les modalités du
financement par le Nord, sur le suivi des promesses et les
manières de les tenir, sur le caractère contraignant des accords
et les sanctions.
Quel futur ?
L’éventuelle signature d’un Traité est reportée d’un an à
Mexico. Le protocole de Kyoto continuera jusqu’en 2012. Un
nouveau protocole sur le climat doit impérativement être mis en
place entre 2013 et 2017. L’échec de Copenhague est grave. Si
les risques de chaos climatique non linéaires ni probabilisables
possibles selon les grands experts du climat se réalisent, la
responsabilité des politiques sera considérable. La mise en
place d’un régime international climatique (ensemble de
principes, de règles, de normes, de sanctions entre des acteurs
dont les intérêts, les croyances, les valeurs, les pouvoirs
structurels et relationnels diffèrent) n’est pas possible par
les processus onusiens. Ceux-ci sont faits de marchandage,
d’alliances à géométrie variable, de séduction vis-à-vis des
faibles et de jeu contrôlé par les forts mais ils reposent sur
la fiction d’un Etat une voix et un besoin d’unanimité sans
qu’existe un conseil de sécurité climatique. Les progrès peuvent
venir des voies unilatérales et régionales. Certains Etats et
régions sont prêts à faire des efforts hors d’un cadre
multilatéral par des engagements nationaux et régionaux. La
signature d’accords régionaux peut être la base de refondation
d’un accord planétaire.
La création d’une organisation
mondiale de l’environnement se pose plus que jamais avec acuité.
Elle pourrait être quadripartite proche du modèle de l’OIT
tripartite. Elle devrait permettre un débat public et des
processus de contrôle et de décision entre les scientifiques
(experts) apportant leurs connaissances et doutes au nom de la
planète, les entreprises mettant en place une
responsabilité écologique ou agissant grâce à des incitations,
normes ou taxations, des Etats chargés de la mise en
œuvre des règles, des normes et des taxes et des associations
environnementales permettant la prise de conscience des
citoyens et consommateurs, suscitant les débats et les agendas.
Elle permettrait de coordonner les 500 conventions climat
existantes, de favoriser la constitution d’un droit
international environnemental, de vérifier l’application des
engagements des Traités. Elle pourrait contribuer à la mise en
place d’un prix mondial du CO2, d’une valeur mondiale donnée à
la biodiversité, d’une meilleure coordination des différents
fonds publics, privés et associatifs existants.
Philippe Hugon, Directeur de recherche à
l'IRIS
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Publié le 21 décembre 2009 avec l'aimable autorisation de l'IRIS.
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