Opinion
Oslo: qui sème la
peur de l'islam récolte la haine
Pascal Boniface
Pascal
Boniface - Photo IRIS
Vendredi 29 juillet
2011
Dans les heures qui
ont suivi les attaques qui ont fait 76
morts à Oslo, un certain nombre de
journalistes et d'experts occidentaux
ont immédiatement attribué ces attentats
à Al Qaïda. Ils ont expliqué doctement
les raisons pour lesquelles Al Qaïda en
voulait spécifiquement à la Norvège.
Cela traduit le danger de commenter à
chaud un événement sur lequel on a peu
d'informations. Le piège de la dictature
de l'instant et de l'information
instantanée conduit certains à parler
sans prendre le recul nécessaire. C’est
également significatif du formatage
intellectuel de nombreux commentateurs
occidentaux des questions
internationales : s'il y a un attentat,
l'origine ne peut qu'être islamiste.
Cela montre que l'idéologie et les
préjugés peuvent s'avérer plus fort que
la réalité, et que trop de personnes
parlent sans savoir. Europol, dans un
rapport récent sur le terrorisme en
Europe, révélait que sur 294 attentats
en Europe survenus en 2009, un seul
était attribué au terrorisme islamiste.
Mais rassurons-nous : tous ceux qui ont
attribué à Al Qaïda les attentats d’Oslo
– arguments et démonstrations à l’appui
– continueront de pérorer.
Très rapidement ils ont été démenti, et
ne seraient plus de ce monde si le
ridicule tuait encore. L’auteur du
double attentat, Anders Behring Breivik,
n'était en rien un musulman aveuglé par
le radicalisme, mais un Norvégien
d'extrême droite, animé par la haine des
musulmans. Il avait préparé ses
attentats depuis longtemps et mis en
ligne un « testament » de 1 518 pages où
il se décrit comme le commandant d'un
nouvel ordre templier, un mouvement de
croisés qui combat pour les « droits des
peuples autochtones d'Europe contre le
djihad européen en cours ». Pour lui, le
multiculturalisme produit une idéologie
de haine dont le but est de détruire la
civilisation occidentale. Il y voit un
risque de destruction des capacités de
défense de la société européenne, ce qui
ouvre la voie à l'islamisation de
l'Europe et à un génocide culturel.
Dénonçant l'antisémitisme de l'ancienne
extrême droite, il préconise un
rapprochement de la nouvelle génération
des patriotes avec « notre allié Israël
» ce qui permettra à long terme d'isoler
le monde musulman et de requalifier « sa
religion en idéologie fasciste
impérialiste ».
Voilà pourquoi écrit-il « le temps de la
résistance armée est venu » et que la
cible prioritaire doit être la fête
annuelle du parti social-démocrate.
Le parti travailliste norvégien est en
effet en pointe sur la reconnaissance
des droits des Palestiniens, la Norvège
s'apprêtant à reconnaître l'État
palestinien lors de la prochaine
assemblée générale de l'ONU et plaidant
depuis longtemps pour la fin de
l'occupation israélienne.
Bien sûr Breivik a agi de façon isolée.
Mais s’il est arrivé à des conclusions
aussi folles que criminelles, c’est
qu'il a baigné dans une atmosphère de
stigmatisation de l'islam dans le monde
occidental, qui était devenue dominante
depuis les attentats du 11 septembre et
n'était pas que le fait de l'extrême
droite. Celle-ci, qui voyait autrefois
dans les juifs des gens incapables de
s'intégrer dans les sociétés
occidentales, réserve désormais ce
traitement aux musulmans. Mais au-delà
de ce noyau de l'extrême droite, tout un
courant a participé à cette campagne
visant à présenter l’islam et les
musulmans comme une menace potentielle
sur les libertés (affaire des
caricatures) et sur la laïcité. Des gens
se réclamant de la gauche ont pu
développer le concept creux de «
fascislamisme » et à force d’affirmer
qu’une menace existentielle pèse sur le
monde occidental, ils ont contribué à
renforcer la paranoïa. Si nous sommes en
guerre, tous les moyens sont bons pour
la gagner. Ceux qui mettaient en garde
contre le danger d'une telle orientation
du débat étaient immédiatement qualifiés
de proislamistes ou d'idiots utiles du
terrorisme. La mort de Ben Laden, le
printemps arabe, l'usure des arguments
fallacieux contre les musulmans
permettaient d'espérer un assainissement
du climat. Les attentats d'Oslo nous
obligent à approfondir la réflexion.
Saluons le maire d'Oslo, Fabian Stang,
qui a déclaré « on punira le tueur en
réagissant avec plus de tolérance et de
démocratie. » Et réfléchissons aux
responsabilités de ceux qui ont semé la
peur et récolté la haine.
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réservés.
Publié le 31 juillet 2011 avec l'aimable
autorisation de l'IRIS.
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